Mardi 8 mars 2022 “En tant que femme, on est poussée à fermer sa gueule et obéir bêtement“, rencontre avec Louise AuberyJ’ai découvert Louise Aubery lors du (premier) déconfinement en mai 2020. Alors que le magazine féminin Elle sortait un numéro d’été avec en couverture une mannequin en slip avec un pull à col roulé (logique) et un dossier consacré au “déconfinement des kilos“, Louise avait reproduit cette une en remplaçant l’injonction à retrouver son corps d’avant par “Prendre du poids n’est pas un échec !“. Une idée géniale, comme elle en a souvent. Récemment diplômée de Sciences Po, Louise a 24 ans et elle est créatrice de contenus. Vous connaissez certainement son compte Instagram My Better Self (qui réunit plus de 510.000 abonné·e·s) puisque ses posts sont très relayés par les médias. La raison de leur succès ? L’authenticité, marque de fabrique de l’entrepreneuse. Depuis 2016, elle prône le droit à l’imparfait et propose des mises en scène qui sensibilisent particulièrement bien à la lutte contre le sexisme et les inégalités de genre. Ce n’est donc pas un hasard si j’ai eu envie d’échanger avec elle aujourd’hui, 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes. C’est également l’occasion de vous recommander son premier livre à paraître mardi prochain aux éditions Leduc, Miroir, Miroir… Dis-moi ce que je vaux vraiment. Un essai très complet, documenté et clair sur la pression qui pèse sur les épaules des filles et sur la notion de “féminité“ que Louise questionne brillamment. Place à notre interview…
Quand j’ai compris que notre valeur ne reposait pas dans notre apparence physique alors que j’ai cru ça toute mon adolescence, ça a été une telle découverte, une telle libération, que j’avais envie de faire cette référence au miroir dans mon titre. Ce que l’on vaut vraiment ne se trouve pas dans le reflet de la glace, contrairement à ce qui est présenté dans Blanche-Neige avec “Dis-moi qui est la plus belle“, comme si c’était le but de notre vie d’être plus belle que les autres, pas la plus intelligente ou la plus forte, juste la plus belle.
Non, ado, j’étais une autre personne ! Je n’étais pas du tout déconstruite et vraiment victime des injonctions. J’étais très complexée parce que j’étais dans la comparaison permanente : déjà, j’ai une sœur jumelle donc ça ne m’a pas aidée, et j’avais aussi pris ce réflexe avec mes amies. Je ne me trouvais pas aussi belles qu’elles, j’essayais de changer mon apparence physique pour être validée mais je n’avais pas forcément conscience du fait que ça me pesait. En tout cas, qui j’étais ne me suffisait pas.
J’ai toujours eu du mal avec l’autorité et quand j’ai remarqué qu’elle était plus présente envers les femmes qu’envers les hommes, ça m’a révoltée. J’ai eu cette conscience assez tôt que je ne pouvais pas m’habiller comme je le voulais, que j’étais plus facilement collée ou envoyée chez le CPE. Être rebelle pour un garçon, on disait que c’était normal, mais mon comportement révolté à moi ne l’était pas. Je trouvais ça dingue qu’on attende un certain comportement de ma part parce que j’étais une fille. Ce sentiment d’injustice a été le début de mon combat féministe.
C’est très simplement le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes, mais j’ajoute à la défense de l’égalité des droits celle de l’égalité des libertés. Ce n’est pas forcément théorisé par des lois mais ça pèse lourd dans le quotidien des femmes : la liberté de comportement, de parole, des choix vestimentaires, la liberté de rentrer seule chez soi le soir. Selon moi, la question de la liberté est encore un peu sous-estimée et représente vraiment une quatrième vague du féminisme moderne.
En fait, mes parents m’ont donné l’impression que la vie était une compétition. Mes grands-mères, au contraire, m’ont exprimé un amour inconditionnel qui fait beaucoup de bien quand on est enfant, ado, et qu’on est très complexée. Avec elles, j’avais l’impression d’être la huitième merveille du monde et ça a été indispensable dans ma construction. Je n’y croyais pas forcément quand elles me disaient que j’étais “exceptionnelle“ mais le message est quand même rentré dans ma tête. Elles m’ont vraiment aidée à gagner confiance en moi, à comprendre que je n’avais pas besoin de ressembler à quoi que ce soit pour être digne d’amour. Il y a une sagesse chez les grands-parents qui est hyper bénéfique quand on est jeune. Elles ont vécu, ont tiré tellement d’enseignements de la vie dont nous n’avons pas conscience.
Je trouve qu’on n’en parle pas assez alors que pour moi c’est important de réaliser qu’il y a des constructions derrière nos croyances, qu’on nous a conditionné·e·s à penser de telle ou telle manière. Ce qui est positif c’est de se dire que ce qu’on a construit, on peut le déconstruire. J’aime bien ce terme parce qu’il montre que rien n’est gravé dans le marbre.
Oui, je trouve que l’obéissance ne fait pas bouger les choses. Elle est légitime si on adhère aux consignes supérieures mais, souvent, on va obéir juste par principe. Et l’obéissance quand il n’y a pas d’adhésion derrière, ça n’a aucun sens. En tant que femme, on est poussée à fermer sa gueule et obéir bêtement sans se demander si on a envie d’obéir. Dire “Non, je n’ai pas envie de faire ce qu’on me dit“ est la base de la déconstruction et de la libération.
Je tiens déjà à dire qu’il n’y a pas de “déclic“, ça je n’y crois pas. Ce n’est pas parce qu’on nous montre qu’on peut s’aimer qu’il ne tient qu’à nous de nous aimer. Non. Et nous le répéter, c’est culpabilisant. Moi, je ne me suis pas aimée du jour au lendemain. Je n’ai pas arrêté de me maquiller du jour au lendemain non plus. Le confinement a aidé, c’est certain, parce que je me suis rendu compte que ma valeur au quotidien ne changeait pas. Quand j’ai compris que je pouvais mettre mon énergie et mon temps ailleurs, je me suis mise à le faire mais ça a été progressif. Je dirais donc à celles qui nous lisent : ne lâchez pas l’affaire, c’est un chemin ! Ne vous sentez pas en échec si vous n’aimez pas votre corps. Peut-être qu’au fur et à mesure, vous vous détesterez un peu moins, vous vous aimerez un peu plus. Le fait d’unfollow des comptes qui vous font vous sentir mal, c’est un début. Il faut pratiquer, sortir avec les cheveux gras et se rendre compte que ça ne change rien. C’est un je-m’en-foutisme à adopter.
Au final, c’est comme le self-care, ce sont des mots qui sont là pour faire vendre des produits… et c’est important de savoir qu’on ne trouvera pas l’amour de soi à l’extérieur de soi. En réalité, ça se cultive, ça se vit, l’amour de soi c’est être à l’écoute de soi-même. On n’est pas du tout encouragé·e·s à le faire, à méditer vraiment, à s’épargner des comportements toxiques.
Généralement je ne réponds pas, ou alors si c’est bienveillant j’essaie de montrer en quoi la personne est elle-même victime d’injonctions. Une fille m’avait dit “Je t’aime beaucoup mais, s’il te plait, coiffe-toi…“. Je lui avais répondu que les messages que je partage restent les mêmes que je sois coiffée ou non et elle m’avait écrit : “C’est juste que t’es tellement belle quand t’es coiffée !“ Mais du coup, quoi ? Tellement belle aux yeux de qui ? Si je peux éveiller les consciences, je le fais, mais quand on me fait des reproches par rapport à mon apparence physique, ça ne me fait ni chaud ni froid. Ça sert à quoi de se pourrir la vie avec ça ? J’ai pesé 45 kilos et je me sentais mal dans ma peau. Je me suis maquillée et je me sentais mal dans ma peau. Je me sens beaucoup mieux maintenant que je m’en fous.
C’était important pour moi de la poster justement pour dire que ce n’est pas en atteignant le physique idéal défini par la société qu’on est mieux dans notre peau. Même si le fait de le savoir ne fait pas tout, ça aide quand même, c’est une partie du chemin et c’est aussi une responsabilité quand on est créatrice de contenus. Au-delà du poids, à cette époque, j’avais pris rendez-vous avec un chirurgien pour me faire refaire le nez, je voulais aussi changer ma couleur de cheveux… C’était important pour moi de montrer que les enseignements que je partage, je ne les sors pas de nulle part.
En fait, je suis vraiment attristée par la police du militantisme car ça dessert la cause et ça me questionne beaucoup sur ce que veulent ces personnes. J’ai le sentiment qu’elles ne veulent pas vraiment faire bouger les choses, que d’être dans cette lutte leur permet d’exister. Je crois qu’il y a des gens qui s’épanouissent dans la contradiction. La personne qui a fait le plus de mal à ce buzz est une féministe, qui a dit vouloir prévenir sur la qualité des protections, etc. Mais du coup, tu ne veux pas aider les femmes dans le besoin, sans aucune protection périodique ? Quand tu es dans cette situation, c’est ça ou du papier journal dans la culotte. Avec cette collecte, on a pu distribuer 800.000 protections dans la rue. Pour moi, c’est la fin qui compte, concentrons-nous sur la fin plutôt que sur les moyens. À force de vouloir être toujours plus pure, on dessert le combat.
Nous devons arrêter de nous voir comme des concurrentes car c’est le fruit du patriarcat et de la misogynie intériorisée. Moi-même, il m’arrive d’avoir des pensées que je ne voudrais pas avoir, par réflexe de conditionnement. Pour autant, il ne faut pas se blâmer de les avoir mais se demander pourquoi on pense ça, pourquoi on se dit par exemple qu’il y a un problème avec la tenue que porte une fille. Et se dire “Ah oui, c’est parce qu’on m’a appris qu’elle doit chercher l’attention des autres que je pense comme ça“. On a beaucoup plus à gagner de la solidarité et de l’entraide que de la condamnation des autres. C’est en train de naître mais on n’a pas encore cette confiance masculine. Le jour où on unira vraiment nos forces, on sera capables de faire beaucoup. Le livre de Louise Aubery, Miroir, Miroir… Dis-moi ce que je vaux vraiment, paraîtra le 15 mars 2022 aux éditions Leduc. Le post de la semaineLes Simpsons et le drapeau de l’Ukraine par Matt Groening, créateur de la série Les recommandations de ChloéAlors que le premier tour est dans un mois, plus d’un jeune sur deux pense que ses préoccupations ne sont pas prises en compte par les candidat·e·s à l’élection présidentielle. C’est ce que révèle une enquête de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) réalisée avec Ipsos (que vous pouvez retrouver ici). Le harcèlement scolaire est enfin reconnu comme un délit et donc puni par la loi (jusqu’à dix ans de prison en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime). Sans frapper est un documentaire important sur le viol, réalisé par Alexe Poukine. Plusieurs protagonistes – hommes, femmes, victimes, agresseurs – racontent l’histoire d’Ada, 19 ans, puis la commentent. Face caméra. La mise en scène est intense. Le film sort demain en salle, je vous le recommande vivement, mais soyez sûr·e·s de pouvoir faire face à ce sujet avant d’y aller ❤️ Kaneila vit au Népal, Jade en France, Mahnoosh en Afghanistan, Makena au Kenya et Luisa au Mexique. Dans Naître fille (éditions du ricochet), le premier livre d’Alice Dussutour, nous découvrons la vie de ces cinq adolescentes, les coutumes propres à leurs pays et les injonctions auxquelles elles doivent faire face. Kaneila, par exemple, n’a pas le droit d’aller au temple ou à l’école quand elle a ses règles car les écritures hindoues considèrent le sang menstruel comme le fruit d’un péché venant des dieux. Le récit est passionnant et j’adore les dessins – c’est à Alice Dussutour qu’on les doit également ! D’ailleurs, c’est elle qui a illustré le tome 2 du Petit guide de la foufoune sexuelle réservé aux 12-16 ans ! Il est publié aux éditions Better Call Julia, qui sortent également Big Bang Féministe, premier ouvrage de Maud Blondeau, et Les mots de feu, recueil de la poétesse ivoirienne Fia Maureen Kakou. Et comme je ne me lasse pas de vous conseiller des livres et que je suis certaine que le concept va vous plaire : la librairie Un livre et une tasse de thé lance sa box littéraire féministe ! Vous avez dit trop cool ? Les dernières newsletters Gloria MediaBienvenue au nouvel Impact, Impact, 7 mars 2022 “C’est important maintenant de raconter le monde tel qu’on le voit, nous“, une conversation avec l’autrice espagnole Elena Medel, Les Glorieuses, 2 mars 2022 We Should All Be Scientists, Les Petites Glo, 22 février 2022 Comment les systèmes de vente multiniveau s’appuient sur les normes de genre pour réussir, Economie, 10 décembre 2021 |
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