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Je n’ai jamais été une adepte des prises de parole devant des gens. Que ce soit devant des grandes assemblées ou des petits comités. Encore aujourd’hui, après de nombreuses interventions, il m’arrive de rougir, de perdre le fil de mes pensées et de déglutir bruyamment. Je me doute que je ne suis pas la seule dans ce cas, alors j’en ai parlé dans mon livre Les Glorieuses, Chroniques d’une féministe (Editions Hoebeke). En voici quelques extraits.

« Nous sommes un dimanche soir. Le 6 novembre 2016 exactement. Le lendemain, je suis censée passer quelques minutes à la matinale de RTL, présentée par le journaliste Yves Calvi. Cela faisait quelques jours que le mouvement du #7novembre16h34 pour l’égalité salariale que nous avions lancé avec Les Glorieuses et Paye Ta Shnek prenait une ampleur que nous n’avions pas suffisamment anticipée. Je me souviens d’avoir dit: « On le fait, vraiment? Après l’envoi de la newsletter, on ne peut pas faire machine arrière. » Trois jours plus tard je voulais faire machine arrière. Par peur, j’ai d’abord refusé la proposition de la journaliste de l’équipe d’Yves Calvi. Elle a insisté, j’ai cédé. Nous étions dimanche et je l’appelais pour annuler. »

Cette journaliste, c’est Marie-Baptiste Duhart. Et je pense que ce coup de fil a changé ma vie.

« Cette peur ne datait pas d’hier. La première fois, j’avais sept ou huit ans. C’était pour réciter un poème. Je m’inquiétais à l’idée d’être le centre de l’attention de mes camarades pendant deux minutes trente. Cela m’a tenue éveillée pendant soixante-douze heures. J’étais morte de trouille. Je suis arrivée en classe les yeux bien trop cernés pour une enfant aux préoccupations habituellement assez futiles. Je me suis levée, j’ai récité ce qui devait être une énième fable de Jean de La Fontaine, probablement le plus rapidement possible, et je me suis rassise. À partir de ce jour, je me souviens d’avoir évité à tout prix ce type de situation. Parler en public est la peur la plus citée au monde. Selon Jerry Seinfeld, l’humoriste américain : « Cela veut dire que si vous êtes à un enterrement, vous préférez être dans le cercueil que faire l’éloge funèbre1.» C’est tout à fait vrai. Et cela m’a suivi pendant des années. »

Je vous passe les détails sur les origines de cette peur (ils sont dans le livre). Mais J. K. Rowling et Maya Angelou, grâce à leurs écrits, m’ont grandement aidée à les identifier et à les identifier.

« Il est 21heures, je suis sur mon canapé, mon deuxième verre de vin à la main, une assiette de sushis à peine entamée devant moi. J’appelle la journaliste pour lui annoncer que je ne peux pas faire l’interview. J’invente un prétexte, j’ai pris un autre engagement qui m’empêche de venir. « Un autre engagement que la matinale la plus écoutée de France?» Comme si cela était imaginable. Mon estomac se noue davantage. Je me risque à lui répondre un faible « Oui ». Elle m’assène : « C’est impossible, je n’ai pas d’alternative, c’est dans dix heures. Si vous ne venez pas, je vais me faire virer.» Je lui avoue alors que je suis terrifiée à l’idée de m’adresser à tant de personnes. Je lui raconte l’histoire du poème à l’école. Puis je m’attarde sur un autre épisode: l’école primaire est finie depuis longtemps, nous sommes une quinzaine d’années plus tard. On pourrait croire que ce qui semblait être une fixette de petite fille s’était assoupi avec le temps. Que la peur s’était dissipée. Bien au contraire. J’avais soigneusement évité de lever la main à l’école, je ne m’aventurais que très peu à proposer quelques théories hasardeuses dans un dîner, et autant vous dire que vous n’alliez pas me croiser à un quelconque débat universitaire à parloter pendant des heures. »

« Au bout de longues minutes d’un discours éloquent pour m’éviter de revivre ces angoisses qui précèdent ma prise de parole, la journaliste me coupe (rappelons-le, nous sommes un dimanche soir, il est maintenant 21 h 30, elle a clairement envie de faire autre chose) : « Vous ne le faites pas pour vous. Vous le faites pour les autres femmes.» Et je me dis que finalement ce sont elles, les Glorieuses. Ce sont ces femmes qui, dans mon imaginaire, me soutiennent quand je suis sur le point de faire quelque chose qui me terrifie, ou dans une moindre mesure que je déteste faire. C’est Olympe de Gouges qui s’apprête à réclamer l’abolition de l’esclavage, c’est Marguerite Durand qui lance La Fronde, c’est Joséphine Baker sur le chemin de la Résistance, c’est Paulette Nardal, première femme noire à étudier à la Sorbonne, c’est Maria Deraismes qui demande aux parlementaires les mêmes droits politiques pour les femmes. Les Glorieuses, ce sont toutes les femmes de l’Histoire qui se sont battues pour faire de l’égalité une réalité. Ce sont les femmes qui me poussent à parler en public, à négocier un contrat, à répondre à une énième personne qui remet en cause les droits des femmes. Ce sont toutes ces femmes qui me poussent à continuer.

Je n’ai pas dormi de la nuit mais j’y suis allée. Sans même parler de l’angoisse supplémentaire que m’a causée le fait de découvrir que je serais filmée (depuis quand filme-t-on à la radio?). Après avoir bu quarante verres d’eau, on m’a dit que c’était mon tour. Je suis entrée dans le studio, je me suis assise, j’y étais. J’avais peur. J’ai entendu la voix d’Yves Calvi commencer : « Nous sommes aujourd’hui avec Rebecca Amsellem… » Je me suis lancée et, à la fin, je me suis dit : « On recommence quand ? »

Crédits photo : Fanny Cortade ; Les Glorieuses

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