Depuis que j’ai commencé à écrire Les Glorieuses, une chose me dérange. Non c’est faux, plein de choses me dérangent mais généralement celles-ci tiennent à des faits d’actualité – d’autant plus quand ceux-ci sont analysés par CNews. Une chose me dérange donc. Le fait que n’importe quelle personne n’ait aucun problème à me réclamer mon avis sur n’importe quelle question. Quand je dis « n’importe quelle personne », j’entends à la fois cet avatar sur Twitter dont le pseudonyme ressemble davantage à un numéro de téléphone dans les années 1990 qu’à un prénom et cet individu croisé une fois dans une fête organisée chez ma mère – merci de ne pas juger ma vie sociale. Et quand je dis « n’importe quelle question », j’entends évidemment l’affaire Mila. L’affaire Mila est une affaire compliquée. Si vous ne l’avez pas suivie (sans doute parce que vous avez une vie – contrairement à moi qui ai l’honneur de recevoir un push hebdomadaire « temps d’écran saturé “alerte-regarde-le-ciel,-il-est-bleu” »), je vais essayer de la résumer en quelques mots. Mila est une jeune femme de 16 ans qui a tenu des propos irrespectueux envers l’Islam, sur Instagram. Résultat, elle est harcelée sur les réseaux sociaux et ne peut plus revenir à l’école. En d’autres mots, pour reprendre les mots de Mila (ma meilleure amie/pas celle de l’affaire), « c’est une meuf qui a insulté l’Islam et qui se prend un backlash de l’enfer sur les réseaux 🤷🏼♀️ ». C’était le 23 janvier dernier. Je me disais que j’allais un peu lever le pied sur les réseaux sociaux. Résultat, je suis sur Twitter 15 secondes plus tard. Merci Mila (je ne sais plus trop laquelle). Cela va sans dire mais j’insiste, je condamne les propos islamophobes. Je condamne le harcèlement que cette jeune femme a subi. Je condamne sa récupération par l’extrême droite. Mais je ne suis pas « pour » ou « contre » cette affaire, encore moins envers une personne. Je n’ai pas un propos net, dénué d’hésitation. Et je pense, que tout ne devrait pas être dichotomique. Tout ne devrait pas être manichéen. C’est la philosophe Simone Weil qui disait que la volonté d’avoir une pensée sans nuance nous éloignait constamment de la vérité. Oui Weil avec un W. Pas celle dont on voit le contour de visage aux couleurs de Warhol fleurir partout dans les rues de Paris. Simone Weil est un des plus grands génies que la France ait connu. C’était une idéaliste, une intellectuelle, qui pensait que les partis politiques n’étaient que des machines à générer des passions collectives. Elle affirmait également que la classe ouvrière ne pouvait pas faire l’objet d’analyses quand on n’était pas travailleuse (c’est pourquoi elle a pris une année « sabbatique » à 24 ans pour travailler dans une usine après avoir été diplômée de l’École normale supérieure). Elle a influencé la pensée des plus grand·e·s : Arendt, Camus, Sontag… Weil est on ne peut plus d’actualité. Dans Note sur la suppression générale des partis politiques (1940), elle écrit : « On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu’en prenant position “pour” ou “contre” une opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C’est exactement la transposition de l’adhésion à un parti. » Selon Weil, ce sont les partis politiques qui mènent la danse, car ils contrôlent le pouvoir et eux seuls sont les bénéficiaires d’une pensée dénuée de nuance. « Les institutions qui déterminent le jeu de la vie publique influencent toujours dans un pays la totalité de la pensée, à cause du prestige du pouvoir. » Elle continue. « Comme, dans les partis politiques, il y a des démocrates qui admettent plusieurs partis, de même dans le domaine des opinions les gens larges reconnaissent une valeur aux opinions avec lesquelles ils se disent en désaccord. C’est avoir complètement perdu le sens même du vrai et du faux. D’autres, ayant pris position pour une opinion, ne consentent à examiner rien qui lui soit contraire. C’est la transposition de l’esprit totalitaire. » Si nous devions transposer ces propos aux situations actuelles, on pourrait dire que certaines opinions n’ont pas de valeur (cf. les miennes sur l’ensemble des sujets que je ne maîtrise pas ; cf. aussi celles des personnes condamnées pour incitation à la haine raciale et avec qui il n’est pas légitime de débattre). Le « pour » et le « contre » ne sont pas l’apanage de Twitter. La philosophe raconte l’absence de nuance avec laquelle la société française s’est illustrée quand elle s’est exprimée sur la venue d’Einstein en France (on est dans les années 20). « Quand Einstein vint en France, tous les gens des milieux plus ou moins intellectuels, y compris les savants eux-mêmes, se divisèrent en deux camps, pour et contre. Toute pensée scientifique nouvelle a dans les milieux scientifiques ses partisans et ses adversaires animés les uns et les autres, à un degré regrettable, de l’esprit de parti. Il y a d’ailleurs dans ces milieux des tendances, des coteries, à l’état plus ou moins cristallisé. Dans l’art et la littérature, c’est bien plus visible encore. Cubisme et surréalisme ont été des espèces de partis. On était “gidien” comme on était “maurrassien”. Pour avoir un nom, il est utile d’être entouré d’une bande d’admirateurs animés de l’esprit de parti. » Nous ne sommes pas obligé·e·s d’être « pour » ou « contre » toutes les affaires qui nous entourent – a fortiori lorsqu’on n’est pas spécialiste de la question. La pensée binaire, sans nuance, n’est que le reflet d’une même passion. « De même il n’y avait pas grande différence entre l’attachement à un parti et l’attachement à une Église ou bien à l’attitude antireligieuse. On était pour ou contre la croyance en Dieu, pour ou contre le christianisme, et ainsi de suite. On en est arrivé, en matière de religion, à parler de militants », conclut Weil. Et en matière de politique, à parler de religieux. (Désolée, cette semaine il y en a beaucoup en anglais)(Faut vraiment que j’arrête de m’excuser dans ma propre newsletter). 1/ TikTok ou comment on peut changer le monde quand on n’a ni pouvoir ni argent. C’est la newsletter #LesPetitesGlo de la semaine. 2/ Vous êtes à Paris et vous n’avez rien prévu le 4 mars ? Participez à l’Editathon 3/ Claire Bretécher, pionnière de la BD et créatrice d’« Agrippine » et des « Frustrés », est morte. 4/ Qu’attendons-nous de l’Histoire ? Zadie Smith parle de Kara Walker. 5/ Ce nouveau prix littéraire récompense une femme ou personne non binaire écrivain·e avec une dotation de $100,000 (parce qu’on le sait toutes, les statuettes ne paient pas le loyer). 6/ La famille nucléaire était une erreur. (Merci Aline Mayard, merci <3) 7/ « Notre existence, c’est la résistance ». Une heure avec AOC, Ayanna Pressley, Rashida Tlaib & Ilhan Omar. (via Mona Chollet, merci <3) 8/ Vous êtes fan d’Une nounou d’enfer ? Cet interview de Fran va vous illuminer votre journée. 9/ « Le pouvoir des mères » – Charlotte Bienaimé est toujours aussi juste pour Un podcast à soi. 10/ Oscars : Une publicité sur le post-partum jugée « trop crue » par la chaîne ABC. En février, pas de club des Glorieuses… mais en mars il y en aura 2 ! Pas encore inscrite au Club, rdv ici. – Conférence « Inégalités salariales : de la réflexion à l’action » le vendredi 6 – La « Pitch Night », une soirée autour de l’entrepreneuriat le mardi 10 mars à 19h dans nos locaux (Paris 11) avec Lisa Gachet (Make My Lemonade), Rebecca Amsellem et d’autres 😉 Places limitées également (nous les mettrons en vente dès la semaine prochaine)(pour de vrai). + On lance très prochainement le programme « Les 100 Glorieuses » pour offrir 100 adhésions d’un an au Club à 100 Glorieuses. RDV le 20 février 😉 |