« Je me sens féministe, très solidaire des femmes quelles qu’elles soient. » — Simone Veil Bienvenue dans la newsletter Impact — votre guide de la révolution féministe. Cette semaine, nous vous proposons un entretien avec une militante pour l’accès à l’IVG pour tous·tes en Europe. Vous n’avez qu’une minute pour lire ? Voici la newsletter en bref :
Pour rester informé·e de toutes les actualités sur les inégalités de genre, suivez-nous sur Instagram et LinkedIn. Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici – http://lesglorieuses.fr/ma-voix-mon-choix “Créer du fun” : trouver de la joie et soutenir le droit à l’avortement en Europe Par Megan Clement Un des objectifs fondamentaux de l’Union européenne est d’”offrir liberté, sécurité et justice sans frontières internes” aux 448 millions d’habitant·es de ses 27 pays. Mais ces valeurs ambitieuses ne s’étendent pas aux droits reproductifs. L’accès à un avortement sûr, légal et abordable dépend d’où vous vivez dans l’UE. Si vous habitez aux Pays-Bas, vous pouvez interrompre une grossesse non désirée ou non viable jusqu’à 24 semaines. Si vous vivez en Pologne, où l’avortement est pratiquement interdit, vous risquez de mourir faute d’accès aux soins dont vous avez besoin — au moins six femmes sont décédées depuis que le pays a encore durci ses lois sur l’avortement, déjà très restrictives, en 2021. La disponibilité de pilules abortives en ligne permet à des personnes dans des pays comme Malte, où l’avortement est aussi interdit sauf rares exceptions, d’avoir accès à l’IVG en début de grossesse depuis chez elles. Mais chaque année, des centaines de personnes doivent encore voyager dans l’UE pour accéder aux soins qu’elles ne peuvent pas obtenir dans leur propre pays. Ces voyages sont coûteux, et une armée de féministes, comme le réseau Abortion Without Borders, travaille pour soutenir celleux qui en ont besoin. Et si l’UE respectait un autre de ses idéaux fondateurs, celui de la solidarité, pour garantir que toute personne ayant besoin d’un avortement puisse y accéder sans avoir à payer ? Et si rendre cela possible pouvait être fun ? C’est l’idée derrière Ma Voix, Mon Choix, une campagne qui récolte des signatures pour une initiative citoyenne visant à créer un fonds permettant aux gens d’accéder à l’avortement dans d’autres pays de l’UE si nécessaire. La campagne doit réunir 1,2 million de signatures d’ici avril pour présenter sa proposition à la Commission européenne. (Elle a franchi le seuil minimum d’un million juste avant décembre, mais elle a maintenant besoin de 200 000 signatures supplémentaires pour compenser les doublons ou les signatures invalides.) Aujourd’hui, alors que l’homme principalement responsable de la fin du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis — un homme reconnu coupable d’abus sexuels — prête serment pour un deuxième mandat présidentiel, nous publions une interview de Lana Čop de Ma Voix, Mon Choix. Elle nous raconte ce qu’elle a appris sur la joie et la communauté dans le militantisme pour le droit à l’avortement en des temps politiques sombres. Notre conversation a été éditée par souci de brièveté et de clarté. Des député·es italien·nes portent les t-shirts de la campagne dans le parlement du pays. Megan Clement : Comment votre mouvement a-t-il commencé ? Lana Čop: L’histoire remonte à 2019, quand le mouvement #MeToo est arrivé des États-Unis en Europe, et qu’un groupe d’ami·es de l’Institut 8 Mars a décidé de l’amener en Slovénie. Le groupe a recueilli les témoignages de victimes de harcèlement sexuel et, en les lisant, elles ont compris qu’il y avait un problème avec la définition du viol dans le droit slovène. En cherchant une solution, elles ont découvert que les citoyen·nes de Slovénie peuvent demander à l’Assemblée nationale de modifier ou de réécrire une loi par le biais d’une initiative citoyenne. Ce groupe d’ami·es a réécrit la loi en suivant le modèle de consentement “un oui est un oui”. Elles ont recueilli les signatures extrêmement vite pendant le coronavirus et ont ensuite fait campagne pour cela. Elles sont allées au parlement, et tous les partis politiques sauf un ont voté en faveur de cette loi. Depuis 2019, l’institut a modifié 17 lois en Slovénie. Nous avons organisé deux référendums nationaux et les avons gagnés, et nous avons aussi mené la plus grande campagne pour inciter au vote avant les élections. Nous avons commencé à gagner de l’expérience en création de mouvement, en collecte de signatures, en campagnes, et nous avions envie de porter cela au niveau européen. Puis la décision Roe v. Wade est arrivée aux États-Unis, qui a été un choc pour le monde entier. [Note de la rédaction : en 2022, la Cour suprême des États-Unis a annulé Roe v. Wade, une décision qui protégeait le droit à l’avortement partout dans le pays. Depuis, 13 États américains ont interdit l’avortement.] Nous nous sommes dit : “Nous ne pouvons pas laisser cela arriver en Europe aussi. Nous devons protéger l’accès à l’avortement dans tous les États membres de l’UE.” Nous avons commencé à chercher les options pour que la société civile influence le droit européen. Il y a deux façons. La première consiste Les droits reproductifs et de santé relèvent des compétences des États membres, pas de l’UE. Demander un nouveau droit à l’avortement, bien que ce soit le scénario idéal, n’était pas envisageable dans la situation politique actuelle, alors nous cherchions une solution plus réaliste. Nos avocat·es ont compris que, pour que cela relève du droit européen, nous devions adopter une perspective sanitaire. Nous avons donc demandé à l’UE de créer un nouveau mécanisme financier pour couvrir le coût de l’avortement dans les pays où cela est légal pour tous·tes les citoyen·nes de l’UE qui n’ont pas accès à l’avortement dans leur pays. Actuellement, 20 millions de citoyen·nes n’ont pas accès à l’avortement dans l’Union européenne, et c’est horrible. Megan Clement : Comment ce mécanisme financier fonctionnerait-il ? Lana Čop: Cela permettrait à une femme de Pologne, qui n’a pas accès à l’avortement, de bénéficier d’un avortement gratuit en France, par exemple, où cela est possible. Ce mécanisme ne serait pas obligatoire. Seuls les pays qui souhaitent participer à ce programme y adhéreraient. Une fois que nous aurons un million de signatures, la Commission européenne examinera les implications financières, pratiques et juridiques. Megan Clement : Et donc, si un pays comme la France dit : “OK, nous signons”, alors il reçoit des fonds de l’UE pour fournir des avortements à des personnes d’autres États membres qui en ont besoin ? Lana Čop: Exactement. Photo : Ma Voix, Mon Choix Megan Clement : L’idée est-elle de créer un système plus juste à travers l’Europe, afin que tout le monde ait les mêmes droits ? Lana Čop: Il s’agit d’offrir ce droit humain fondamental et ce service de santé essentiel à toutes les femmes en Europe. Il s’agit de protéger leur droit de choisir. Il s’agit de protéger leurs vies. Il s’agit aussi de solidarité entre les citoyen·nes de l’Union Megan Clement : Quelles stratégies utilisez-vous pour mobiliser du soutien pour cette mesure ? Lana Čop: D’abord, nous avons créé un réseau à travers l’UE. Nous avons collaboré et établi des liens avec de nombreuses organisations féministes, mais aussi des organisations de défense des droits humains et de la société civile à travers l’Union européenne. Pour la deuxième étape, nous avons ouvert la possibilité à tous·tes les citoyen·nes et individus de participer. Nous avons créé une grande communauté sur WhatsApp à laquelle tout le monde pouvait se joindre, puis nous avons formé des groupes par pays. Nous avons envoyé beaucoup de jolis objets. Nous avions des t-shirts, des boucles d’oreilles, des autocollants [et des affiches] envoyés partout en Europe. Nous avons collecté des signatures sans arrêt, mais nous avons aussi organisé des semaines d’action spécifiques, par exemple autour du 8 mars [ndlr : Journée internationale des droits des femmes]. Nous avons contacté certain·es influenceur·euses et des médias pour partager notre contenu. Notre compte Instagram informe sur ce qui se passe en Europe concernant l’avortement et les sujets féministes, mais elle est aussi drôle. Elle suit toutes les tendances qui circulent sur les réseaux sociaux et partage le message à travers des éléments ludiques. Nous sommes allé·es dans les universités pour parler avec des étudiant·es ; c’est aussi là que nous avons recruté beaucoup de bénévoles, car il faut des ressources humaines. Ensuite, nous avons participé à des événements organisés par différentes associations ou municipalités ici à Strasbourg. Nous sommes allé·es à des concerts et à différentes manifestations. Nous avons essayé d’être actif·ves sur tous les fronts possibles. Les acteurs Mark Ruffalo et Ramy Youssef ont soutenu la campagne lors de la cérémonie des Oscars. Megan Clement : Une idée reçue sur l’avortement, c’est que les gens peuvent soutenir ce droit, mais qu’il est considéré comme controversé, et qu’ils n’ont pas envie de le revendiquer haut et fort. Pourtant, vous semblez ne pas avoir eu de mal à trouver du soutien. Lana Čop: Les chiffres montrent que les gens en Europe sont pour l’accès à l’avortement. Les personnes qui s’y opposent parlent juste plus fort, et elles en parlent plus. Elles sont plus actif·ves sur les réseaux sociaux. C’est pour ça que nous avons l’impression d’entendre davantage leur message, mais la majorité des citoyen·nes de l’Union européenne soutient l’accès à l’avortement. Je ne dis pas que tout est parfait, et nous avons fait face à certaines attaques, mais en général, nous avons eu des expériences très positives pendant notre campagne. Parfois, nous sommes rejoint·es par des personnes inattendues. Megan Clement : Lorsque nous pensons à ce qui se passe en Europe actuellement, nous pensons souvent à la montée de l’extrême droite — cela se passe ici en France, nous le voyons en Allemagne, et bien sûr, il y a des gouvernements existants très opposés aux droits reproductifs. Cette campagne représente l’opposé de cette tendance. Lana Čop : Nous avons observé la montée de gouvernances autoritaires dans toute l’Europe, et nous savons qu’ils sont très bien connectés. Ils se connectent au delà des frontières, ils se rencontrent, ils coopèrent, ils partagent des stratégies, ils s’inspirent les uns des autres. Ils apprennent de leurs succès, ils apprennent de leurs erreurs, et ils avancent dans la Megan Clement : Avez-vous des conseils ou des stratégies à partager pour contrer les récits et mouvements d’extrême droite en Europe ? Lana Čop : Nous devons être actif·ves sur les réseaux sociaux [parce qu’]ils sont très actif·ves sur les réseaux sociaux. Utilisez WhatsApp ou Instagram pour créer des communautés. Créez du fun. Je pense souvent que nous manquons de moments fun qui pourraient attirer les citoyen·nes. Connectez-vous au-delà des frontières, connectez-vous avec des ami·es, faites partie de petites communautés près de chez vous. Les communautés et les petits groupes de personnes ont un tel pouvoir de changer les choses quand ils travaillent ensemble. Megan Clement : Je pose la même question à toutes les personnes que j’interviewe pour cette newsletter. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ? Lana Čop : La communauté. Photo : Ma Voix, Mon Choix À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Vous aimez la newsletter ? Pensez à faire un don. Votre soutien nous permettra de financer cette newsletter et de lancer des nouveaux projets.
|
Inscrivez-vous à la newsletter gratuite Impact (francais) pour accéder au reste de la page
(Si vous êtes déjà inscrit·e, entrez simplement le mail avec lequel vous recevez la newsletter pour faire apparaître la page)
Nous nous engageons à ne jamais vendre vos données.