Découvrez la newsletter #Economie qui réinvente les modèles

On rencontre une nouvelle personne. On immerge dans un nouveau lieu. On se lance dans un nouveau projet. Peu importe le contexte, c’est nouveau. On a une boule au ventre. Un mélange de peur, d’angoisse, d’excitation aussi. Dans le meilleur des cas, une intuition. Ces symptômes relèvent du champ lexical du sentiment, ou plus précisément du pré-sentiment : deviner quelque chose qui ne s’est jamais réalisé, ressentir, pressentir, percevoir l’indémontrable, aller au-delà de l’analyse cartésienne. Ces symptômes peuvent être identiques à ceux de la peur. On dit ainsi souvent que la peur est l’intuition qui a permis à l’humanité de survivre. Mais, de la même manière, elle freine son évolution. Comment faire la différence entre les deux,  entre la peur de s’engager dans l’inconnu et l’intuition ? Et surtout, comment pouvons-nous apprendre à faire confiance à son intuition ?

L’artiste serbe Marina Abramović décrit l’intuition comme indispensable à son travail (dans le documentaire Innsaei de Hrund Gunnsteinsdottir et Kristín Ólafsdóttir). « L’un des moments les plus effrayants de l’histoire de l’humanité a été celui où l’on pensait autrefois que la terre n’était pas ronde, mais plate. Vous imaginez Colomb à cette époque, qui voulait trouver une nouvelle façon d’aller en Inde. Il se jetait vers l’inconnu complet. Il ne savait pas où était la deuxième route pour aller en Inde et il avait la possibilité de tomber de la terre dans l’enfer complet. Pouvez-vous imaginer tomber de la terre? A quel point c’est effrayant? Et puis il a fait ce voyage, il a eu le courage d’aller vers l’inconnu et de trouver l’Amérique. » [Notons qu’il a également eu le « courage » d’asservir des populations indigènes entières, mais ça, il aurait pu éviter.] « Pour moi, aller vers l’inconnu est la règle absolue numéro un. Nous ne pouvons jamais changer notre vie ou nous-mêmes si nous faisons uniquement les choses que nous aimons. »

On préconise de plonger dans l’inconnu. Facile à dire, n’est-ce-pas ? L’idée n’est pas d’aller escalader l’Himalaya demain matin mais de changer un élément de sa routine. « Nous avons toujours le même schéma, renchérit Marina Abramović, la même merde, nous tombons amoureux du même mauvais gars, […] nous répétons nos vies parce que nous aimons toujours faire ce que nous aimons et parce que c’est si facile. Mais, si vous faites le voyage et que vous faites des choses que vous n’aimez pas, que vous avez peur et que vous entrez dans un territoire inconnu, alors il y a une grande possibilité que vous changiez de modèle et que quelque chose d’autre arrive. » Pourquoi est-ce effrayant de changer de modèle ? Ce n’est pas que la possibilité de l’échec est grande, c’est que cette possibilité est omniprésente dans nos esprits. « Il y a aussi une grande chance d’échouer. Et je pense que l’échec est un aspect important de la vie. Nous devons vraiment être prêts à échouer […]. L’échec doit faire partie du voyage ». Pour faire confiance en son intuition, il faut donc ne plus avoir peur de l’échec. De ses échecs.

Petit problème. Comment ne pas avoir peur de l’échec lorsqu’on vit dans une société où les femmes n’ont pas le droit à l’erreur ? Les femmes – a fortiori racisées  – peuvent-elles échouer, se relever et recommencer de nouveau – en « apprenant » des erreurs du passé pour ne plus les reproduire ? Non. Car lorsqu’une femme échoue, les représentations sont telles que ce sont toutes les femmes qui échouent. En effet, à cause du fameux mythe de la femme parfaite, les femmes subissent une pression qui les poussent à devoir être meilleures que tout le monde. Pour ne plus avoir peur de ses échecs, ce sont donc les représentations que nous devons changer. « Quand je vous vois, ma première impression ou intuition peut être biaisée par qui vous êtes, qui vous représentez. J’ai peut-être des stéréotypes en tête, des stéréotypes que j’ai sur les femmes. Voir, c’est croire. C’est pourquoi la représentation est si importante » rappelle ainsi Iris Bohnet, Professeure en politiques publiques à l’Université de Harvard (dans le même documentaire que celui cité précédemment). Pour faire confiance en son intuition, ce n’est donc pas sa personnalité qu’il faut changer. Ce sont les représentations.

Crédits photo : Omar Lopez

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