Cela fait plusieurs mois maintenant que lorsque je marche dans la rue, j’ai un sentiment nouveau. Alors que je suis plongée dans mes pensées (j’en profite pour saluer tous les poteaux de rue que je me suis prise au cours de ces dernières années), ce sont des lettres qui me sortent de celles-ci. Des prénoms de femmes d’abord, leur âge, victimes de féminicides et d’un système qui ne les protège pas. Récemment les messages se sont diversifiés. « Black Trans Live Matter », pouvais-je lire rue de la Pierre-Levée cette semaine. La visibilisation de nos idées dans l’espace public signe l’avènement d’une nouvelle ère pour les nouvelles générations de féministes. Alors que nous étions cantonnées aux tweets réactionnaires, aux médias en ligne, aux newsletters, aux podcasts et aux posts Instagram, nous sommes dans la rue, tous les jours. « Schlag Girl » et Souba font partie de cette nouvelle génération d’activistes colleuses qui investissent l’espace public de leurs lettres noires peintes sur des feuilles blanches et de leurs messages féministes et antiracistes. Elles font partie de l’espace « Décolonisons le féminisme » qui a émergé à la sortie du confinement. « Coller dans la rue, c’est se réapproprier la rue, espace habité et dominé par le masculin », me dit Souba, entrepreneuse et militante. Et le message décolonial est tout aussi important que le message féministe. « Les personnes blanches sont constamment mises en avant et les femmes racisées invisibilisées. C’est très frustrant de voir que les messages sont entendus lorsqu’ils sont prononcés par les personnes blanches. Cela contribue à ce ressenti constant de ne pas être assez légitime », précise « Schlag Girl », militante asio-féministe. Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf disait : « Il suffit d’entrer dans n’importe quelle chambre de n’importe quelle rue pour que se jette à votre face Il semble aujourd’hui que la force créatrice des femmes ne s’arrête pas aux murs qui les ont enfermées pendant des générations. Elle est passée de l’autre côté, du côté visible, accessible à tous et toutes et c’est grâce aux colleuses activistes. « Il y a quelque chose de très charnel dans ce mode d’action. On investit tout son corps au travers de nos mouvements de bras qui collent, nos mains qui peignent. Il y a une présence très organique. Ce n’est pas comme imprimer des tracts », raconte « Schlag Girl » lorsqu’elle décrit son rapport au collage. C’est facile aussi, disent-elles : il n’y a besoin de feuilles, d’acrylique, d’eau, de seaux et de colle. Et beaucoup de courage, semblent-elles mettre de côté. À l’heure où des statues sont déboulonnées, où un appel massif encourage nos dirigeants à proposer de nouvelles lectures socio-historiques de notre Histoire, moins occidentalo-centrées, les symboles semblent avoir pris toutes leur place dans la lutte activiste et antiraciste. Et les lettres qui fleurissent dans l’espace public sont avant tout un symbole de changement. « Quoi qu’on fasse de visible est symbolique », racontent les colleuses. Si les femmes sont invisibilisées parmi les noms de rue, les personnes racisées oubliées des commémorations, les lettres sont là pour nous rappeler que cette nouvelle génération d’activistes n’a plus peur de la rue. Cette nouvelle génération se bat pour que toutes les femmes et les personnes racisées ne se sentent plus seul.e.s dans la rue. « Je ne suis pas coupable, je ne suis pas seule. Des gens m’entourent », c’est le message porté par « Schlag Girl ». « Il n’est pas normal de vivre toutes ces violences au quotidien. Notre action est là pour le rappeler. Plus nous allons éveiller les consciences, plus les femmes se sentiront fortes et plus nous diffuserons notre message à de potentiel.le.s allié.e.s. » Le collage est une première étape. L’espace « Décolonisons le féminisme » a vocation à proposer sur son compte Instagram des ressources pédagogiques et des témoignages de celles dont on n’entend pas souvent parler. « Nous allons ajouter des stickers avec des QR codes à côté de nos collages. » Les membres de l’espace précisent que leur action a été rendue possible grâce à l’activisme grandissant sur les réseaux sociaux depuis 2010. Il leur a permis d’étoffer leurs connaissances, là où il a permis à d’autres de se déconstruire. « J’ai l’impression de faire partie d’un moment révolutionnaire », me dit « Schlag Girl ». « Le collage est une forme d’art et c’est un vecteur puissant de messages. Cet art nous permet de réinvestir l’espace public, se réapproprier nos voix, confisquées par les dominants ». Les membres de « Décolonisons le féminisme » ne font pas partie d’un moment révolutionnaire, elles sont la révolution. 1/ Le prochain Club des Glorieuses, c’est la mardi prochain (23 juin) ! Il s’agit d’une projection virtuelle du documentaire Les Rivières de Mai Hua (à regarder d’ici mardi prochain) et d’une conférence avec la réalisatrice mardi 23 juin de 19h à 20h. Pour s’inscrire, c’est ici. 2/ Nous n’avons jamais été témoin de manifestations d’une ampleur et d’une telle diversité. Dans un entretien au Guardian, Angela Davis analyse les mouvements anti-racistes actuels à l’aune de son engagement dans les années 70 (en anglais). 3/ « Le recours intensif au concept de « privilège blanc » signe l’avancement sinueux du néolibéralisme jusqu’au cœur des pratiques politiques de résistance ». Dans cet édito publié sur la revue Ballast, la sociologue et écrivaine Kaoutar Harchi explique pourquoi « checker ses privilèges » n’est pas suffisant et pourquoi nous devrions nous concentrer sur le changement de système. 4/ Vous utilisez / votre entreprise utilise Zoom ? Mauvaise nouvelle : l’entreprise n’hésite pas à fermer le compte d’activistes en Chine à la demande du gouvernement (en anglais, sur NPR). 5/ « Et la rue, elle est à qui ? » Après deux mois de confinement, les luttes sociales et anti-racistes reprennent et les militant·e·s réinventent les modes d’action. 6/ Cette semaine dans Les Petites Glo, on a rencontré l’autrice Eléonore Devillepoix qui sort son premier livre, « La Ville sans vent ». Un roman de fantasy jeunesse dans lequel il est question d’inégalités sociales, de sexisme, de féminisme… L’occasion de faire le point sur ce genre littéraire qui est souvent chargé de stéréotypes. 7/ « The talk » : comment les Afro-Américains parlent à leurs enfants du danger 8/ « Plus qu’une vague violette, une colère noire ». En Suisse, la grève des femmes a été accompagnée de protestations contre les violences raciales grâce aux nouvelles générations d’activistes (Le Temps). 9/ « Il y a soixante ans, en tant que jeune idéaliste de 21 ans cherchant à faire le bien, j’ai pris la décision inhabituelle d’entrer au couvent. Vingt ans plus tard, à l’autre bout du monde, cette décision jouerait un rôle majeur dans la rencontre de l’amour de ma vie, une autre religieuse – mon âme sœur », histoire d’un amour à lire sur The Guardian (en anglais). 10/ « On ne fait pas de politique dans les musées » – pourquoi les musées français sont en train de passer à côté d’un phénomène majeur. |
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