« Dans le capitalisme moderne, le véritable ennemi du peuple n’est pas l’oppression politique, mais l’exploitation économique. La politique est simplement sa servante ». Emma Goldman « On a soulevé le couvercle, c’est tout », rencontre avec la réalisatrice de Il reste encore demain, Paola Cortellesi Pour lire la newsletter en ligne https://lesglorieuses.fr/paola-cortellesi/ « On a soulevé le couvercle, c’est tout » m’a simplement répondu Paola Cortellesi lorsque je lui ai demandé comment une étincelle devient une révolution. Son film a fait 5 millions d’entrées en Italie – plus que Barbie et Oppenheimer réunis. Il parle de violences conjugales, il se passe dans les années 40 en Italie et surtout… il est drôle. Il reste encore demain est un phénomène, une révolution et il sort aujourd’hui en salle en France, allez le voir (je ne peux pas être plus claire). J’ai la chance de vous partager aujourd’hui un entretien avec sa réalisatrice, Paola Cortellesi. Elle a 50 ans. En plus d’être réalisatrice, Paola Cortellesi est humoriste, chanteuse et actrice. Elle incarne d’ailleurs Delia, mère de trois enfants et protagoniste principale de Il reste encore demain. L’entretien s’est déroulé le 26 février dernier, je posais les questions en français et elle me répondait en italien. L’échange a ensuite été édité et traduit par Adèle Phelouzat. Rebecca Amsellem Ce qui change des générations précédentes, c’est que nous avons acquis le droit à disposer de notre corps, nous avons acquis le droit à l’égalité économique (en théorie, bien sûr). Et c’est grâce à ces droits que les femmes ont désormais la capacité de parler. « Apprend à te taire » vous dit dans votre film le père d’Ivano. Ce n’est plus une option, n’est-ce-pas ? Rebecca Amsellem Le génie de votre film tient notamment à sa capacité à raconter une réalité tragique avec humour et légèreté. Dans une interview au Corriere della Sera, vous citez deux films qui vous ont inspirés avec les deux autres scénaristes : Le Dictateur de Chaplin et La vie est belle de Roberto Benigni. Et vous citez cette phrase sublime de Italo Calvino, « La légèreté n’est pas la superficialité, elle permet de voler au-dessus des choses sans avoir de poids sur le cœur ». Est-ce avec cette méthodologie que vous avez écrit ce film ? Paola Cortellesi La vie est belle et Le Dictateur ne m’ont pas inspirée ce film, mais ils font partie de ma formation, aux côtés du néoréalisme italien, la comédie à l’italienne… Je veux dire : c’est dans la formation de nous Italien·ne·s, pas nécessairement nous les artistes de cinéma mais nous les Italien·ne·s, même si on fait un autre métier. On est forgé·e·s par ce cinéma parce qu’il fait partie de notre ADN. Ces deux films sont des films que j’ai beaucoup cités pour une chose en particulier : leur capacité à affronter des thèmes très durs tout en s’autorisant à utiliser l’humour. L’un traite de l’holocauste, l’autre du personnage du dictateur – et en l’occurrence le pire dictateur de tous les temps – en utilisant l’humour. C’est donc possible, et ça ne veut pas dire que l’on manque de respect à un sujet important. Dans le cas présent, et j’espère que l’on a réussi, notre intention était de rendre accessible quelque chose de très dur. C’est tellement dur qu’un registre particulièrement dramatique aurait créé une séparation entre le spectateur et l’histoire. Or je crois que ce langage, parfois humoristique, parfois ridicule, permet une accessibilité plus grande et un intérêt plus fort, plus large pour cette histoire. Rebecca Amsellem Un autre élément qui semble être partie prenante de votre processus créatif, c’est le doute. Dans cette même interview, vous dites « Parce que le doute est la liberté, et c’est toujours un cadeau. Le doute est le poison de chaque dictature ». De la même manière que le doute est le poison de la société patriarcale ? Le doute est-il employé pour réaliser ce film tout en étant ce qu’il cherche à provoquer chez les spectateurs ? Paola Cortellesi Le doute, c’est la liberté. Oui oui, c’est un cadeau, le doute. C’est quelque chose que je dis aux jeunes, de pratiquer le doute. Parce que oui, le doute rend libre. C’est l’alternative à une pensée unique. Le doute crée, allume une pensée critique, une pensée alternative et une pensée personnelle. Voilà pourquoi l’art, qui le prend comme une offense, est souvent considéré comme quelque chose de superflu. Voilà pourquoi l’art est fondamental, parce qu’il crée un doute, il crée un monde alternatif : la littérature le crée, la musique le crée, le théâtre le crée, les films le créent. Ce discours, je l’ai fait à des jeunes, des étudiants d’universités : ce ne sont pas seulement les notions qui sont importantes, mais aussi les histoires. C’est pour cela que des professeur·e·s d’université ou enseignant·e·s me demandent de raconter cette histoire. Je raconte des histoires : c’est ça, mon expertise. Les histoires m’ont fait grandir, quand j’étais plus jeune. Et c’était ça, la liberté : douter, chercher d’autres chemins et peut-être revenir. Mais revenir avec une nouvelle conscience des choses, sans adhérer à une idée parce que c’est ce qu’on a entendu répété dans la cour. Ça, c’est dangereux. Arriver, avec une conscience, c’est autre chose. Rebecca Amsellem Votre film a eu un succès retentissant en Italie, alors même qu’un parti d’extrême-droite – plutôt connu pour ne pas être clément avec les droits des femmes – y est au pouvoir. Comment faire en sorte que l’étincelle provoquée par votre film devienne une révolution ? Paola Cortellesi Je crois que c’est lié au pouvoir des histoires. Cette sensibilité du public italien à l’égard de ce sujet existait déjà et elle est liée à ce qui se passe, malheureusement, en Italie. On compte les victimes de féminicides. Les victimes de féminicides sont d’abord les victimes d’années et années de domination à la maison. Elles ont peut-être des enfants de personnes qui ont vécu cette situation et qui l’ont enseignée à leur tour à leurs enfants. C’est clair que c’est la partie émergée de l’iceberg. Mais les Italien·ne·s y étaient déjà sensibles. Parfois, il faut quelque chose pour provoquer le déclic, n’est-ce pas ? Un déclencheur. Je pense que cette histoire est un déclencheur. L’idée n’est pas que mon histoire provoque une révolution féministe. Mon histoire est celle qu’ils et elles ont choisi pour représenter leur malaise, leur ras-le-bol d’entendre ces choses-là arriver. Si c’était mon but d’écrire une histoire sur les droits des femmes, la réponse, la vague qui m’est revenue, je ne pouvais pas la prévoir. Et cela veut dire qu’il y avait quelque chose de latent, qui était déjà là. On a soulevé le couvercle, c’est tout. Rebecca Amsellem Vous avez dit « Ce n’est pas vrai que rien ne change, mais il est vrai qu’il y a toujours quelque chose à changer ». Je n’ai pas entendu de plus belle phrase pour décrire là où en sont les droits des femmes aujourd’hui. Paola Cortellesi J’espère qu’un jour il n’y aura plus rien à changer sur les questions des droits et de l’égalité. Mais ce jour me semble encore très lointain, parce que même s’il est vrai qu’il y a des droits et des règles, ces droits et règles ne sont pas appliquées dans la réalité. On ne peut plus dire aujourd’hui qu’on n’a pas de droits, en Italie. Avec tous les combats qui ont été menés, nous les avons, ces droits. En Italie et dans d’autres pays, comme dans les États-Unis progressistes, non seulement certaines choses ne sont pas appliquées, mais en plus elles régressent. Regarde ce qu’il s’est passé avec l’avortement aux Etats-Unis, par exemple. Il y a eu un retour en arrière. Un des propos de ce film était de faire mien l’avertissement de Nilde Iotti, cette grande femme, mère de la Constitution [Nilde Iotti est considérée comme une des principales figures féminines de l’histoire politique italienne. Elue en 1946 à l’Assemblée constituante en Italie, elle a participé à la rédaction de la nouvelle constitution républicaine], qui s’est beaucoup battue pour que ma génération, c’est-à-dire les cinquantenaires, nous ayons des droits. Elle disait : « Les droits ne sont pas éternels, ils doivent toujours être défendus. » L’histoire et l’actualité nous parlent d’autres pays où ces droits sont renversés en une seconde, où on revient 70 ans en arrière en un instant. Chaque citoyen·ne doit faire sa part. Les nouvelles générations doivent être éduquées à ce sujet, parce que ce sont elles qui devront se battre, n’est-ce pas ? Plus que nous. Rebecca Amsellem Vous vous réveillez un jour et un détail vous permet de savoir d’emblée que vous avez été téléportée dans une société parfaite, égalitaire, l’utopie réalisée – quel est ce détail ? Paola Cortellesi Pouvoir marcher seule la nuit. Me promener toute seule, en pleine nuit, sans penser au danger potentiel. Ce serait magnifique. Parce que ça, aujourd’hui, une femme ne peut pas le faire sereinement. Elle peut le faire, mais sans être totalement sereine, comme le dit Elena Cecchentin, avec les clés de maison à la main, prête à entrer, prête à fuir, prête à se mettre à l’abri. Ce détail-là, si un jour je me réveillais dans une société parfaite, est la chose qui me ferait comprendre que tout a changé. Une belle promenade seule. *** Appel à votre aide *** *** Un message de notre partenaire, BNP Paribas *** Ça peut être une interdiction de travailler, mais ça peut être des choses bien plus insidieuses, comme demander à faire 50/50 sur les dépenses du quotidien alors qu’un conjoint gagne deux fois, trois fois, parfois plus que sa partenaire. 👉 Les violences économiques conjugales se traduisent par un contrôle et un appauvrissement financier qui peut aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie des femmes. ❗41% des femmes sont victimes de violences économiques conjugales au cours de leur vie selon l’étude IFOP pour Les Glorieuses. ⚠️ Les femmes ont deux fois plus de chances d’être victimes de violences économiques quand elles gagnent sensiblement moins que leur partenaire. Luttons pour la fin des violences conjugales, payons les femmes justement. Cette vidéo a été réalisée par Malmö Production pour Solidarité Femmes et BNP Paribas Des choses que je recommande 97% des femmes en parcours PMA, Dulcy est une association de patientes sur les parcours de fertilité. Elle vient de lancer courant mars deux ressources clés pour la congélation d’ovocytes : un guide de l’autoconservation ovocytaire ; une liste avec les centres PMA habilités à faire cette procédure en France. 📞 HOTLINE COACHING « BETTER CALL INSAFF » – Au programme 1h de coaching en direct sur la thématique des pièges à éviter lorsque l’on négocie son salaire ou ses tarifs par Insaff El Hassini – RDV Mercredi 13 Mars de 12h30 à 13h30 pour la première édition de la Hotline de Coaching gratuite et en direct. Pour s’inscrire c’est ici. *** Si vous avez des suggestions de livres, d’articles, de séries, de films à mettre ici, envoyez-moi les par retour d’email. MERCI ***
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