Chères Glorieuses, Chers alliés des Glorieuses, « J’en ai rien à faire / De ce que tu portais / J’en ai rien à faire de savoir à quel point tu avais bu / J’en ai rien à faire / Si tu dansais avec lui en début de soirée / Si tu lui avais envoyé un message en premier / Ou si c’était toi qui était allée chez lui / Les gens vont peut-être continuer à inventer des raisons pour expliquer « pourquoi ça s’est passé » / Mais la vérité est que j’en ai rien à faire ». Chanel Miller – de son nom chinois Zhang Xiao Xia – a 27 ans et se tient sur la scène d’une soirée Glamour pour réciter un poème. Elle a reçu quelques années plus tôt le titre de « Femme de l’année Glamour » pour avoir changé la donne autour des agressions sexuelles. Elle est considérée comme un des piliers des changements advenus avec #MeToo. Vous ne connaissez probablement pas Chanel Miller – pas sous ce nom du moins. Chanel Millier préférait rester anonyme, et a choisi l’alias de « Jane Doe », utilisé communément aux Etats-Unis pour les personnes qui ne peuvent ou ne veulent dévoiler leur nom. Il y aquelques années, elle accompagnait sa petite soeur à une soirée étudiante sur le campus de Stanford, à quelques minutes de chez elle. C’était la plus âgée. Puis blackout. Elle se réveille sur un lit d’hôpital dans un couloir. Elle a du sang séché sur elle, et des pansements sur le dos de ses mains et son coude. Elle ne pense pas à une agression sexuelle de suite. Elle pense qu’elle est tombée. On lui dit ensuite ce qu’il s’est passé. Elle a été retrouvée allongée sur le campus, inconsciente, derrière une poubelle, par deux hommes suédois. Un étudiant, Broke Turner, était sur elle. Alors que les Suédois s’approchaient, l’étudiant s’est levé et a commencé à courir. Les deux hommes l’ont rattrapé. « Mais si / Ca m’intéresse / De savoir comment tu vas / Ca m’intéresse si on te blâme pour le mal que tu as subi / Si on te fait croire que tu mérites cette douleur. » Chanel Miller est une des survivantes qui a décidé de changer la norme concernant les histoires d’agressions sexuelles. Elle nous dit qu’on apprend non seulement aux femmes survivantes de violence à avoir honte de ce qu’elles ont subi – comme si c’était de leur faute. Mais on leur apprend aussi à avoir de la peine pour l’agresseur. « On ne peut pas laisser une soirée alcoolisée ruiner le reste de sa vie ! Broke Turner avait une superbe bourse à Stanford car c’est un excellent nageur » s’est-elle entendue répéter tout au long de procès. Comme si c’était de sa faute à elle. « La seule raison pour laquelle je me tiens ici / est que les gens se sont intéressés à mon bien-être / Même quand je ne n’allais pas bien / Ils m’ont rappelé que j’irradiais / Et je méritais d’être aimée / Même quand j’avais oublié. » Des personnes se sont intéressées à moi / C’est pourquoi je suis qui je suis aujourd’hui. » Chanel Miller était inconsciente au moment de son agression. Les avocats de son agresseur ont essayé de faire croire qu’elle ne pouvait donc techniquement pas se souvenir qu’elle avait donné son consentement. Il n’était pas possible de prouver qu’elle n’était pas consentante. Pourquoi donc est-ce à la survivante de prouver qu’elle a été une victime ? Car nous vivons dans un système qui privilégie la présomption d’innocence des agresseurs à l’état des survivantes. Le 13 novembre dernier, c’est une journaliste française qui raconte son histoire, Johanna Luyssen. Cette fois, nous ne sommes pas de l’autre côté de l’Atlantique mais ici, en Europe, à Berlin, il y a un an. C’est une histoire de zone grise qui n’en est pas une. C’est une soirée à peu près comme une autre – si tant est que nos soirées du 13 novembre sont comme les autres. Elle dine avec une amie dans un restaurant, elle boit, mais pas tant que ça. Et puis, qu’est-ce-que j’en ai à faire de la quantité d’alcool qu’elle a bu ? Elle rencontre un garçon, « un type normal ». Elle aime la couleur de son vin. « Si tu veux, je t’en commande un verre ». Elle dit oui. Et là, elle ne se souvent de rien. Selon les copains de l’agresseur, il l’a embrassé au restaurant. Je précise que c’est selon ses copains, car elle-même ne se souvient de rien. Et puis, qu’est-ce-que j’en ai à faire s’ils se sont embrassés ? Elle se réveille le lendemain dans son lit, sans souvenir de la nuit passée. Il lui dit qu’ils ont couché ensemble. « Bah oui ». Il rajoute « je t’ai prise par derrière ». GHB ? Elle vient aux urgences trop tard. Ou plutôt, les méthodes de détection du GhB sont inefficaces. J’apprends sur le forum Drogues Info service que le GHB n’est détectable que 12 heures après la prise. Il faudrait donc, en pratique, Comme Miller, Luyssen ne se souvenait de rien, ou presque. Elle porte plainte, comme un peu moins de 10% des femmes survivantes de violences sexuelles. La police mène une enquête. Le procureur écrit une lettre. La lettre « indique que les lésions vaginales constatées par la gynécologue peuvent être le signe d’un rapport non désiré, mais pas forcément non plus. » Le procureur ajoute que la consommation d’alcool peut expliquer l’état inconscient dans lequel Luyssen se trouvait. Le procureur démontre ainsi que le consentement n’est pas nécessaire pour avoir des relations sexuelles – puisqu’il admet que la survivante était inconsciente au moment du rapport. La plainte est classée sans suite. Comme « Alors, voici le point clé, continue Miller sur cette scène / Quand nous nous battons pour les survivant·e·s / Quand nous cessons de les réduire au silence avec de la honte / Quand nous cessons de les interroger avec des questions stupides. Regardez ce qui se passe. Des livres sont écrits, des lois sont changées / Nous nous rappelons que nous sommes né·e·s pour créer / Pour ne pas seulement survivre, mais avoir l’air sexy et pour célébrer. Ce soir, vous devez partir en sachant / Que je me soucierai toujours de vous / De la façon dont vous vous êtes intéressé·e·s à moi. » Miller et Luyssen sont deux femmes indépendantes, deux femmes intelligentes, deux femmes fières. Elles ont également en commun d’avoir chacune contribué à changer la donne autour des agressions sexuelles. A faire en sorte que les femmes survivantes de violences aient moins l’impression que c’est de leur faute si des ordures, pardon, des types normaux, ont décidé d’user de leurs privilèges pour devenir des agresseurs. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis. Luyssen ne sera probablement pas « Femme de l’année Glamour » pour avoir contribué à faire changer la conversation autour de la culpabilité de la victime mais c’est tout comme. Et même plus. Nous vivons dans une culture où 22% des hommes admettent avoir commis au moins une agression sexuelle. Un Ministre de notre gouvernement est accusé de viol, la Cour de cassation vient d’ordonner à la chambre d’instruction une réouverture de l’enquête. Je l’ai dit précédemment, moins de 10% des survivantes de violences sexuelles portent plainte. 76% de ces plaintes sont classées sans suite. Moins 3,5% des agressions vont jusqu’au procès. On évalué à 1% le pourcentage des violeurs qui sont condamnés. Notre système est inefficace – même la Garde des Sceaux l’admet. Pour cela, nous exhortons le gouvernement à prendre la question des violences sexistes et sexuelles au sérieux. 1. Le premier musée du vagin au monde va ouvrir à Londres. 2. La question du plaisir féminin occupe de plus en plus d’espace médiatique – et c’est tant mieux. 3. Pour la toute première fois, le musée Guggenheim a embauché une conservatrice noire. 4. Retrouvez ici le texte de Johanna Luyssen sur son viol, et le principe de la zone grise. 5. Le Conseil de l’Europe épingle la France sur sa définition trop exclusive du viol, et le manque de structures adaptées à la prise en charge des victimes d’agressions sexuelles. 6. Roman Farrow, auteur d’un livre sur l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo revient sur l’affaire Adèle Haenel. 7. Aux entrepreneuses et fans de livres – La librairie parisienne Violette & Co, spécialisée dans les questions féministes et LGBTQ+ est en vente et cherche une relève. Contact ici. 8. Le discours de Chanel Miller aux Glamour Women of the Year Awards est probablement la chose la plus puissante que vous verrez aujourd’hui. 9. Liberté, égalité, sororité: Le Temps revient en toute bienveillance et amour sur la raison d’être de cette newsletter. 10. Information partenaire // Creatis, la résidence des entrepreneuses·eurs de la culture & des médias, accueille dans sa nouvelle promotion deux médias // Club des Glorieuses // Nous vous recevrons dans nos locaux le 28 Novembre dès 19h30 (15, rue de la Fontaine au Roi) pour une soirée « speed-dating », destinée à briser la glace pour faciliter les liens dans le formidable et glorieux réseau que nous formons. Pour s’inscrire c’est là ; pour voir l’événement sur Facebook c’est là. |