|
Le contraire de la bonté n’est pas nécessairement le mal ou la méchanceté. C’est la passivité. C’est lorsque nous devenons insensibles, indifférent·es, désensibilisé·es, déconnecté·es les uns des autres. Lorsque nous cessons de nous émouvoir pour l’histoire de quelqu’un d’autre, vivant dans une autre partie du monde.
Elif Shafak
|
|
Porter sa voix, écouter attentivement
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Trigger warning : certaines interventions dans cette newsletter contiennent des propos LGBTphobes
*Les prénoms des élèves ont été modifiés.
En cette matinée de juin à Marseille, une classe de 3ème reçoit la visite de Christophe et Soyane, bénévoles de l’association Pas Peu Fière, qui viennent les sensibiliser à la diversité d’identités de genre et d’orientations sexuelles. Installé·es en cercle, les élèves sont encouragé·es à définir chaque lettre du sigle LGBTQIA+. Et certaines réponses montrent que les clichés homophobes ont la vie dure. À propos de la signification de “hétérosexuel”, Benjamin* répond du tac au tac “C’est quand on est normal,” avant de se corriger, “enfin, on fait ce qu’on veut.” D’autres garçons, comme Alex*, reprennent les termes de “normal” et “bizarre”, ou affirment que l’orientation sexuelle est un choix. Noam* dit refuser d’avoir des “ami·e·s gays ou filles”, “par peur de devenir comme eux – efféminés.”
Plusieurs rapports constatent une montée de l’homophobie et de la transphobie en France. SOS homophobie et le ministère de l’Intérieur recensent une forte augmentation des agressions anti-LGBT en 2023, les personnes trans étant particulièrement visées (le nombre d’agressions signalées a doublé en un an). De plus, le rapport de l’Agence des droits fondamentaux (de l’UE 2024 signale une explosion du harcèlement LGBTphobe à l’école en France, où 71% des répondant·es à l’enquête témoignent en avoir déjà été victimes contre 44% en 2019. À noter tout de même : de plus en plus d’écoles abordent les questions LGBTQ+ avec leurs élèves en Europe.
Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? Zappez la lecture et prenez dix secondes pour admirer cette cascade qui célèbre le mois des fiertés (as it should).
C’est au cœur de la mission de Pas Peu Fière, créée en 2021 : ses 24 bénévoles ont réalisé 36 interventions en milieu scolaire en 2023-2024 auprès de 8 établissements. Comme l’explique Soyane, co-présidente de l’association : “Quand on est jeune, on a beaucoup de choses à construire et à déconstruire. C’est donc important de parler à la fois de diversité sexuelle et de genre mais aussi de participer à l’émancipation de la jeunesse, et à la prise de conscience de la différence dès l’adolescence.” C’est prouvé : les interventions ont un impact positif sur les adolescent·es. De 2018 à 2022, l’OCDE a en effet évalué 10 000 élèves de 13 à 18 ans auprès desquels sont intervenus SOS homophobie, qui effectue des interventions au niveau national. Dans les collèges, la part d’élèves conscient·es des conséquences du harcèlement LGBTphobe augmente de 20% après une intervention.
La majorité des filles du groupe de 3ème se montre plus ouvertement sensible au bien-être des personnes queer, notamment en réponse aux commentaires cités plus haut. “Dans la mesure où on n’aime pas une personne à cause de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, on n’aime pas qui elle est,” s’insurge Daria*. Au sein de la Gen Z, les femmes affichent davantage de soutien que les hommes envers le mariage pour les personnes du même sexe ou la protection des personnes transgenres. Selon le ministère de l’Intérieur, 82% des crimes et délits anti-LGBTQ+ enregistrés en 2023 ont été commis par des hommes, en majorité contre des hommes gay (dans plus de 70% des cas). 49% des auteurs de ces actes avaient moins de 30 ans, 31% moins de 19 ans. Pas Peu Fière indique d’ailleurs chercher à “déconstruire le sexisme, qui est étroitement lié aux discriminations LGBTQI+phobes.”
Certaines questions ne sont donc pas faciles à formuler dans la vie de tous les jours. Pour y remédier, la Ligne d’Écoute, d’Information et d’Aide LÉIA est là répond aux questionnements sur l’identité de genre et/ou l’orientation sexuelle des personnes LGBTQ+ et de leurs proches. Lancée par SIS Association le 17 mai dernier, elle prend le relais de la Ligne Azur, qui existait depuis 1997. La trentaine d’écoutant·es de LÉIA proposent ainsi un accompagnement confidentiel et bienveillant par téléphone et par écrit, notamment pour parler de santé mentale. “L’écrit est un moyen de communication qui est très sollicité par les plus jeunes, donc nous avons lancé un livechat anonyme et gratuit avec LÉIA,” signale Macha, écoutante.
|
Chez Pas Peu Fière, Christophe et Soyane demandent à chaque élève de noter sur un petit papier anonyme des questions ou réflexions qui seront ensuite lues et débattues. Soyane leur suggère de noter leur réaction au coming-out de leur meilleur·e ami·e. “Je m’éloignerais,” répond Noam. “Tu as peur de quoi ?” interroge Christophe. “De m’apercevoir que c’est normal.” Visiblement, le questionnement s’est installé chez les collégien·nes : les réactions de rejet se font moins catégoriques.
“La plupart des personnes LGBT se cachent par peur de se faire rejeter par leurs familles,” remarque timidement Alex. “Et leurs ami·e·s”, pointe Sarah* avant d’ajouter : “C’est notre cœur qui aime, pas nous — la seule chose qu’on choisit, c’est de le dire.” Soyane rappelle alors : “Vos ami·e·s se confient à vous parce qu’iels ont confiance en vous. Ce n’est pas facile de le dire, alors faites attention à vos réactions. On a tous·tes un rôle à jouer dans l’acceptation de soi et des autres. Vous pouvez être allié·es en leur montrant du soutien.” Pour les proches qui douteraient de comment s’y prendre, Macha souligne que LÉIA est là peut accompagner l’entourage sentimental et professionnel des personnes LGBTQ+ “pour leur donner les clés, les aider à trouver les bons mots, toujours dans une quête d’ouverture d’esprit.”
L’une des dernières questions lues à la classe par Christophe interroge : “Les personnes LGBTQ+ sont-elles heureuses ?”. “Seulement celles et ceux qui s’acceptent et qui ont un entourage qui les accepte,” tranche Daria.
🔴 Pas Peu Fière : site internet, page Instagram Interventions en milieu scolaire
🟠 LÉIA est là (SIS Association) Téléphone : numéro vert anonyme et gratuit 0 800 004 134, 7 jours sur 7 de 8h à 23h Formulaire de contact email : réponse individuelle sous 48h, service gratuit Livechat : service gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 21h
🟡 Le Planning Familial Accueil physique Ligne d’écoute anonyme et gratuite “Sexualités, Contraception, IVG” : 0 800 08 11 11 du lundi au samedi de 9h à 20h Livechat anonyme et gratuit
🟢 SOS homophobie : site internet, page Instagram Ligne d’écoute anonyme : 01 48 06 42 41 (du lundi au vendredi : 18h – 22h, samedi : 14h – 16h, dimanche : 18h – 20h) Livechat le jeudi de 21 heures à 22h30 ; le dimanche de 18 heures à 19h30 Interventions en milieu scolaire C’est comme ça (pour les adolescent·es)
🔵 MAG Jeunes LGBT+ (site internet, page Instagram) : Le Mouvement d’Affirmation des jeunes Lesbiennes, Gays, Bi·es, Trans et +, de 15 à 30 ans.
🟣 Acceptess-T (Actions Concrètes Conciliant Éducation Prévention Travail Équité Santé Sport pour les Transgenres) : site internet, page Instagram Trajectoires Jeunes Trans : plateforme d’informations pour les enfants, adolescent·es et jeunes adultes trans et/ou en questionnement de genre
🏳️🌈 Médias LGBTQIA+ : têtu· : site internet, page Instagram Le Coin des LGBT Paint Media : site internet, page Instagram Komitid : site internet, page Instagram
On regarde : Heartstopper, Sex Education et Bottoms
Difficile de choisir parmi toutes les chouettes séries LGBTQIA+ qui ont fleuri récemment. On ne peut pas ne pas recommander la série Heartstopper, adaptation de la bande dessinée d’Alice Oseman (2022 –), centrée sur l’histoire d’amour touchante entre deux ados anglais, Nick et Charlie. Autre incontournable : la série Sex Education de Laurie Nunn (2019-2023) explore les questionnements sur la sexualité d’ados attachants menés par Otis, fils d’une sexologue. Enfin, si vous préférez les films, on vous propose la géniale comédie Bottoms d’Emma Seligman (2023). Deux meilleures amies lesbiennes interprétées par Rachel Sennott et Ayo Edebiri montent un club de self-defense féministe pour tenter de se rapprocher de leurs crushs, deux
cheerleaders.
On écoute : le podcast Quouïr de Rozenn Le Carboulec (Nouvelles Écoutes, 2018-2021)
Réalisé par la journaliste indépendante et ancienne rédactrice-en-chef de Têtu, Rozenn Le Carboulec, ce podcast plein d’empathie se décrit comme portant : “des histoires vraies racontées par les personnes concernées.” Il comporte trois saisons : la première sur le coming-out, la seconde sur l’homoparentalité et la dernière sur le parcours d’Augustin, un jeune homme gay que ses parents emmenaient à la Manif pour tous quand il était ado.
On lit : Coming In, roman graphique d’Elodie Font, illustré par Carole Maurel (Payot, 2021)
Si l’expression “coming out” est aujourd’hui bien connue du grand public, c’est un peu moins le cas du “coming in”: la prise de conscience de sa propre homosexualité ou transidentité. Dans un récit drôle et touchant agrémenté des merveilleuses illustrations de Carole Maurel, la journaliste Elodie Font raconte son cheminement de ses 15 à 30 ans pour accepter son homosexualité. Vous pouvez aussi l’écouter sous forme de podcast sur Arte Radio.
|
Ces liens peuvent vous être utile
|
|