La Preuve, c’est la newsletter qui rend ses lettres de noblesse aux sciences sociales féministes. Car sans elles, pas d’argument. Et pas d’argument, pas d’avancées des droits des femmes.
Cette newsletter vous est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal.
Bienvenue dans La Preuve, un supplément de la newsletter Impact créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre grâce aux sciences sociales.
Les femmes sont-elles de meilleures médecins que les hommes ? De nouvelles études montrent que les patient·es obtiennent de meilleurs résultats quand les médecins sont des femmes
“Il est rare qu’une étude me mette sur la défensive. Jusqu’à maintenant.” L’ancien rhumatologue et rédacteur en chef de Harvard Health Publishing, Rob Shmerling, écrivait ces mots il y a sept ans, en réponse à une étude révélant que les patient·es des hôpitaux étatsuniens avaient moins de risques de mourir lorsqu’elles et ils étaient soigné·es par des médecins femmes.
Cette réaction défensive pourrait refaire surface chez certains médecins hommes après qu’une autre étude soit arrivée aux mêmes conclusions. L’équipe de recherche a analysé les dossiers de plus de 750 000 patient·es aux États-Unis, âgé·es de 65 ans ou plus, hospitalisé·es et traité·es entre 2016 et 2019. Elle a découvert que lorsque les femmes étaient soignées par des médecins femmes, elles étaient moins susceptibles de mourir comparé à celles soignées par des hommes. Les femmes soignées par des femmes avaient un taux de mortalité de 8,15 %, tandis que celles soignées par des hommes avaient un taux de 8,38 %.
Cela peut sembler être une différence négligeable. Pourtant, il est important de noter que ce n’est pas le cas, au niveau individuel. De plus, les auteur·es de l’étude soulignent que ces différences sont considérables à l’échelle de la société, “étant donné qu’il y a plus de 4 millions d’hospitalisations prises en charge par Medicare par an pour cause de maladie aux États-Unis”. En supposant que la moitié de ces hospitalisations concernent des femmes, ces résultats impliquent que sur ces 2 millions, 4 796 femmes supplémentaires survivraient chaque année si les médecins hommes obtenaient les mêmes résultats que les médecins femmes. Il est intéressant de noter que les patients hommes obtenaient également de meilleurs résultats avec des médecins femmes, bien que dans ce cas, les résultats n’aient pas été statistiquement significatifs (taux de mortalité de 10,15 % contre 10,23 %).
En 2017, la réponse initiale de Rob Shmerling à de telles conclusions était qu’il devait y avoir une autre explication : “Les chercheur·euses ont dû louper quelque chose”, écrivait-il, avant d’admettre : “Mais après avoir lu attentivement les résultats du rapport de recherche, il est difficile de trouver une explication alternative.”
D’autres spécialistes qui travaillent sur le sujet ont rapporté une réticence similaire lorsqu’elles et ils publient leurs travaux. My Blohm est chirurgienne et a publié sur les différences liées au genre dans les résultats chirurgicaux en Suède. Elle m’a raconté : “Quand il s’agit de recherches sur le genre, la réponse initiale tend à être le scepticisme et beaucoup rejettent immédiatement les résultats comme étant faux.”
Chris Wallis, un autre chirurgien s’intéressant à cette question, rapporte la même chose. Et le président du Royal College of Surgeons en Angleterre s’est récemment excusé d’avoir “gaslighté” les chirurgiennes dans sa manière d’aborder deux études montrant que les patient·es opéré·es par des femmes étaient moins susceptibles de subir des complications que celles opéré·es par des hommes.
Alors, les femmes sont-elles vraiment de meilleures médecins que les hommes ? Est-ce qu’il est même utile de se poser la question ? Et que devrions-nous en faire ?
Les preuves montrent de manière écrasante qu’en moyenne, il existe des différences dans la façon dont les médecins hommes et femmes travaillent, avec des résultats qui peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Bien que toutes ces études soient observationnelles, et ne puissent donc pas déterminer de lien de cause à effet, les données sont solides et les publications s’accumulent.
En Floride, il a été constaté que les patientes victimes de crises cardiaques avaient plus de risques de mourir lorsqu’elles étaient soignées par des médecins hommes. Au Canada, les scientifiques ont découvert que les patient·es vu·es par des médecins généralistes femmes avaient moins de visites aux urgences et d’hospitalisations par la suite que celles et ceux vu·es par des hommes. Une autre étude canadienne a examiné les résultats d’opérations chirurgicales de plus de 100 000 patient·es et a constaté que les personnes traitées par des chirurgiennes étaient légèrement moins susceptibles de mourir ou de subir des complications par rapport à celles traitées par des hommes. Des résultats similaires ont été atteints en Suède. Des travaux au Japon ont montré que les chirurgiennes avaient tendance à opérer des patient·es à plus haut risque, sans impact négatif sur les taux de mortalité.
La majorité des expert·es n’ont pas été surpris·es par les dernières conclusions et pointent vers d’autres études qui éclairent plusieurs facteurs pouvant expliquer ces différences.
Les femmes ont plus de chances que les hommes de voir leurs douleurs et symptômes cardiovasculaires sous-estimés, leurs préoccupations sont moins souvent prises au sérieux, et elles subissent plus de retards de diagnostic pour tout un tas de maladies. D’après les spécialistes, les médecins hommes pourraient donc être plus enclins à sous-estimer la gravité des maladies des patientes. De plus, des articles scientifiques vieux de plusieurs décennies montrent que les médecins femmes sont plus susceptibles que les hommes de suivre les
recommandations cliniques, de dédier plus de temps aux consultations, de mieux communiquer et de créer une relation de confiance plus solide avec les patient·es.
My Blohm, la chirurgienne qui a analysé les résultats en Suède, m’a dit : “Les chirurgiennes ont tendance à obtenir de meilleurs résultats alors qu’elles opèrent plus lentement, ce qui suggère que la prudence pourrait être une qualité favorable.” Malgré cela, “les inégalités de genre dans les soins de santé persistent même dans les pays les plus égalitaires”, lamente-t-elle, en particulier en chirurgie. Chris Wallis, dans un entretien avec le New York Post, remarquait : “Tant dans la société en général que dans la médecine, les femmes font face à des attentes souvent plus élevées que les hommes. C’est un phénomène exacerbé en chirurgie et peut expliquer certaines des différences que nous avons observées.”
Ce qui est intéressant ici, ce sont donc les comportements qui mènent à de meilleurs résultats, et non pas le genre de votre docteur·e. Comme le dit Chris Wallis, l’explication de ce qui se passe ici n’est pas “chromosomique”. L’auteur de l’étude, Yusuke Tsugawa, est d’accord : cela ne signifie pas que “les patient·es devraient choisir des médecins femmes plutôt que des hommes”, dit-il. Plutôt, de telles recherches devraient être considérées comme une opportunité pour toutes les personnes travaillant dans le domaine de la santé de mieux comprendre ce qui fonctionne le mieux et d’adapter les soins aux patient·es en conséquence.
Vu sous cet angle, présenter le problème comme “les femmes sont meilleures que les hommes” n’est pas seulement provocateur, c’est carrément contre-productif. Cela nous empêche d’examiner les dynamiques sous-jacentes et donc de construire de meilleurs systèmes de santé qui fonctionnent pour toutes les personnes.
J’ai discuté avec Geordan Shannon, médecin et experte en santé mondiale, qui a rédigé une analyse pour The Lancet sur l’égalité des genres en santé mondiale, pour en savoir plus.
“Nous sommes tous·tes responsables”
“Nous avons tendance à réduire ces questions à ce que vous pourriez appeler des politiques identitaires, ou des pensées binaires noires et blanches, qui sont simplifiées à l’extrême et créent de la polarisation ou de l’antipathie envers les résultats. Mais il ne s’agit pas des femmes contre les hommes”, m’a-t-elle dit. “Il s’agit des systèmes et des institutions plus larges qui soutendent les interactions patient-médecin. Nous en sommes tous·tes responsables, à notre manière.”
Shannon insiste sur le fait qu’il est important de se rappeler que là où elle existe, l’égalité des genres dans les soins de santé est très récente, et que les femmes dans ce secteur n’ont souvent pas un environnement institutionnel qui les soutient. Les écarts de salaires entre les genres se retrouvent dans le monde entier et dans toutes les spécialités, et bien que les femmes représentent la majorité de la main-d’œuvre en santé, elles sont massivement sous-représentées dans les postes de direction et de management.
Les femmes, donc, sont plus défavorisées, et pourtant elles obtiennent de meilleurs résultats pour les patient·es. Pourquoi ? Geordan Shannon trouve intéressant de considérer la théorie de l’anthropologue David Graeber selon laquelle les structures d’inégalité produisent des « structures imaginatives déséquilibrées”. “Si vous n’êtes pas au pouvoir”, dit Shannon, “si vous êtes en bas de la hiérarchie – vous devez faire beaucoup de travail émotionnel et imaginatif pour essayer de prédire et d’anticiper les besoins des autres.”
“On constate cela avec la race. On le constate avec le genre. On le constate avec la pauvreté. Les hommes blancs plus riches, par exemple, n’ont probablement tout simplement pas les mêmes habitudes d’utiliser ce genre d’imagination.”
En d’autres termes, si vous êtes habitué·e à vous mettre à la place des autres, vous êtes peut-être plus susceptible de comprendre la nécessité d’une meilleure communication, ou que les corps des autres peuvent fonctionner différemment du corps masculin par défaut, ou d’éviter de faire des suppositions. “Je ne sais pas si c’est démontrable”, continue Geordan Shannon, “à part le fait qu’il y a des signes que les femmes passent un peu plus de temps avec leurs patient·es et emploient une communication plus centrée sur le patient.”
Ce qui est clair, c’est qu’une main-d’œuvre plus diversifiée et soutenue fournira des soins de meilleure qualité, encouragera une meilleure communication, permettra aux groupes sous-représentés de se sentir entendus, et offrira une diversité de modèles auxquel·les les futur·es
médecins pourront s’identifier. Et, peut-être, encouragera tout le monde à faire preuve d’un peu plus d’imagination.
De ce fait, les réponses politiques reflètent les solutions féministes dans leur ensemble : nous devons soutenir les femmes et les autres groupes sous-représentés pour qu’ils obtiennent un salaire égal à celui de leurs homologues masculins, pour atteindre des postes de direction, et pour
travailler dans des environnements adaptés à leurs besoins. Cela permettrait non seulement aux femmes de s’épanouir et d’obtenir de meilleurs résultats, mais aiderait également leurs collègues masculins, qui, Geordan Shannon insiste, “bénéficient beaucoup d’environnements diversifiés et équitables en termes de genre.”
En 2017, Rob Shmerling était d’accord. “Une chose est sûre”, a-t-il conclu : “Accepter la possibilité que les médecins femmes puissent surpasser les médecins hommes dans certains aspects des soins médicaux, puis essayer de comprendre pourquoi, est beaucoup plus constructif que d’être sur la défensive à ce sujet.”
Les études du mois
Voici les études qui font parler d’elles dans la recherche sur les inégalités de genre :
-
🙇♀️ Une nouvelle étude impliquant 9 141 femmes du monde entier a montré que, à l’approche de la ménopause, les femmes ont un risque de 40 % plus élevé de développer une dépression que les femmes préménopausées, soulignant le besoin urgent d’un meilleur soutien en santé mentale.
-
🏳️⚧️ Une analyse de centaines de débats parlementaires et de milliers de reportages journalistiques a montré que les droits des personnes trans, le féminisme et les droits LGBTQIA+ sont systématiquement attaqués dans les discours politiques et les médias européens.
- 🩸 Une nouvelle évaluation des applications de santé féminine telles que les trackers de règles a révélé que la grande majorité exposent les usager·es à de graves risques de confidentialité et de sécurité en raison de pratiques de confidentialité totalement inadéquates.
Dites-nous ce que vous aimeriez lire !
Nous aimerions savoir ce que vous pensez de La Preuve. Avez-vous des suggestions sur le format ou le contenu ? Sur quels sujets liés à la recherche sur l’égalité des genres souhaiteriez-vous particulièrement lire ? Quelles informations vous seraient particulièrement utiles ?
N’hésitez pas à nous contacter et à nous faire part de ce qui vous plairait.
Vos idées et vos suggestions contribueront à façonner le futur de La Preuve.
À propos de nous
La Preuve est une newsletter créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre. Impact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. La version en anglais est financée par Sage, la traduction est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal.
PS : La newsletter est également disponible en anglais.
|