« Il n’y a rien de plus puissant au monde que l’énergie d’une femme ménopausée.» Margaret Mead
Joyeuse journée internationale de la ménopause à toutes <3
« Il y a quelque chose en moi qui a envie de briser les silences » Conversation avec Léonora Miano.
Léonora Miano sera un jour nobellisée, vous l’aurez lu ici en premier. Léonora Miano est une écrivaine camerounaise et française qui a reçu un nombre de prix incalculable dont le Femina et le Goncourt des Lycéens. Elle a publié des romans, des essais, écrit des pièces de théâtre. Elle vient de publier aux Editions du Seuil, L’Opposé de la blancheur, un essai brillant, nuancé, sur les conséquences graves induites par un Occident sur des peuples qu’il désigna comme noirs, à l’opposé de lui-même.
Si vous voulez plutôt lire la newsletter sur le site web, c’est ici https://lesglorieuses.fr/leonora-miano/
Rebecca Amsellem – Dans votre nouvel essai, L’Opposé de la blancheur, vous citez Jacques Derrida « il faut entendre le terme de « déconstruction » non pas au sens de dissoudre ou de détruire, mais d’analyser les structures sédiments qui forment l’élément discursif, la discursivité philosophique pour laquelle nous pensons ». En s’appuyant sur cette définition, vous dites en substance que déconstruire la blanchîté n’est pas de l’annuler mais de décortiquer les systèmes de domination encore en place aujourd’hui. Ce texte a-t-il eu l’écho que vous auriez souhaité qu’il ait au sein des communautés blanches ? Leonora Miano – Il vient seulement de sortir mais je pense qu’il suscite au moins de la curiosité. J’ai l’impression qu’on m’accorde le bénéfice du doute et qu’on me fait confiance pour tenter d’aborder la question de manière intelligente, complexe et pas bêtement vengeresse. Rebecca Amsellem – Vous utilisez davantage le médium du théâtre pour exprimer vos idées. Est-ce que le théâtre vous offre quelque chose que l’écriture ne peut pas offrir ? Leonora Miano – Pour aller au théâtre, il faut de l’écriture. Seulement, il s’agit là d’une écriture adressée. Je ne fais pas de différence fondamentale entre ce travail-là et l’autre. La différence étant simplement que les destinataires du propos sont présents lorsqu’il est énoncé, ce qui n’est pas le cas pour un roman, par exemple, qui travaille plus de conscience en conscience. On fabrique le roman dans la solitude. Il est lu par le lecteur dans sa solitude et il n’y a pas cette immédiateté de la réaction que l’on peut avoir. Je pense que mon travail d’auteur ne me semblerait pas complet, ni aussi signifiant si je n’avais pas cette petite pratique de la scène que j’espère pouvoir développer dans les
années qui viennent. Rebecca Amsellem – Dans ce même essai, vous écrivez : « Le drame de l’Occident n’est pas d’avoir haï plus que les autres, mais d’avoir produit des théories de la race, d’avoir donné un contenu politique à la race. Il ne suffit pas aujourd’hui d’admettre la faute. » Il faut faire quoi en plus d’admettre la faute ? Leonora Miano – Il faut vider les catégories raciales – qui ont été inventées – de leurs significations politiques et symboliques pour permettre de créer un nouvel espace pour nos humanités, un territoire de commune vulnérabilité, de possible reconnaissance immédiate de notre reflet dans le visage de l’autre, ce que la race contrarie énormément. Si on regarde toute l’ampleur de l’histoire humaine, ce phénomène n’a que quelques siècles et pourtant, il s’est tellement solidifié qu’on a l’impression qu’on s’est toujours regardé de cette manière-là. Ce qui est faux. Les humains se sont longtemps fréquentés sans donner de signification à la couleur des uns et des autres. C’est ça qu’il faudrait à nouveau retrouver. Je pense qu’on se soulagerait d’une catégorie de la violence très particulière qui est liée à la négation de l’humanité de l’autre.
Rebecca Amsellem – Vous concluez l’essai en affirmant que ce qui pourrait arriver de mieux à la blanchité aujourd’hui, c’est d’accepter les marques indélébiles laissées par les pratiques sociales et artistiques créées dans les marges où leur pays les loge et de désamorcer la fiction raciale dans le même cas. Est-ce que ça signifie que « désamorcer la fiction raciale » pour reprendre vos mots, c’est apprendre à se regarder différemment ? Leonora Miano – C’est apprendre à se regarder différemment, c’est accepter de se définir différemment. Dans un pays comme la France, nous entendons fréquemment ces dernières années des commentateurs de l’actualité définir l’identité française. On nous parle toujours d’une France strictement européenne et ayant une ascendance uniquement européenne. Je n’entends jamais dire, par exemple, que les personnes qui ont été réduites en esclavage dans les vieilles colonies françaises, les Antilles, mais aussi la Guyane ou la Réunion, sont aussi des ancêtres de la nation. Et pourtant, on pourrait le dire, même on devrait le dire. On n’entend jamais mentionner dans ce qui façonne la sensibilité française, ce qui forme les imaginaires français, la présence de nos compatriotes amérindiens de la Guyane. C’est la France qui leur est tombée dessus et qui n’est jamais partie. Pourquoi est-ce que ceux-là ne sont jamais entrés dans les discours et les représentations de ce qui fait la France ? Lorsqu’on ouvre un livre de cuisine des terroirs de France, vous n’allez pas trouver la cuisine de la Guyane, pourtant vraiment extrêmement savoureuse. Même sans s’en apercevoir, on s’est habitué à une image de soi qui n’est qu’européenne, occidentale, blanche et qui aujourd’hui est fausse. Que savons-nous en France de l’histoire de ces personnes ? Comment est-ce que ces gens ont disparu ? Quelles ont été leurs résistances ? Quelles sont leurs figures héroïques ? Parce qu’il y a des héros amérindiens qui pourraient être considérés comme des héros français. Sur ce plan-là, les Américains ont un peu mieux réussi puisque, s’ils ont effectivement massacré leurs Indiens, ils ne les ont pas gommés de leurs mémoires. Il est impossible de les effacer complètement de la mémoire. Il est même impossible de raconter l’histoire du pays sans les mentionner. Et pourtant, en France, c’est possible. Rebecca Amsellem – Pour former les imaginaires et pour tenter de proposer une nouvelle définition de l’identité française ou de l’identité occidentale en règle générale, vous proposez de produire des fictions, de produire des essais. Est-ce que vous pensez que l’intégration d’institutions, je pense à l’Académie française par exemple, serait une manière d’accepter une multiplicité d’identités ? Leonora Miano – Je ne suis pas sûre de ça parce que le travail de l’Académie française est de veiller à la préservation de la langue canonique. Il ne s’agit pas, lorsqu’on est à l’Académie, de nourrir le lexique. Et ce n’est pas du tout un problème, puisque nous avons d’autres lieux pour faire ce travail sur la langue. L’Académie, c’est un territoire de fossiles. Ce n’est pas là-bas que ça va se passer.
Rebecca Amsellem – Dans L’Autre Langue des femmes, vous écrivez : « Parce qu’elles se sentaient dotées d’un pouvoir, elles surent le découvrir, faire en sorte de le manifester. Tel est leur legs le plus précieux à la communauté des femmes : l’exemple de l’ancrage en soi-même. C’est cela, l’autre langue des femmes. » Serait-ce une manière de définir la manière dont on devient écrivaine ? Leonora Miano – J’espère que ça aboutit à ça. Au départ, c’est un besoin de dire, c’est un besoin d’aborder des questions interdites. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où ma parole, de façon générale, n’était pas contrariée, sauf pour le domaine de l’intime. Et je nourrissais à cet égard une puissante frustration. Il y avait vraiment beaucoup de cris à l’intérieur de moi et heureusement que j’ai pu les pousser de manière poétique. J’étais une petite fille qui avait besoin de parler de ce qu’elle ressentait et de ce qu’elle vivait. Pouvoir écrire m’a sauvée, parce que j’étais une boule d’émotion et de questionnements. Et si je n’avais pas pu écrire, je ne me serais jamais peu à peu libérée de ce qui m’habitait. Rebecca Amsellem – De son rapport à l’écriture, James Baldwin dit : « Lorsque vous écrivez, vous essayez de découvrir quelque chose que vous ne connaissez pas. Pour moi, tout le langage de l’écriture consiste à découvrir ce que vous ne voulez pas savoir, ce que vous ne voulez pas découvrir. Mais quelque chose vous y oblige quand même ». Leonora Miano – Je n’ai pas réfléchi dans ce sens, peut-être parce que j’ai commencé à écrire petite fille. À cette époque, je n’avais pas encore acquis une culture littéraire et j’ai donc trouvé dans l’écriture la possibilité d’aborder les sujets proscrits. Il y a quelque chose en moi qui a envie de briser les silences. Est-ce qu’écrire permet de découvrir ce qu’on ne connaît pas ? Je dirais que chez moi, écrire a été dévoiler ce que l’on voulait cacher, ce que l’on voulait m’interdire. Et il se trouve que le fait d’écrire nous apporte en soi une modalité de connaissance. Créer des personnages, les faire interagir vous permet de vous confronter à la vie, de vous interroger, mais aussi de trouver et d’approcher au moins quelques réponses. Je voulais connaître, je voulais savoir. Je voulais tout savoir. Rebecca Amsellem – En février 2012 à l’Édinburgh World Writers’ Conference à Brazzaville vous avez prononcé un discours autour de la question « La littérature doit-elle d’être politique ? ».Vous y dites : « La langue est le véhicule de la pensée, oui. Elle est aussi dépositaire d’une vision du monde. En tant que telle, elle structure le mental. Ce que charrient les langues influe sur l’être au monde de leurs locuteurs. » À quel moment avez-vous accepté ce rôle de transmission ? Leonora Miano – Disons que j’accepte un rôle de transmission maintenant. Autrefois, j’étais une auteure légèrement autocentrée, en tout cas au moment de la production. J’étais dans mon urgence de dire, quel que soit le cataclysme que cela puisse susciter. Je n’avais envie de protéger personne. La question de la transmission vient quand l’urgence de dire est apaisée. Et elle se pose au moment où on est installé, où on acquiert une forme de notoriété qui fait que ce que vous dites parfois peut compter. Les gens viennent à vous, ils ont des attentes, ils ont des espérances. Et cette question se pose au-delà de mon travail artistique. Car ce travail artistique ne peut pas être lesté de trop d’obligations, ça doit rester quand même
le lieu de notre liberté au sens le plus vaste possible. À 50 ans je suis dans l’âge de la transmission, mais je ne suis pas une transmetteuse trop respectable, j’espère. J’écris encore des histoires de foufoune que certains de mes lecteurs me reprochent d’ailleurs. J’ai toujours en moi cette adolescente un peu trublionne et effrontée que j’ai été. Rebecca Amsellem – C’est quoi votre secret pour justement avoir gardé cette adolescente effrontée en vous et ne pas avoir plié sous le poids des conventions et de la respectabilité ? Leonora Miano – Je crois que je ne peux pas vieillir, mentalement en tout cas, pour plein de raisons. Il y en a une qui est une raison un peu grave, c’est que j’ai été blessée tôt, on a souvent l’âge émotionnel du moment de la blessure inaugurale. Rebecca Amsellem – Ma dernière question, c’est une question que je pose à toutes les personnes que j’interviewe, c’est l’idée de se projeter dans une utopie, la vôtre, selon vos critères. Vous ne savez pas que vous vous réveillez dans cette société, mais il y a un détail qui vous permet de comprendre tout de suite que vous y êtes. Pour vous, ce serait quoi ce détail ? Leonora Miano – Vous allez rire. Je saurais que je suis dans cette société parce que les femmes ayant dépassé la cinquantaine auraient gardé des traces de leur maturité sur leur corps, et elles auraient quand même toutes des amants de 30 ans. Je suis convaincue que les appétits sexuels des femmes sont plus intenses que ceux des hommes et qu’on les bride trop et donc qu’elles se brident trop. Pour moi, le monde idéal, c’est le monde où, même en vieillissant, tu peux avoir des amants très jeunes, qui ont la moitié de ton âge et qui sentent que ça ne dérange personne, ni eux ni la société, et que tu puisses donc finir tes jours comblée en matière sexuelle.
Un mot de notre partenaire, For Women In Science par la Fondation L’Oréal
Le monde a besoin de la science, la science a besoin de femmes. C’est pour cela que la Fondation L’Oréal s’engage avec l’UNESCO pour faire reconnaître, chaque année, les jeunes talents de la recherche. C’est l’occasion de présenter le travail de Louise Denis, l’une des 35 chercheuses sélectionnées pour le Prix Jeunes Talents France 2023. Ses travaux de recherche portent sur une échographie super-résolue, une technique qui utilise des microbulles de gaz injectées par voie intraveineuse dans le sang pour cartographier le réseau microvasculaire pour identifier les différents types d’AVC (Accidents Vasculaires Cérébraux). Pour information, chaque année en France, 76 000 femmes décèdent suite à une maladie liée au coeur. C’est 100 fois plus que les décès dus aux accidents de la route, 6 fois plus que ceux liés à un cancer du sein. L’échographie super-résolue développée par Louise Denis est portable : cela signifie qu’elle peut s’utiliser dans les ambulances et accélérer la prise en charge des traitement, un enjeu majeur dans le cas d’AVC où 2 millions de neurones meurent chaque minute. L’échographie super-résolue permet également le diagnostic précoce des tumeurs et donc un traitement anticipé. Nous conclurons avec les mots d’Alexandra Palt, Directrice générale de la Fondation L’Oréal, « Il est urgent de mettre en pratique de manière réelle l’égalité de droit entre les femmes et les hommes. Il n’y va pas seulement de la justice, mais aussi de notre vision de la société de demain tout entière. »
Des choses que je recommande
Aujourd’hui, c’est la journée internationale de la ménopause. Pour célébrer cette journée, je vous conseille de suivre sur Instagram les comptes suivants : @menopause.stories / @la_menopause / @lesfemmescanons / @campagnpremiere / @cestpasdemainlavieille. Et pour célébrer les femmes ménopausées, vous pouvez toujours envoyer cette phrase de Sophie Kune « La ménopause n’est pas qu’un symptôme, c’est une nouvelle féminité » ou celle de Margaret Mead citée en début de newsletter, « Il n’y a rien de plus puissant au monde que l’énergie d’une femme ménopausée. ».
Une « approche féministe » du cancer pourrait sauver la vie de 800 000 femmes par an, selon « The Lancet » (sur France Culture).
Cette semaine, dans la newsletter IMPACT on apprend que les footballeurs et footballeuses d’Irlande du Nord recevront désormais un salaire égal ou encore que 67 femmes autochtones demandent des dommages et intérêts au gouvernement danois du fait d’un programme de contraception forcée au Groenland.
Information partenaire – En France, les femmes représentent actuellement seulement 29% des chercheurs. Le monde a besoin de la science, la science a besoin de femmes. Voici 5 chercheuses choisies par L’Importante qui participent à changer le monde.
Les Glorieuses sont dans la presse ! On se réjouit d’un prix Nobel dans TV5 Monde : « Cette reconnaissance représente une distinction certaine pour la lutte pour l’égalité et un pas certain de plus vers l’égalité salariale ». Notre conférence – idées lumineuses pour faire avancer l’égalité en entreprise – est dans Les Nouvelles News.
Pour célébrer les 8 ans des newsletters de Gloria Media, nous proposons ce joli carnet en partenariat avec Dirty Notes. Il est vendu à 16,90€. Son papier est sauvé de la benne, il est 100% made in Région parisienne et en l’utilisant, vous offrez une seconde vie à 150g de papier qui allait être jetés sans avoir jamais servi.
|