Bienvenue dans La Preuve, un supplément de la newsletter Impact créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre grâce aux sciences sociales.
Cette newsletter vous est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal. À la rencontre des « super geeks » de l’égalité salariale par Josephine Lethbridge Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici – https://lesglorieuses.fr/les-super-geeks/ La Suède est largement considérée comme un leader mondial en matière d’égalité salariale. Depuis 2009, les employeur·es sont légalement obligé·es de déclarer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes et de publier des plans d’action pour remédier aux inégalités de salaire. Le pays est largement en avance depuis des années en ce qui concerne les politiques progressistes de congé parental et de garde d’enfants, qui réduisent les pénalités sur leur carrière que les femmes subissent en devenant mères. Il n’est donc pas surprenant que la Suède soit classée cinquième dans le Rapport mondial sur les inégalités de genre du Forum économique mondial. Mais cela ne suffisait pas pour les chercheuses Marie Trollvik, Anita Harriman et Lena Johansson. Après tout, la Suède n’a pas encore atteint l’égalité : l’écart salarial y était encore de 11,1 % en 2022. “Nous avons travaillé sur ces questions toute notre vie professionnelle. Et quand nous avons pris notre retraite, nous avons refusé d’abandonner, car nous avions l’impression que personne ne prenait cela au sérieux”, raconte Marie Trollvik. Après avoir passé leurs carrières à se travailler sur l’écart salarial de différentes manières, Marie Trollvik, Anita Harriman et Lena Johansson ont créé un cabinet de conseil qu’elles ont appelé Lönelotsarna (qui se traduit plus ou moins par “les pilotes du salaire”). Leur objectif : continuer à demander des comptes à la Suède et à ses employeur·es. Depuis 2015, Lönelotsarna publie des rapports annuels qui mettent en lumière les écarts de salaire entre les différents secteurs. Minna Cowper-Coles, experte des inégalités salariales au King’s College à Londres, a décrit les trois femmes comme des “super geeks du calcul de l’égalité salariale – mais de l’égalité pour des travaux de valeur égale”. Lönelotsarna examine les emplois dans différents secteurs et les évalue selon plusieurs critères : le niveau de formation et d’expérience requis ; le niveau de responsabilité ; les conditions physiques et mentales du poste ; ainsi que les compétences sociales et de résolution de problèmes nécessaires. L’équipe utilise ensuite ces critères pour regrouper les emplois de valeur égale. Grâce aux données salariales exhaustives que produit la Suède, Lönelotsarna peut ensuite comparer chaque emploi dans le pays pour révéler les écarts structurels de rémunération. “C’est la différence entre les “emplois des femmes” et les autres emplois”, m’explique Marie Trollvik. Leurs rapports démontrent systématiquement que les professions dominées par les femmes en Suède sont moins bien rémunérées que celles dominées par les hommes, même lorsqu’elles nécessitent les mêmes niveaux de compétences, de formation ou de responsabilités. Par exemple, les professeur·es de primaire et les travailleur·euses sociales sont nettement moins bien payé·es que les policier·es, alors que ces postes demandent plus de compétences, de savoirs et d’efforts. Lönelotsarna a également montré que les sages-femmes gagnent beaucoup moins que les ingénieur·es civil·es, alors que les deux métiers sont très demandés et exigent des niveaux similaires de formation, de compétences, de responsabilités et des conditions de travail comparables. “En réponse à nos chiffres, les gens disent toujours : « Oh, c’est le marché ». Mais nos rapports ont montré que lorsque le marché a besoin de professions occupées par les femmes, ces métiers ne bénéficient pas des augmentations salariales que connaissent les professions dominées par les hommes”, précise Marie Trollvik.
En voici la preuveLe travail de Lönelotsarna offre une réponse solide aux personnes qui remettent en question le rôle de la discrimination, des stigmates et des normes patriarcales dans l’écart persistant entre les salaires des hommes et des femmes. Il montre que les forces du marché ne peuvent pas entièrement expliquer l’écart salarial entre les genres, même lorsque l’écart est “ajusté” pour comparer des postes à niveaux de compétence et de responsabilité égaux. Il révèle également la dévalorisation massive des métiers du soin.Les tentatives de mesurer et d’expliquer cet écart ont évolué au cours des dernières décennies. Elles ont vraiment commencé à prendre de la vitesse dans les années 1970, explique Yana Rodgers, directrice du Centre pour les femmes et le travail de l’Université Rutgers. À l’époque, inspiré·es par les recherches sur les inégalités raciales de salaire, des expert·es ont commencé à mesurer les écarts de salaire entre les genres.Elles l’ont fait en divisant l’écart en deux composantes : les différences observées entre les hommes et les femmes en termes d’éducation et d’expérience, et les différences qui étaient “inexplicables” par ces caractéristiques. “C’est la portion que certaines personnes attribuent à la discrimination, et que d’autres, en particulier les économistes néoclassiques qui ne croient pas à la discrimination, qualifieraient simplement de ‘non expliquée – nous n’avons pas les données, mais si nous les avions, nous pourrions expliquer cet écart’”, explique Yana Rodgers.Depuis, une nouvelle méthode consiste à utiliser des études de terrain pour mesurer plus directement la discrimination. Cela peut inclure l’envoi de centaines de candidatures fictives avec des prénoms reconnaissables comme masculins ou féminins, par exemple, pour mesurer les biais à l’égard des candidates féminines. Mais l’accent reste principalement mis sur l’égalité des chances au sein d’un même emploi.Bien sûr, il est important de déterminer si un homme et une femme ayant la même formation, expérience et compétences sont payé·es le même salaire pour le même poste : si ce n’est pas le cas, il s’agit d’une discrimination claire. Mais se concentrer uniquement sur cela, comme l’ont fait les études initiales, ignore les problèmes systémiques beaucoup plus vastes qui sous-évaluent les professions à prédominance féminine (comme les soins infirmiers). La Nouvelle-Zélande et le Canada étaient à l’avant-garde de cette reconnaissance dans les années 1990 : des féministes ont commencé à exiger non seulement une égalité salariale pour le même emploi, mais aussi pour des emplois de valeur égale.Trente ans plus tard, nous ne sommes pas beaucoup plus proches de l’équité salariale dans la plupart des pays, même ceux considérés comme des leaders de l’égalité de genre, comme l’a montré Lönelotsarna.Travail reproductifAujourd’hui, il existe d’innombrables indices, tels que le Rapport mondial sur l’écart entre les genres ou l’Indice de l’égalité de genre de l’Union européenne, qui tentent de mesurer les inégalités de genre – dont une grande partie est constituée par l’écart salarial – et de les comparer à l’échelle internationale. De nombreux progrès ont été réalisés. Mais “il faut prendre chacun de ces indices avec des pincettes”, dit Yana Rodgers. “Un certain nombre d’entre eux utilisent, par exemple, les taux de participation des femmes au marché du travail. Mais un taux élevé de participation des femmes n’est pas nécessairement une bonne chose si les opportunités professionnelles des femmes sont limitées à des emplois mal rémunérés.”Le problème n’est pas seulement ce que les expert·es appellent la “ségrégation professionnelle” : le fait que les professions à prédominance féminine ont tendance à être moins bien rémunérées. D’autres facteurs forcent régulièrement les femmes à abandonner leurs ambitions professionnelles, à quitter le marché du travail ou à choisir des professions peu rémunérées. “La principale explication des inégalités salariales entre les genres est le travail de soin, et le rôle disproportionné des femmes dans ces soins”, ajoute Rodgers.Cela signifie que nous devons non seulement examiner la surreprésentation des femmes dans les emplois mal rémunérés, mais aussi mesurer la quantité de travail non rémunéré que les personnes effectuent en dehors de leur emploi salarié. Très peu d’indices d’égalité de genre tiennent compte correctement de ce travail. En fait, la plupart considèrent le travail reproductif non rémunéré (par exemple, cuisiner, laver les vêtements et s’occuper des enfants) de la même manière que le temps libre. Une analyse réalisée en 2022 de 17 indices de l’inégalité de genre entre pays a révélé qu’un seul – l’Indice africain du genre et du développement – se démarquait “par son objectif explicite de rendre visible le travail non rémunéré des femmes” en prenant en compte le travail reproductif non rémunéré. Plus on examine l’écart salarial genré de près, plus cela devient complexe. De nombreux facteurs entrent en jeu : la discrimination flagrante envers les femmes sur le lieu de travail ; le fait que les femmes dominent certaines professions et pas d’autres ; la dévalorisation de ces professions ; les pénalités professionnelles que subissent les femmes lorsqu’elles deviennent mères ; les possibilités d’emploi limitées pour les femmes cherchant un travail à temps partiel ou flexible. Toutes ces discriminations sont aggravées par d’autres formes de discrimination et chacune d’entre elles pourrait faire l’objet d’une newsletter à elle seule – et elles le feront. “Tout se résume par la valeur accordée au soin”, conclut Yana Rodgers. “Si nous sommes toutes et tous conscient·es que le marché ne valorise pas ou sous-évalue le travail de soin, alors nous réalisons que c’est la responsabilité de chacun·e d’entre nous d’y accorder plus d’importance au quotidien. Je pense que cela contribuerait à réduire les écarts de rémunération entre les genres.” Pour comprendre ce que cela signifie en termes de politique, j’ai consulté quelques expert·es et lu plusieurs rapports (celui de Minna Cowper-Coles sur les rapports d’écarts salariaux dans six pays était particulièrement éclairant) pour comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ce qui marche
Ce qui ne marche pas
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La version en anglais est financée par Sage, la traduction est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal.
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