Le 10 octobre, le secrétaire d’Etat à l’Enfance, Adrien Taquet, a annoncé la mise en place d’une »bébé box’’ que chaques nouveaux parents recevront à la sortie de la maternité à partir de février 2022. Dans cette boîte, une gigoteuse pour le bébé, un album pour son éveil culturel, un savon naturel et… une crème hydratante ‘’pour permettre de dire [à la personne qui a donné naissance] qu’il faut qu’elle prenne soin d’elle.’’
Une mesure complètement à côté de la plaque selon Illana Weizman, sociologue connue pour avoir lancé le #MonPostPartum. Dans un post Instagram en réaction à cette annonce,
elle estime que celles-ci ‘’sont du niveau pensée magique/développement personnel/coach motivation bas de gamme’’, et qu’il faudrait plutôt repenser complètement les politiques d’accompagnement durant le post-partum. ‘’Remballez vos mesures cosmétiques, […] on veut des changements radicaux.’’
Selon elle, l’une des priorités des enjeux du post-partum devrait être la santé mentale des personnes qui ont donné naissance et de leur partenaire. ‘’Pendant huit mois après la naissance de mon fils, je n’osais pas demander de l’aide alors que je me sentais mal,’’ explique-t-elle aux Glorieuses. ‘’Je culpabilisais car personne ne parlait de ces difficultés et j’avais
l’impression d’être une mauvaise mère. Un jour, mon corps a lâché. Je me suis mise à pleurer et je n’ai pas pu m’arrêter.’’ Elle décide de faire appel à une professionnelle et entame une thérapie : ‘’Il m’a fallu un an pour me remettre de ma dépression post-partum.’’ A raison d’une séance par semaine, elle estime le coût de sa thérapie à 3 120 €.
Un impact global
Les difficultés du post-partum ne se restreignent pas seulement à la santé mentale : ‘’le post-partum a un coût relationnel énorme sur le couple. Pour moi, c’est la fin du couple romantique’’, continue la sociologue.
‘’C’est corrélé avec l’accumulation des charges mentales et domestiques, surtout pour les mères en couple hétérosexuels, qui participe à l’érosion du couple par rancoeur.’’ Selon une étude britannique sur le sujet, le coût d’un post-partum mal pris en charge psychologiquement et émotionnellement s’élèverait à 10 000£ pour une famille sur toute une vie.
Annette Bauer, chercheuse au Care Policy and Evaluation Center et l’une des autrices de l’étude, explique qu’elles ont utilisé un système de modélisation pour parvenir à cette conclusion. ‘’Grâce à des études réalisées sur une trentaine d’années auprès de femmes en
post-partum, nous avons pu obtenir des données sur les problèmes de santé périnatale et sur d’autres problèmes sur le long terme.’’ Les chercheuses ont également ajouté à ces données les les impacts à long terme sur la santé des enfants de ces personnes, comme par exemple des problèmes cognitifs. ‘’Nous avons été guidées par l’idée que si les personnes qui donnent naissance étaient affectées négativement par la période du postpartum, cela avait forcément des répercussions sur la santé mentale de leurs enfants’, affirme-t-elle. Elles ont ensuite attribué une valeur monétaire à toutes ces données.
Tous les coûts potentiels y sont passés :
‘’pas seulement les traitements médicaux et psychologiques de post-partum, mais également leur impact sur la qualité de vie (quality adjusted life year), qui est calculée tous les ans au Royaume-Uni et qui vaut entre 20 000 et 30 000£’’. Elle ajoute que seulement la dépression, l’anxiété et la psychose du post-partum ont été prises en compte dans l’étude, mais que de nombreuses autres pathologies mentales peuvent affecter les personnes en post-partum, comme les TOCs, ou encore le syndrome de choc post-traumatique après une grossesse ou une naissance traumatisante.
S’ajoutent à ces coûts les pertes potentielles liées à des problèmes de santé mentale pour les futurs enfants, qui impacteront leur accès à
l’emploi. ‘’Il est important de comprendre les relations intergénérationnelles en économie : notre vision de la société ne dépend plus des individus mais également de la famille et de sa communauté, car nous pouvons par exemple imaginer que si le référent principal de l’enfant ne peut plus en prendre soin, un.e autre membre de la famille prendra sa place et que cela impactera leurs deux situations économiques,’’ affirme Annette Bauer. La chercheuse affirme également qu’il y a de plus en plus de données sur l’impact du post-partum sur la santé mentale du deuxième parent.
Soutien communautaire
‘’Il y a de nombreuses études sur le fait
que les thérapies cognitives et interpersonnelles permettent de se remettre rapidement des problèmes de santé mentale en post-partum, même si nous n’avons pas encore de données sur la façon dont ces thérapies affectent les chances des enfants de développer des maladies mentales’’, continue l’économiste. ‘’Mais intervenir rapidement sur ce plan n’est pas la seule chose à faire : les maladies mentales en post-partum affectent en majorité les populations les plus vulnérables, moins privilégiées économiquement, et avec un système de soutien [l’ensemble des personnes, familles, ami.e.s et professionnel.le.s, qui apportent de l’aide à une personne en post-partum, ndlr] moins efficace.’’ Selon elle, les traitements doivent absolument inclure des
déterminants sociaux, dans le remboursement des soins notamment.
Les systèmes de soutien et la communauté sont des concepts qui reviennent très régulièrement lorsque l’on parle d’assurer la santé mentale des personnes en post-partum. Alexis Palfreyman, chercheuse à UCL Global Health au Sri Lanka, a réalisé un travail de recherche sur le modèle communautaire de maïeutique sri lankais, où le suicide est l’une des plus grandes causes de mortalité périnatale. Dans le pays, le soutien en post partum est assuré à la fois par la famille et par une sage-femme. Mais
une sage-femme s’occupe d’environ 750 familles, c’est-à-dire entre 2000 et 3000 personnes. ‘’C’est un poids énorme pour elles, la durée des visites est très réduite et elles peuvent rater des choses importantes, tout cela par un manque de subventions. Mais tout n’est pas noir ou blanc : ce sont les soignant.e.s principales pour les habitant.e.s du pays. En 1970 quand ce système de santé publique a été introduit, elles ne s’occupaient que des personnes enceintes ou en post-partum, et des enfants de moins de 5 ans. Depuis, elles ont étendu leurs compétences à la contraception, au soin des adolescent.e.s, et des soucis de santé toujours plus divers.’
Les sages-femmes ont donc un lien privilégié avec les familles dont
elles s’occupent : ‘’elles savent qui vous êtes, et si elles pratiquent depuis longtemps elles peuvent s’être occupées de trois générations dans votre famille. Elles savent ce qu’il se passe dans les foyers, et même si elles ne sont pas entraînées à s’occuper de problèmes psychologiques par exemple, elles ont une connaissance approfondie de ce qui pourrait influencer la santé mentale d’une personne enceinte ou en post-partum.’’ Les familles leur font confiance sur un grand nombre de sujets, leur donnant un pouvoir important au sein de la communauté, ce qui diffère grandement des sociétés occidentales. ‘’Ce modèle communautaire a le potentiel d’aider massivement à réduire la fréquence des suicides et des maladies mentales
dans la période périnatale, mais le gouvernement a besoin d’investir massivement dans une augmentation de la force de travail chez les sages-femmes, afin de réduire leur charge de travail, et dans la continuité des soins.’’
Au niveau mondial, elle voit beaucoup de pistes pour améliorer le niveau des politiques de santé publique : ‘’On ne devrait pas être surpris de voir de telles fréquences de dépression en post-partum quand de nombreuses études montrent que non, elle ne provient pas seulement des hormones, mais qu’elle est influencée par des facteurs extérieurs, dont le soutien communautaire est le plus important’’, assène-t-elle.
Elle donne la piste de sages-femme formées spécifiquement sur la santé mentale présentes dans des maternités au Royaume-Uni, ce qu’Illana Weizman proposait également : ‘’des professionel.le.s spécifiquement formé.e.s sur les problèmes de santé mentale en post-partum, sans être
lâché.e dans la nature jusqu’au rendez-vous de la sixième semaine, où on nous demande vaguement comment va le moral. On nous assure qu’il est normal de pleurer beaucoup à cause des hormones et on nous laisse repartir sans un conseil, alors que les dépressions se déclenchent souvent plusieurs semaines ou mois après.’’ Selon elle, un véritable suivi physique et psychologique serait remboursé par la sécurité sociale et durerait deux à trois ans révolus.
A cela, elle ajoute l’importance de la mise en place d’un congé du co-parent aussi long que celui de la personne qui a donné naissance, qui permettrait d’équilibrer les charges de travail domestique et parental. Alexis Palfreyman ajoute que ‘’souvent nous ne
pensons pas aux personnes en post-partum qui ne rentrent pas chez elles avec un bébé à cause d’une fausse ou d’un bébé mort-né. Toutes ces personnes ont également besoin de soutien et sont complètement laissées de côté lorsque l’on parle de santé mentale périnatale.’’