Mardi 30 novembre 2021 Peut-on être féministe et écouter Orelsan ?“J’suis pas une vraie féministe, j’écoute du Orelsan“. Je suis tombée sur ce tweet quand le nouvel album du rappeur (Civilisation) est sorti le 19 novembre. Sur les réseaux sociaux, les posts se sont multipliés pour débattre de sa misogynie, faisant ressurgir une (grosse) polémique qui date de 2009. Pour les plus jeunes d’entre vous, un rappel des faits s’impose : il y a douze ans, plusieurs associations féministes avaient porté plainte contre Orelsan, et il avait été attaqué en justice par le mouvement Ni putes ni soumises pour injure et provocation à la violence à l’égard des femmes, suite à la publication sur YouTube de son clip “Sale pute“. Ce titre met en scène un homme qui découvre que sa femme le trompe et qui lui envoie un mail rempli de menaces. Les paroles sont très violentes et il est tout à fait légitime d’être choqué.e en les entendant. Mais si elles sont très violentes, c’est parce que l’histoire qu’elles nous racontent est très violente : celle d’un fou de jalousie, alcoolique, qui se cache derrière son ordinateur pour déverser sa haine. À l’heure de la cancel culture, il me tient à cœur de faire cette mise au point avec vous, les Petites Glo. Vous commencez à me connaître et vous avez très bien compris qu’ici, il n’y a pas de place pour le sexisme et la violence. Je suis féministe. Mais j’écoute du rap, parfois misogyne. Mais je danse sur “Cool“ d’Asakura (le refrain est “J’trouve ça cool, cool, la manière dont elle bouge son boule, boule“, ça ne vole pas super haut). Mais je me passe en boucle le nouvel Orelsan. Et ce ne sont pas mes goûts musicaux qui remettront en cause ma légitimité à défendre l’égalité entre les hommes et les femmes. “Ce sont des choses que j’ai pu vivre, me confie Éloïse Bouton, ancienne membre des Femen et créatrice de Madame Rap, le premier média dédié aux femmes et aux LGBTQIA+ dans le hip-hop. Le simple fait de dire que j’écoutais du rap a fait que j’étais blacklistée, parce que c’est perçu comme une trahison à la cause, comme si tu pactisais avec l’ennemi, que tu devenais complice du patriarcat. Je trouve ça incroyable car, selon moi, il y a de la place pour toutes les formes de féminisme.“ Pour information, Orelsan avait finalement été relaxé quelques années plus tard. La cour avait notamment déclaré que le rap est “par nature un mode d’expression brutal, provocateur, vulgaire, voire violent, puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée“. Alors attention, il ne s’agit pas d’ouvrir ici le débat sur la séparation de l’homme et de l’artiste. Un homme qui commet des violences doit être puni, qu’importe qu’il soit réalisateur, chanteur, dentiste ou boulanger. Mais lorsque l’artiste est un homme auquel on ne peut rien reprocher légalement, il est essentiel de distinguer l’auteur du narrateur. Si vous avez étudié Marcel Proust en cours de français, vous avez sûrement entendu parler de sa battle (ok, on ne disait pas ça comme ça à l’époque) avec le critique Sainte-Beuve. En gros, ce dernier se demandait ce qui, dans À la recherche du temps perdu, relevait ou non de l’autobiographie. Et notre pote Marcel répondait : “L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n’est pas la même personne“. Vous voyez où je veux en venir ? Prenons un exemple plus concret : quand vous binge-watchez la série You, sur Netflix, retraçant les sombres aventures de Joe qui stalke, séquestre et tue ses crush… est-ce que vous tweetez “Je suis une mauvaise féministe, je kiffe la série de Greg Berlanti et Sera Gamble“ ? Pourtant, la logique est sensiblement la même… alors, pourquoi ce boycott du rap ? “D’abord parce que les contenus sexistes sont très explicites dans ce genre musical, me répond Éloïse Bouton. Le langage utilisé est cru, frontal, on a un accès direct aux insultes et, dans les clips, la manière dont les femmes sont représentées est souvent dégradante. Mais dans la variété française, il y a plein de chansons hyper insidieuses où il est question de culture du viol, de pédophilie, où on enferme les femmes dans des rôles de douceur, de potiches. Sauf qu’on est plus habitués et moins éduqués à le percevoir.“ Eh oui, si votre tonton relou vous lance sur le sujet pendant le repas de Noël, demandez-lui ce qu’il pense de la chanson “Requiem pour un fou“ de Johnny Hallyday, dont voici le refrain :
Interro surprise : y a-t-il une différence de fond entre le récit de ce “crime passionnel“ et les menaces de “Sale pute“ ? Johnny Hallyday a-t-il déjà eu 80 dates de tournée annulées parce que la France entière trouvait ça horrible de promouvoir un féminicide ? La réponse est non. Et, moi qui ai grandi avec cette chanson que j’ai toujours trouvé magnifique, j’ai de plus en plus de mal à la chanter. Avec le temps et mon engagement grandissant, elle a fini par me déranger. Chilla dans le clip de “Sale chienne“ De la même façon, je me suis aperçue que les artistes féminines n’étaient pas exclues de ce questionnement autour des textes problématiques. Le nouvel album de Juliette Armanet, Brûler le feu, est sorti en même temps que celui d’Orelsan. Je me suis précipitée pour l’écouter. Eh bien figurez-vous qu’il y a des phrases qui m’ont semblé insupportables d’hétérosexisme. Dans “Tu me play“, elle chante par exemple “Si je suis sur Terre, c’est pour te plaire“… Aoutch, non ? Si vous réfléchissez bien, je suis certaine que vous trouverez plein de hits qui passent finalement de drôles de messages à nos oreilles. Parmi eux, les “Confessions nocturnes“ de Diam’s et Vitaa qui font partie intégrante de la pop culture et des soirées karaoké entre meufs (“Tu fais Vitaa et moi je fais Diam’s ?“). Dans cette chanson, Vi explique à Mel que son mec la trompe. Elles sont archi vénères et décident d’aller le confronter (et de rayer sa caisse). Lorsqu’elles arrivent à l’hôtel, voici ce que Mel dit à Andy, la femme avec qui il partage sa chambre :
Or, a priori Andy ne sait pas qu’il est en couple donc elle est, elle aussi, victime de ce manipulateur. Quand j’étais ado, je trouvais ce moment super stylé – “Ouais c’est ça, dis lui ses quatre vérités à cette pouf !“. Aujourd’hui, j’appelle ça du slut-shaming et de la misogynie intériorisée, et je trouve Vi hyper flippante puisqu’elle flique son partenaire H24 – “Je le sens, je le sais, je le suis“ – aaaaah. Bref ! Enough avec les explications de texte. La musique sert avant toute chose à nous faire kiffer. Vous avez le droit d’écouter ce que vous voulez et votre féminisme n’en deviendra pas plus ou moins “pur“. Mais tâchez d’écouter en conscience, comme le défend Éloïse. “Le problème, c’est qu’il n’y a pas de discours là-dessus dans les familles ou à l’école, alors qu’il faut expliquer aux jeunes – qui ont besoin de role models – que le rap est, comme n’importe quelle autre forme d’art, de la fiction. Parfois les rappeurs s’inspirent de leur vie ou de celle de quelqu’un d’autre, parfois ils peuvent tenir des propos offensants, mais tu as le droit de choisir de ne pas écouter des gens qui disent ça. Ou, au contraire, tu peux savoir que le texte que tu écoutes est sexiste mais décider de l’écouter quand même parce que la musique te plait.“ Moi, je vous conseille le bon rap féminin et féministe de Chilla, et particulièrement ses titres “Si j’étais un homme“ ou “Sale chienne“ dans lequel elle écrit : “J’aurais beau rapper la peine / Résister à la haine / Je n’serais jamais la reine, chienne / J’aurais beau tarter des milliers d’MCs, les femmes ne seraient bonnes qu’à la vaisselle“. Comme dirait l’autre : simple, basique. Les recommandations de ChloéLe pronom iel, utilisé pour désigner les personnes non-binaires, a fait son entrée dans la version online du dictionnaire le Petit Robert, et c’est une bonne nouvielle. Mais ! J’aime beaucoup cette chronique de Fabrice Pliskin dans BibliObs qui explique pourquoi le mot “iel“ est discriminatoire (il écrit : “le i de il précède le e initial de elle, ravalé encore une fois au deuxième rang (…) Dans le mot iel résonnent et perdurent la hiérarchie traditionnelle et la violence symbolique du privilège masculin“). “Autorisons les jeunes femmes à rêver de tech !“, une interview à lire d’Audrey Tcherkoff, directrice générale du Women’s Forum dont la seizième édition vient d’avoir lieu. D’ailleurs, vous pensez quoi des “bourses de l’égalité“ qui seront mises en place en septembre 2022 dans les lycées français ? Pauline Machado en parle sur Terrafemina, elles ont pour objectif d’encourager les garçons à choisir une filière littéraire et les filles à se tourner vers une filière scientifique. Si vous aimez Frida Kahlo, vous allez adorer le documentaire Frida, Viva la Vida de Giovanni Troilo, sorti au cinéma le 24 novembre. L’histoire est racontée par l’actrice Asia Argento et s’intéresse aux multiples facettes de l’artiste, notamment son rapport complexe à son corps. Peut-on rire de tout, même de l’inceste ? C’est le pari osé de l’autrice et comédienne Norma, qu’elle relève avec beaucoup de courage et d’émotion dans son premier spectacle Norma(le). Vous pouvez le voir à la Comédie des trois bornes, à Paris. Les dernières newsletters Gloria MediaAux États-Unis, les personnes qui consomment des drogues pendant leurs grossesses risquent de se voir retirer leurs bébés, même si elles sont en voie de guérison, Impact, 29 novembre 2021
« Pour écrire une ode à la vie, il faut passer par la mort », conversation avec l’autrice islandaise Auður Ava Ólafsdóttir, Les Glorieuses, 24 novembre 2021 La langue est politique, Les Petites Glo, 16 novembre 2021 Le prix lourd du manque de prise en charge post partum, Economie, 29 octobre 2021 |
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