« Je m’appelle Gabrielle, j’ai 39 ans, je mesure 1m54 et je pèse 125 kg. J’ai tendance à dire que je mesure une Kylie Minogue et que j’en pèse trois. » C’est sur ces mots que débute le film de Gabrielle Deydier (Arte). Elle enchaîne : « Vous pensez que vous allez voir un film sur une grosse qui veut perdre du poids ? Et ben non. » Parce que les gros.se.s sont montré.e.s avec le regard des minces, sorte de thin gaze faisant écho au concept de Laura Mulvey, le « male gaze ». Là où l’universitaire affirme que les femmes sont montrées comme des êtres désirés par le regard des hommes, on se dit que le procédé existe toujours avec les minces qui filment les gros.se.s : en mangeant, en étant statique, en représentant quelque chose qu’on ne voudrait pas voir. Et pour cause, lorsque j’en parle à Gabrielle Deydier, elle me raconte ces propositions de journalistes qui souhaitaient la filmer en train de manger un croissant ou devant plusieurs menus Burger King. Le film On achève bien les gros, c’est tout le contraire. On vit la vie de Gabrielle Deydier pendant cinquante-deux minutes. La protagoniste principale réussit l’exploit de ce qui fait d’une œuvre une réussite, on vit sa vie à travers elle. On stresse avec elle lorsqu’elle est sur le point de faire une intervention dans son ancien lycée. Ce moment où on ne sait si c’est de l’intuition et il faut donc suivre, ou si c’est de la peur. Comment a-t-elle réussi à construire cette narration si juste ? « C’est grâce à un plan cinématographique, le “face cam”, je voulais regarder les gens droit dans les yeux avec ce corps en maillot de bain. Et encore, je voulais le faire nue mais les gens n’ont pas voulu. Je voulais imposer ce corps devant lequel on détourne la tête. Je voulais qu’on me voie en maillot de bain, je voulais qu’on voie monter des escaliers, écouter de la musique, écrire. » On achève bien les gros traite de grossophobie. Étymologiquement, c’est la peur des gros. Et cette peur a des répercussions systémiques. La première fois où Gabrielle Deydier en fait les frais, c’est à 16 ans. Elle mesure 1m54, pèse 65 kg, s’achète un jean taille 42. Jusque-là pas de problème. Sa mère n’a pas supporté. « Tu as 16 ans et tu fais déjà du 42 ? » « J’ai fait mon premier régime et ça a été le début de l’enfer. » Car 95 % des régimes ne fonctionnent pas. Comme on l’entend dire dans le documentaire, nous vivions dans une société où rien n’est pensé pour les gros, que ce soit les compagnies aériennes qui préfèrent penser à vendre deux places aux gros plutôt que de réaliser des fauteuils plus larges, le dentiste qui a peur que tu casses son siège. « J’ai envie de cramer le gars qui a conçu des sièges de théâtre qui font que mon cul ne rentrera jamais et que je ne pourrai jamais voir un spectacle. J’ai envie de cramer le gars qui a fait les sièges de cinéma. » Pourquoi la société a-t-elle peur des gros.se.s ? « Il y a quelque de chose de purement instinctif, commence Gabrielle Deydier, les personnes assimilent l’obésité à la maladie, c’est mortifère. Comme d’autres rejettent des handicapés. Cela résonne à une crainte qui leur est purement personnelle. Par ailleurs, il y a cette idée de norme. “Pourquoi ne veux-tu pas être comme les autres ? Pourquoi serait-ce aux autres de s’adapter et pas à toi ?” » En conséquence, tout est fait pour que les personnes grosses restent chez elles ; or il y a dix millions de personnes obèses en France, cela représente 17 % des Français. Les personnes en surpoids représentent 40 %. Mais on ne les voit pas. Elles ne sont pas dans l’espace public car elles ne sont pas bienvenues dans l’espace public. Ou plutôt – tout est conçu dans l’espace public pour que les gros.se.s ne s’y sentent pas bien et restent chez eux. « Cela me fait penser au mobilier urbain anti-SDF, aux lois contre la mendicité ou aux interdictions qui mènent les travailleuses du sexe à devoir rester au bois de Boulogne. » Ce film est intrinsèquement politique. Il n’est pas « bodypositif », mouvement qui renvoie, selon les mots de Gabrielle Deydier, vers « encore, des histoires de beauté et d’apparence. Le bodypositivisme, c’est du temps à se demander si on est bonne et c’est du temps pendant lequel on ne travaille pas sur les vraies questions ». Le documentaire pose les bases fondamentales qui mèneront vers une société où, si vous êtes une femme obèse, vous n’aurez plus huit fois moins de chances d’avoir un emploi à diplôme égal qu’une femme qui ne l’est pas, comme c’est le cas aujourd’hui. « Dis-moi combien tu pèses et je te dirai combien tu gagnes. » Le chercheur interrogé, Petter Lundborg, propose ainsi trois solutions concrètes pour réduire les écarts de salaire : lutter contre la discrimination à l’embauche, réduire le taux d’obésité chez les adolescent.e.s, et tout faire pour éradiquer le harcèlement subi par les adolescents obèses à l’école. Un moyen serait de montrer ce film dans les écoles de management. « C’est dans ces endroits-là que nous devrions parler de grossophobie. » Dans son essai, dans son documentaire, dans son futur premier roman, elle s’intéresse à la grossophobie. On lui pose systématiquement des questions sur la grossophobie. La grossophobie est au centre de ses réflexions depuis quelques années maintenant. Mais cette écrivaine géniale ne peut pas être cantonnée à ce seul sujet. « Je voulais créer un cycle de réflexion sur ce sujet, un roman, un essai, un documentaire et je passe à autre chose. Je n’avais pas prévu le temps long. Sur cette question, j’ai l’impression que mon boulot est fait dans le sens où j’ai raconté mon expérience. Je n’ai jamais voulu – ni prétendu – être une porte-parole des gros.se.s. J’utilise le mot “je” en permanence et je suis convaincue que l’individu n’est pas le collectif. » Gabrielle Deydier est plus qu’un simple « je », elle est une des pionnières à avoir brillamment raconté son expérience, sa vie et à avoir accepté de nous la partager. Pour que les choses changent, vraiment. Note. On achève bien les gros est un film d’auteur, adapté de l’ouvrage de Gabrielle Deydier, On ne naît pas grosse (Éditions Goutte d’Or), réalisé par l’autrice, Valentine Oberti et Laurent Follea. Il est disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 31 octobre. Elle est également l’autrice d’une édition Summer Glo en 2018, In Nomine Patris. 1/ Une liste de podcasts (en anglais) permettant de comprendre le racisme systémique. 2/ « Ça nous dépasse et c’est ce qu’on veut » : comment le comité Adama a réussi une mobilisation surprise contre les violences policières. 3/ Priscillia Ludosky, l’une des figures du mouvement des gilets jaunes, et 4/ Ilhan Omar, la représentante au Congrès américain du district dans lequel se trouve Minneapolis échange avec Rebecca Traister dans New York Magazine. Elle raconte qu’elle est en train de préparer un « The Black Lives Matter Act » qui prendre la forme d’un package économique destinée aux membres de la communauté qui ont le plus souffert. 5/ Pendant trois semaines, la newsletter américaine The Idea va se concentrer sur l’analyse des médias qui appartiennent à des Noir·e·s. Le premier numéro est sorti et c’est passionnant. 6/ Dans ce podcast réalisé par Ilham Maad, Alex, policier à Rouen, découvre l’existence d’un groupe privé d’échanges audio sur WhatsApp, dont font partie une dizaine de ses co-équipiers. 7/ Parce que les hashtags c’est bien mais ce n’est pas suffisant, voici une liste de plus de 50 entreprises appartenant à des Noir·e·s à Paris. 8/ Ce n’est pas parce qu’on a écrit la saga la plus lue de tous les temps (je ne suis pas à 100% sûre de cette info mais la phrase fonctionne), qu’on n’est à l’abris de dire n’importe quoi. JK Rowling tient des propos dangereux sur les personnes trans. 9/ Dans un discours retransmis sur YouTube, les Obama appellent les jeunes générations à agir concrètement, pas uniquement en re-postant des hashtags. 10/ « Je ne suis pas votre nègre » est un immense documentaire de Raoul Peck sur James Baldwin, il est disponible sur Arte. ET il y a également le film « Le festin de Babette » adapté du livre de l’autrice Karen Blixen ! // Evénement // En partenariat avec Magnum Photo, le Musée International de La Croix Rouge organise une rencontre en ligne pour commenter les photos de la semaine. C’est ce vendredi 12 juin à 18h15 avec Rebecca Amsellem et Yves Daccord, leader humanitaire. Modération : Pascal Hufschmid, directeur, Musée International de La Croix Rouge. Comment participer ? Pour rejoindre la conversation, rien de plus facile, il suffit de cliquer sur le lien suivant : https://zoom.us/j/99409644759 SAISON 2 // Programme des 100 Glorieuses. Vous avez toujours rêvé de participer au Club des Glorieuses mais c’est une dépense qui ne trouvait pas sa place dans votre budget ? Ce programme est fait pour vous, vous pouvez postuler à la phase 2 jusqu’au 16 juin. Après 4 ans, Deuxième page devient un magazine papier et lance un numéro sur… la colère. Pour participer à leur crowdfunding, c’est ici. 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