Pour une fois, je me permets de commencer cette newsletter sur une note personnelle. Je tiens à remercier toutes les personnes en France qui ont voté contre l’extrême droite et son programme de haine, de peur et de division ce dimanche. Comme beaucoup d’immigrant·es dans ce pays sans droit de vote, j’ai suivi ces dernières semaines de campagne en France avec un sentiment de terreur croissante : de la défaite de Macron aux élections européennes, à son pari risqué d’amener des élections législatives anticipées, au résultat dévastateur du premier tour où le Rassemblement National d’extrême droite a terminé en tête. J’ai fait ce que je pouvais : j’ai écrit, j’ai lu, j’ai manifesté, j’ai tenté de tirer la sonnette d’alarme sur les risques d’un gouvernement d’extrême droite. Et hier soir, quand les premiers sondages ont été publiés à 20h et ont montré une victoire du Nouveau Front Populaire, j’ai ressenti de l’espoir pour la première fois. De l’espoir, du soulagement et de la gratitude envers mes voisin·es, mes ami·es, les personnes qui ne sont pas d’accord avec moi et celles qui le sont – envers toutes les personnes qui se sont mobilisées dans des proportions sans précédent pour dire non au racisme, à la xénophobie, à l’islamophobie, à l’antisémitisme, à l’homophobie, à la transphobie et à la misogynie du Rassemblement National. Le combat est loin d’être terminé. Le Rassemblement National a fini troisième, mais il a gagné plus de 50 sièges de plus au parlement et recueilli les voix de plus de 8 millions de personnes. Le parti restera une force majeure en Europe, où il a de nombreux alliés d’extrême droite à travers le continent – des allié·es qui souhaitent interdire l’avortement et les transitions de genre, des allié·es qui Le front républicain français a une fois de plus triomphé, et j’en suis éternellement reconnaissante. Mais il reste encore du travail. L’extrême droite ne disparaîtra pas d’elle-même : la cheffe du Rassemblement National, Marine Le Pen, a déclaré que la victoire de son parti n’était “que différée”. Pour éviter une catastrophe à l’avenir, la France devra continuer à contrer l’extrême droite partout où elle se trouve. La lutte n’est pas encore terminée, et avec plus de femmes que jamais qui votent pour l’extrême droite, nous aurons besoin de réponses féministes dans les années à venir. Heureusement, il y a des féministes partout dans le monde qui ont l’expérience de résister aux forces de l’extrémisme, et elles ont beaucoup à nous apprendre, où que nous soyons, et que nous puissions voter ou non. La semaine dernière, j’ai écrit à certain·es de ces activistes pour leur demander des conseils sur la manière de continuer à affronter l’extrême droite en France. Debora Diniz connaît trop bien les dangers des forces d’extrême droite. Elle a reçu des menaces de mort pour avoir témoigné devant la Cour suprême du Brésil lors d’une audience sur la décriminalisation de l’avortement, et a été placée sous protection policière et finalement exilée à cause de son travail. Elle est considérée comme la première personne contrainte à l’exil sous le gouvernement de droite dure du Brésil, dirigé par Jair Bolsonaro, un politicien souvent comparé à Donald Trump. “Il y a deux leçons principales que je tire des moments difficiles de Jair Bolsonaro au pouvoir au Brésil. La première est la manière dont l’extrême droite fonctionne en répandant la peur, et comment cela peut paralyser le courage et la créativité féministes”, a-t-elle expliqué. Mais “nous ne pouvons pas changer des normes injustes par la peur.” “La deuxième leçon est qu’il faut ignorer la fausse prophétie du retour de bâton contre les idées féministes”, a-t-elle ajouté. Les manifestations de masse au Brésil à la veille des élections sous le mot d’ordre ”Pas lui” rappellent la mobilisation féministe que nous avons vue dans les rues de France avant le premier tour des élections le mois dernier. “Le récit du retour de bâton est un récit qui tente de contrôler notre élan de mobilisation et de participation politique”, analyse la militante. Bolsonaro a perdu le pouvoir en 2022 face au candidat de gauche Lula da Silva. La philosophe Marcia Tiburi a également quitté le Brésil en raison des menaces de mort de l’extrême droite, et a vécu en exil à Paris pendant les années Bolsonaro. “J’ai passé quatre ans en France à souffrir de la situation au Brésil et maintenant je suis au Brésil à souffrir de la situation en France,” déclare-t-elle. “Bolsonaro a laissé en héritage des horreurs et des personnages tout comme lui au sein du congrès national… Que la France ait réussi à stopper l’avancée de l’horreur hier est une chose à célébrer, mais nous devons rester vigilants.“ Nous aurons également besoin de construire des réseaux à travers l’Europe, d’après Zsofi Borsi, la cofondatrice de Lazy Women, un collectif né en Hongrie avec pour mission d’apporter des perspectives autres que celles d’Europe occidentale au discours féministe dominant. Dans son pays natal, le président d’extrême droite Viktor Orbán a fait passer des lois anti-LGBT et des restrictions sur les soins liés à l’avortement, tout en diabolisant les migrant·es. Son parti a rejoint un bloc d’extrême droite avec le Rassemblement National au parlement européen. “Que ce soit une ‘guerre’ contre les immigré·es, George Soros, l’UE ou le genre, en Hongrie, la machine de propagande d’Orbán abreuve la population de différents ennemis, et détruit systématiquement la tolérance du public pour la diversité, et la société civile dans son ensemble”, raconte Zsofi Borsi. Avec les forces d’extrême droite s’unissant à travers l’Europe, elle dit que les féministes devront faire de même. “Construire des réseaux de solidarité entre les petites organisations féministes pour élever les voix des un·es et des autres localement et dans la région – où de nombreux pays voisins font face à des défis similaires – joue un rôle crucial.” Depuis presque dix ans, les féministes d’Argentine sont des leaders mondiales qui ont réussi à transformer leur société pour le mieux. L’activiste Verónica Gago a été l’une des voix majeures du mouvement #NiUnaMenos qui a protesté contre les violences de genre à partir de 2015, et donné naissance à une nouvelle vague de discours féministes dans le monde, y inclus la “vague verte” qui a permis à de nombreux pays d’Amérique latine d’obtenir le droit à l’avortement. Mais l’élection récente en Argentine prouve que les victoires féministes ne peuvent jamais être prises pour acquises : en l’espace de quelques mois seulement, le président ultraconservateur Javier Milei a décimé nombre de ces droits durement acquis. “L’extrême droite au gouvernement, cela veut dire un recul absolu des conditions qui rendent possibles nos luttes”, a déclaré l’activiste et autrice argentine. “En tant que féministes, notre engagement est de lutter contre le fascisme de toute notre force. C’est ce que nous faisons ici. Il est aussi essentiel de renforcer les luttes transféministes. Nous devons continuer à nous organiser et, surtout, à construire et élargir nos alliances.” Ces dernières années, l’Inde a été témoin de la montée du nationalisme hindou et des idéologies d’extrême droite. Mais les dernières élections ont vu le parti nationaliste Bharatiya Janata du Premier ministre Narendra Modi perdre sa majorité parlementaire pour la première fois depuis 2014. Teesta Setalvad est une militante féministe, journaliste et fondatrice de Sabrang Trust et Citizens for Justice and Peace. Elle a longtemps milité pour les victimes des émeutes du Gujarat en 2002 et a été détenue pour son activisme par le gouvernement. “L’extrême droite dans différents pays, contextes et cultures présente une similarité étrange, voire effrayante”, a-t-elle remarqué. “Il est plus que temps de forger des alliances internationales.” “L’Inde a vécu cela, l’a vu et en sort lentement (espérons-le), bien que marquée et blessée… Nous souhaitons bonne chance à nos sœurs en France alors que nous-mêmes luttons pour respirer un peu plus facilement tout en étant encore menacé·es par des nuages noirs en Inde.” Des millions de personnes en France, et celles qui nous regardent partout dans le monde, respirent un peu plus facilement aujourd’hui. Une fois de plus, l’extrême droite était aux portes du pouvoir. Une fois de plus, elle a été repoussée par une population qui a choisi l’espoir plutôt que la haine. Une fois de plus, les féministes ont montré la voie. Dès aujourd’hui, la lutte continue, mais rappelons-nous : nous sommes plus nombreuses et nombreux qu’eux. Merci à Mariana Fagundes, Agustina Ordoqui et Bhanupriya Rao pour leur aide dans la rédaction de cet article. À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Vous aimez la newsletter ? Pensez à faire un don. Votre soutien nous permettra de financer cette newsletter et de lancer des nouveaux projets.
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