« L’enthousiasme vient de la faculté qu’a plus ou moins notre âme de se représenter à la fois, et d’une manière en quelque sorte indéterminée, tous les plaisirs ou toutes les peines qui peuvent résulter pour nous d’une certaine situation, ou de l’existence d’une certaine personne et de nos rapports avec elle ». Les philosophes révolutionnaires – Les incroyables destins de Sophie de Grouchy et Olympe de Gouges Pour lire la newsletter en ligne https://lesglorieuses.fr/les-philosophes-revolutionnaires C’est votre première fois ici et vous n’êtes pas abonnée ? Vous pouvez vous abonner ici pour la recevoir tous les mercredis (ou presque). Nous sommes toujours en septembre et c’est donc toujours la rentrée, vous trouverez un concours pour gagner un livre de la rentrée littéraire à la fin de la newsletter Si vous êtes intéressée par l’égalité salariale, nous avons lancé le hashtag de l’édition 2024. Vous pouvez retrouvez toutes les infos sur cette page. La newsletter de cette semaine vou est proposée par Sandrine Bergès, professeure de philosophie à l’Université de Bilkent, et, de 2024 à 2028, à l’Université de York. Elle écrit sur l’histoire des femmes dans la philosophie sociale et politique : Sophie de Grouchy’s Letters on Sympathy (2019) and Liberty in Their Names: The Women Philosophers of the French Revolution (2022). Elle a aussi publié un roman The Nietzsche Affair. Vous pouvez retrouver toutes les infos sur ses recherches sur son site web www.sandrineberges.com L’une a rétorqué à Bonaparte que si les femmes pouvaient accéder à la guillotine, elles avaient besoin de comprendre pourquoi, l’autre a publié la fameuse phrase, « Si la femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Sophie de Grouchy et Olympe de Gouges, toutes deux philosophes, toutes deux révolutionnaires. Deux questions s’imposent pour qui le nom Sophie de Grouchy est peut-être inconnu, et celui d’Olympe de Gouges associé à une excentrique qui écrivit un tract sur les droits de la femme et fut décapitée. Comment ces femmes ont-elles pu participer à une révolution qui était avant tout un débat masculin ? Et pourquoi leurs écrits ne font-ils pas partie du canon philosophique ou politique du xviiie siècle ? La réponse est bien simple : c’étaient des femmes exceptionnelles, et le sexisme général et universitaire a pris soin de les effacer de notre histoire intellectuelle. Sophie de Grouchy, elle, était probablement la philosophe dont le traité philosophique, Les Lettres sur la sympathie a été le plus largement diffusé de son époque. La raison est simple – elle a eu l’intelligence de le publier en 1798 en épilogue de sa traduction de la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith. La traduction elle-même ne manque pas de valeur philosophique. Le texte de Smith avait fait l’objet de deux traductions qui étaient davantage des résumés et commentaires truffés d’inexactitudes et de confusions. Et pourtant, peu d’entre nous la connaissent. Olympe de Gouges, elle, est davantage entrée dans l’imaginaire collectif. On connaît sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne – dont Gouges finança elle-même l’impression et la diffusion de ses nombreux écrits. Mais elle écrivit aussi de nombreuses pièces de théâtre, chacune précédée d’une introduction prenant la forme d’un traité philosophique sur l’esclavage, le mariage et autres thèmes ; des placards, diffusés dans Paris ; des discours où elle proposait des réformes dès le début de la Révolution, se battant sans cesse contre l’injustice dans la société et au sein des familles ; et finalement un discours philosophique, Le Bonheur primitif de l’homme ou Les rêveries patriotiques. Au-delà de ses écrits, on connaît la fin d’Olympe de Gouges sur l’échafaud, le 3 novembre 1793, accusée de trahison parce qu’elle avait proposé que les Français votent pour choisir leur forme de gouvernement : une république, une fédération, ou une monarchie constitutionnelle. Toutes deux participèrent au mouvement révolutionnaire à travers leurs écrits philosophiques, toutes deux furent remises à leur place, plus ou moins violemment, par une société révolutionnaire qui n’acceptait pas qu’elles puissent participer à ses réformes. © Rebecca Amsellem Car les femmes pouvaient écrire, mais comment étaient-elles diffusées ? Et étaient-elles lues de la même manière que les hommes le sont ? Étaient-elles étudiées avec le même sérieux, le même désir d’approfondir ses connaissances philosophiques ? Et, pour commencer, comment se fait-il que deux femmes, dans une société très misogyne où leurs sœurs étaient enjointes à rester silencieuses – sont aujourd’hui considérées comme des philosophes dont les écrits font partie des canons philosophiques ? Si Sophie de Grouchy était érudite, Olympe de Gouges bénéficia d’une éducation de base, et était autrement autodidacte. Ni l’une ni l’autre n’a pu bénéficier d’une éducation officielle. Gouges en a souffert davantage, mais s’en est accommodée. Olympe de Gouges, fille de boucher à Montauban, fut envoyée à l’école des Ursulines de Montauban, où elle apprit à lire, écrire, compter et faire de la couture. Cette éducation était fort limitée, et on sait par ailleurs que Gouges avait du mal à manier la plume, et employait les services d’un secrétaire, ce qui lui valut une réputation d’illettrée (alors que beaucoup d’auteurs avaient des secrétaires, comme, par exemple, Condorcet). Sophie de Grouchy, qui épousa Condorcet en Toutes deux sont pourtant devenues autrices, philosophes politiques, dont les écrits ont influencé le cours de la Révolution française. Sophie de Grouchy – qui était également artiste et traductrice – accéda à la tribune médiatique de façon plutôt anonyme : elle participa au journal Le Républicain, mais seuls les noms de son mari et d’autres hommes qui y étaient associés sont mentionnés dans le journal. Olympe de Gouges, elle, créa sa propre tribune – suivant son principe que « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Sa maison d’édition et sa librairie c’est Paris même. Elle fait imprimer ses textes en grand format et paye un afficheur qui va les coller sur les murs de Paris. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle fut arrêtée : son afficheur l’a dénoncée. Chacune, avec son éducation, a trouvé une tribune et une manière de diffuser ses idées. Seulement, étaient-elles entendues ? Car il n’était pas commun pour les femmes d’être publiées, encore moins d’être entendues, ou lues. La bienséance exigeait que les femmes se comportent d’une certaine façon, en particulier en compagnie d’hommes, si bien qu’il n’était pas simple, même pour une hôtesse de salon littéraire, d’exprimer son point de vue sans risquer d’être diffamée. Passer outre les « bonnes manières » ou la « civilité » signifiait que l’on était grossier, et qu’on n’appartenait pas à la bonne compagnie des salons. Bien sûr, il est à souligner qu’il y a presque toujours eu des exceptions aux règles qui forçaient les femmes à rester chez elles, faisant du silence leur vertu principale. Ainsi, dans la Grèce antique, certaines femmes, si elles étaient étrangères, et si, au lieu de se marier, devenaient maîtresses d’hommes au pouvoir, bénéficient de plus de liberté de mouvement et d’expression que les femmes mariées. Ainsi, on sait qu’Aspasie, la philosophe originaire de Milet, fut la maîtresse de Périclès, mais aussi, selon Platon, celle qui écrivit ses discours les plus connus. Olympe de Gouges bénéficia d’un statut semblable à celui des hétaïres de la Grèce ancienne. C’est-à-dire qu’elle fut considérée par beaucoup comme une courtisane. Sophie de Grouchy, de son côté, fut le sujet de nombreuses caricatures, d’une description dans un journal royaliste, comme porteuse de toutes les maladies vénériennes imaginables, et dispensant des faveurs sexuelles à tout un chacun républicain. Si elles avaient toutes deux leurs entrées dans les salons révolutionnaires, elles étaient sûrement confrontées à une critique sévère et misogyne de la part des critiques. Une femme pouvait produire des écrits attrayants, charmants, piquants peut-être, mais non pas des écrits de substance ou de génie. Et, comme l’écrivit le philosophe Victor Cousin au xixe siècle, les femmes de lettres pouvaient être admirables, mais pas les femmes Quand le traité philosophique sur la sympathie de Sophie de Grouchy parut en 1798, les revues furent généralement positives, car il s’agissait avant tout d’un commentaire sur Adam Smith – tout du moins c’est ce que les lecteurs les moins éclairés y virent. Mais c’est son style d’écriture qui fut attaqué : « On a reproché au style de l’ouvrage de n’avoir ni toute la grâce qu’on trouve d’ordinaire dans ce qui sort de la plume des femmes, ni toute la correction qu’on exige des hommes. » (Pierre-Louis Roederer, Journal de Paris, 14 juillet 1798). Roederer continue : c’est une erreur, dit-il, de critiquer ainsi le style de Grouchy, qui est simple, clair, sans prétentions, même si peut-être trop familier par moments. Roederer ne se trompe pas moins sur le contenu philosophique du traité. Il le lit comme un traité sur l’amour, un sujet qui convient d’après lui aux femmes. Même parmi ceux qui souhaitent défendre la philosophie des femmes, les murs des préjugés restent difficiles à franchir. Ainsi quand ce n’est pas le sujet, c’est le style qui est attaqué pour délégitimer le propos et le statut des femmes qui font de la philosophie. Sophie de Grouchy survit à son mari et à la Terreur. Elle est décédée en 1822, à l’âge de 58 ans. Il nous reste peu d’œuvres de Grouchy. De ses écrits on retient, qu’en tant que républicaine, Sophie de Grouchy a soutenu que « la sympathie, et non la domination, doit être le ciment qui maintient la société ensemble ». Olympe de Gouges est glorifiée comme une révolutionnaire, pas comme une philosophe. Pourtant, toutes deux ont philosophé la révolution, et fait rare, en tant que femme. Il est temps de revenir en arrière pour réviser l’histoire des femmes philosophes et les intégrer pleinement à notre schéma de pensée collectif. Des choses que je recommande (pas beaucoup car la newsletter est assez longue comme ça) Une série intimiste et poétique sur Netflix, A Body That Works où on parle couple, l’infertilité et GPA : c’est sublime. J’ai enfin vu ce film, Women Talking de Sarah Polley. Dans une communauté religieuse reculée, mais contemporaine, des femmes se rendent compte qu’elles ont été droguées puis victimes d’agressions sexuelles (ça vous rappelle quelque chose) pendant Le film Emilia Perez d’Audiard : oh. Mon. Dieu. J’ai adoré, courrez-y. // Ouvrez avec nous la première clinique d’avortement en Pologne ! // Abortion Dream Team recherche 5,000 euros (oui, c’est tout) pour ouvrir la première clinique dédiée à l’avortement en Pologne (conséquence de l’extrême-droite au pouvoir). Nous avions fait un portrait d’une de ses fondatrices dans Impact. Si vous voulez aider, c’est ici. *** Si vous avez des suggestions de livres, d’articles, de séries, de films à mettre ici, envoyez-moi les par retour d’email. MERCI *** *** Concours en partenariat avec Les Editions du Seuil *** Gagnez Je t’ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres d’Irene Solà (rentrée littéraire) Il est rare que les femmes soient les protagonistes principales. Encore plus rares qu’elles soient vieilles. Ici, elles sont aussi laides, marginales, mortes. On les suit une journée, alors qu’elles préparent un dîner dans le mas où elles habitent pour celle qui les rejoindra bientôt.
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