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Je rêve que nous sommes des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été ; avec vous, ces jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire.
John Keats
3 questions à Suzanne Scanlon, autrice
Suzanne Scanlon est une autrice et professeure d’écriture créative américaine. La version française de son roman Jeunes femmes pleines de promesses a été publiée le 1ᵉʳ mars aux Éditions du Portrait. Elle y raconte l’histoire de Lizzie, qui est internée à plusieurs reprises pour dépression. Face à la pensée patriarcale de la société, la jeune femme essaie de comprendre les multiples facettes qui la composent à l’aide des patientes qu’elle rencontre et de références à la littérature et à la pop culture. Parmi celles-ci : Sylvia Plath, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir ou encore Friends.
Suzanne Scanlon signe ici un très beau roman féministe sur la santé mentale, au centre de son travail d’écriture. À l’automne paraîtra dans la Petite Collection des Éditions du Portrait son récit Cible Mouvante, dans lequel elle revient sur ses années passées en hôpital psychiatrique. En attendant cette prochaine lecture, l’autrice s’est entretenue avec les Petites Glo.
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Comment ça va ?
Je me sens bien, car j’ai bien dormi ces deux dernières nuits. La façon dont je me sens au quotidien dépend en grande partie de la qualité de mon sommeil. C’est la clé de la santé mentale, n’est-ce pas ? Je suis très prise par les cours que je donne et mon nouveau livre va sortir dans deux semaines ici aux États-Unis, donc je suis aussi très occupée à m’y préparer. Mais je suis très enthousiaste. Je suis nerveuse, mais j’essaie de me concentrer sur le fait que c’est une période positive de ma vie et j’essaie de ne pas la prendre pour acquise, d’en être reconnaissante.
Quelle est la dernière application que vous avez supprimée de votre téléphone ?
Je dois utiliser Instagram de temps en temps, mais il m’arrive souvent de désinstaller l’application quand j’ai fini ce que j’avais à faire. Dès que l’utilise, ne serait-ce que pour envoyer un message ou poster quelque chose, je n’arrive pas à arrêter d’aller dessus. Il y a tellement de contenus et je me retrouve à regarder toutes ces vidéos… Je pense qu’une grande partie de ces contenus peuvent être positifs, mais il y a tant de tendances à suivre sans réfléchir. Il y a aussi ce besoin de validation, de vérifier combien on a obtenu de “j’aime”. Cela ne mène à rien donc je dois surveiller l’usage que j’en fais.
Avez-vous un mantra que vous vous répétez lorsque vous êtes sur le point de sauter en parachute ?
Je n’ai jamais sauté en parachute, mais dans les situations où c’est tout comme, je me répète : « Tu es prête pour ça, tu t’es préparée, tu as fait tout ce que tu pouvais, tu vas y arriver. » C’est ce que je me disais, ou ce que mon partenaire me disait, lorsque j’ai commencé à enseigner et que cela me rendait très nerveuse. Et c’est vrai : tu as fait tout le travail nécessaire, tu es là, maintenant laisse les choses se faire, aie confiance.
Crédit photo : Brian McConkey
Suzanne Scanlon a tenu à laisser quelques précieux conseils sur la santé mentale aux Petites Glo. “Vous n’êtes pas seul·e·s. Il y a tant de gens qui vivent cette situation. N’ayez pas peur d’en parler et de demander de l’aide. Même si vous avez peur ou honte de ces sentiments, de ces pensées, il y a tant de gens qui s’identifieront à vous et se reconnaîtront.” L’autrice conseille de parler à un·e thérapeute, et insiste sur l’importance d’être entouré·e par des personnes de confiance. “C’est très réconfortant. Chaque fois que j’ai été confrontée à une difficulté dans la vie, j’ai eu besoin de trouver cette communauté, ce soutien, et c’est un tel soulagement de se rappeler que l’on n’est pas seul·e.”
Lumière sur les papillons dans le ventre
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Vous nagez en plein bonheur. Votre voisin de biologie à la beauté glaciale vous adresse enfin la parole. Vos deux amis d’enfance trouvent soudainement que cet été, vous êtes devenue jolie (sympa). La belle inconnue avec qui vous avez chanté au karaoké le soir du Nouvel An vient d’être transférée dans votre lycée, et elle veut s’inscrire au club de comédie musicale avec vous. Bref, ça avance sérieusement avec votre crush. Et vous vous sentez bizarre : comme si des papillons s’agitaient dans votre estomac.
Cette drôle de sensation corporelle est due à une baisse de l’afflux sanguin et de l’oxygène dans notre estomac, elle-même causée par une montée d’adrénaline (The Conversation en anglais). Vous savez, l’hormone sécrétée par notre corps en réponse à une situation stressante ou un danger…
“Il y a deux types de papillons dans le ventre : ceux quand c’est joyeux, qu’il y a une attirance, de l’excitation… et ceux qui fonctionnent comme des signaux d’alerte : il y a quelque chose qui m’insécurise, qui est dangereux dans la relation,” nuance la psychologue et sexologue Caroline Janvre. Alizée, 24 ans, associe les papillons dans le ventre à des “sentiments forts” et “positifs”, tout en précisant que c’est assez proche “des maux de ventre d’anxiété” qu’elle peut parfois ressentir. “Il y a une vraie différence entre les deux dans la manière dont
ça se retranscrit dans ma tête.”
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Emelyne raconte avoir connu cette sensation dès sa rencontre avec son mari, sans que cela soit lié à de l’anxiété : “Notre relation est plutôt fraîche, amusante et joyeuse, et ce, depuis le début.” Vingt ans plus tard, ces papillons sont toujours présents et traduisent la fierté et la joie qu’elle ressent dans son couple. Ce sont les papillons “joyeux”.
Alizée se rappelle en avoir fait l’expérience les fois où elle est tombée amoureuse, et seulement “avec les personnes avec qui j’ai eu de vraies relations longues.” Elle note que cela n’est arrivé que quelques fois, tôt dans la relation : “Ensuite, on comprend que le sentiment s’est installé et que l’on n’est plus dans la nouveauté.” En fait, selon Caroline Janvre, peu importe le moment de la relation où l’on ressent des papillons dans le ventre – voire si on n’en ressent jamais. Ce qui compte, “c’est ce qu’on imagine de l’affection ou de l’amour, et ce qu’on a envie de partager avec les autres.”
La psychologue met ainsi en garde contre les films, séries et livres promouvant des modèles de relations tumultueuses où on ne pourrait ressentir d’amour sans passion, notamment dans la “dark romance”. Populaire auprès d’un public très jeune, ce genre littéraire a tendance à romantiser les relations toxiques. Attention : pas besoin de s’interdire ces lectures si on aime ça et qu’on arrive à se détacher de ce modèle. “Mais il est important d’avoir en tête que le fait de ressentir de l’amour, des papillons dans le ventre qui nous paraissent agréables, n’est pas incompatible avec les relations violentes,” alerte Caroline Janvre.
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Si on peut penser aux romans de Colleen Hoover ou Sarah Rivens, la pop culture regorge de couples toxiques : Bella et Edward dans Twilight (mais aussi évidemment Bella et Jacob), Chuck et Blair de Gossip Girl, la majorité des relations dans Euphoria… Ariane, 23 ans, décrie fortement le message véhiculé par ces récits : “Si tu as des papillons dans le ventre, c’est que c’est le bon, parce qu’il t’intéresse et te provoque des réactions physiques, pas comme ces autres personnes qui te laissent indifférente. Et honnêtement, ça craint. Parce qu’en glamourisant ces sensations, ça t’empêche d’écouter ce que ton corps te signale : du stress.«
“Dans les relations hétéros, auxquelles on est principalement exposées, on dirait que si les femmes ne ressentent pas un minimum de douleur, alors ce n’est pas de l’amour et que ça ne vaut pas le coup,” poursuit-elle. “Et pour moi, l’amour ne devrait pas faire mal. Je trouve ça dangereux de nous pousser à normaliser cela dans nos relations amoureuses.” Il y a quatre ans, Ariane a ainsi ignoré “les giga red flags” de celui qui lui plaisait parce qu’elle ressentait des papillons dans le ventre, ce qui l’a convaincue qu’elle en était amoureuse. Ce ne fut pourtant pas le cas dans sa relation suivante, où elle se sentit “apaisée et en sécurité.”
En 2021, une enquête réalisée par Les Petites Glo et En Avant Toute(s) révélait que 9 jeunes femmes sur 10 (entre 12 et 24 ans) ont déjà subi des violences conjugales. L’exposition de ce public à de tels modèles peut ainsi avoir des conséquences dramatiques. Comme le souligne Caroline Janvre, à l’adolescence, “il y a plein de premières fois (…) on n’a pas encore de points de repère.” D’où l’importance de se montrer présent·e·s pour son entourage quand on sent que quelque chose est anormal. On peut les rediriger vers la plateforme commentonsaime.fr d’En Avant Toute(s) ou l’outil le Violentomètre, afin de faire le point sur sa relation.
Caroline Janvre conclut en nous donnant des clés pour ne pas se perdre dans une relation. ”C’est ne pas s’oublier, ne pas oublier qui on est, d’où on vient, ce qui nous va à nous. Et ce avant de pouvoir faire la rencontre avec d’autres personnes aussi.” Un mot d’ordre : s’écouter. “Il ne faut pas hésiter à se faire des points, plusieurs fois pendant un rendez-vous par exemple, pour sentir ce qui se passe dans notre corps, écouter ces signaux d’alerte, ce que le corps nous dit.”
Le mental fitness des Petites Glo
Tomber amoureux fait perdre la tête, on le sait. Dans un article pour Psychology Today, la psychologue clinicienne Deborah Khoshaba résume ainsi les sentiments éprouvés au début d’une idylle : on est euphorique et on expose constamment notre vulnérabilité, ce qui en retour provoque de l’épuisement. Elle conseille d’accepter l’anxiété qui en résulte, et donne plusieurs recommandations pour garder la tête sur les épaules tout en profitant des joies qu’apporte le sentiment amoureux. En voici quelques-uns :
On lit : #ADOSEXO, un guide d’éducation sexuelle de Camille Aumont-Carnel (2022)
Pas facile de s’y retrouver entre tous ces nouveaux sentiments, qu’il s’agisse des nôtres ou de ceux des autres. C’est pourquoi l’autrice et militante féministe Camille Aumont-Carnel (dont vous connaissez peut-être le compte Instagram @jemenbatsleclito) a publié un guide très complet et inclusif d’éducation sexuelle pour les ados à partir de 14 ans. Réalisé avec 1 200 témoignages d’ados de 13 à 18 ans, ce livre rassemble de super conseils et explications sur les changements du corps à la puberté, le consentement, l’identité de genre et l’orientation sexuelle, la santé, les relations…
On écoute : Sorociné, le podcast cinéma féministe
Tous les exemples de couples toxiques à l’écran donnés plus haut pointent du doigt les problématiques liées au sexisme au cinéma et à la télévision. Pour une analyse féministe du cinéma, nous vous recommandons l’excellent podcast Sorociné (aussi un site internet disponible ici). Toutes sortes de thématiques y sont abordées, qu’il s’agisse de portraits de figures inspirantes, de critiques de films ou de présentations de l’industrie du cinéma, et bien plus encore !
On regarde : Orgueils et Préjugés, adaptation cinématographique du roman de Jane Austen, par Joe Wright (2005)
Elizabeth Bennet n’a pas le temps pour les bad boys impolis, même s’ils sont riches. Au début du 19ᵉ siècle, à une époque où le statut social des femmes dépend essentiellement de leur mariage, la célèbre femme de lettres Jane Austen pose les termes : hors de question que son héroïne n’épouse Mr Darcy tant qu’il n’aura pas amélioré son comportement. Un enemies to lovers (“d’ennemis à amants”) sain ! Le roman de Jane Austen (1813) est très drôle et très moderne, et on vous conseille aussi de voir ses deux adaptations récentes. La première est une mini-série de la BBC avec Jennifer Ehle et Colin Firth (1995), la seconde un film avec Keira Knightley et Matthew Macfadyen (2005).
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