On ne peut pas forcer le zeitgeist, entretien avec Sarah Schulman
***Deux places à gagner*** LIBRE ARBITRE, Une pièce de Julie Bertin et Léa Girardet. Berlin 2009. Championnat du monde d’athlétisme. Caster Semenya remporte la médaille d’or du 800 mètres femmes. Aussitôt, la jeune athlète sud-africaine éveille les soupçons de la Fédération internationale d’athlétisme et doit se soumettre à un ”test de féminité”. Qu’est-ce qu’une « vraie » femme et pourquoi cette question ne cesse de hanter les grandes compétitions sportives? À travers le parcours de Caster Semenya, Libre arbitre questionne la représentation du corps des femmes, son contrôle et les rapports de pouvoir à l’œuvre dans notre société. Teaser https://vimeo.com/710265161 31 mai > 4 juin au Théâtre 13 info / Et pour toutes Les Glorieuses qui souhaitent venir dans ce théâtre là, il y a un code promo : BERLIN (10 euros la place). Pour participer au concours, il suffit de répondre à ce mail <3
Avez-vous écouté La Méthode ? Qu’en avez-vous pensé ? Dites-nous <3 La Méthode est un podcast documentaire en six épisodes. C’est une ambition intellectuelle, celle de sortir du carcan cartésien pour définir un nouveau paradigme féministe. Concrètement, je vais essayer de répondre à une question : comment créer une utopie féministe ? Et pourquoi pas une seconde question, allez : comment réalise-t-on une utopie ? Ecoutez La Méthode sur Apple Podcasts, Spotify, Deezer, Amazon Music, Google Podcasts, Castbox, Acast Et c’est même possible d’écouter les six épisodes en anglais (Do You Speak Feminist Revolution English ? Ok, je sors), Apple Podcasts, Spotify, Deezer, Castbox, Acast…
Aujourd’hui, nous retrouvons Sarah Schulman. Sarah Schulman est romancière, dramaturge, historienne et militante LGBTQIA+. Elle est professeure titulaire au College of Staten Island et professeure invitée au New York Institute for the Humanities. Elle a été membre fondatrice de la « AIDS Coalition to Unleash Power » à New York et s’est engagée dans un projet de recueil et d’archivage de témoignages de personnes
ayant activement participé aux actions menées dans le cadre de la lutte contre le sida aux États-Unis dans les années 1980 et 1990. Elle est aujourd’hui une historienne reconnue de l’action des femmes au sein du mouvement Act Up aux États-Unis. Elle est l’autrice de La Gentrification des esprits (2018) et du Conflit n’est pas une agression (2021) parus en français aux éditions B42.
Vous pouvez retrouver une partie de cet entretien dans l’épisode 5 du podcast La Méthode, « Embrasser la nuance ». Cette conversation, pour plus de clarté, a été éditée. Elle s’est déroulée en anglais, la traduction est de Stephanie Williamson, vous pouvez retrouver la version
originale à la fin de la newsletter (comme d’habitude donc).
Rebecca Amsellem – Avez-vous déjà pensé à quoi ressemblerait une utopie féministe pour vous ?
Sarah Schulman – Je pensais peut-être de cette façon quand j’étais plus jeune. Mais maintenant, je n’ai plus cette idée que plus le temps passe, plus les choses s’améliorent. Je pense que le seul choix que nous ayons est le processus qui nous permet de faire ce que nous faisons maintenant et d’essayer d’être aussi cohérent que possible tout en réalisant qu’être totalement cohérent est également impossible. Mais je ne m’attends pas à quelque chose d’autre dans le futur. Peut-être parce que je ne suis pas croyante.
Rebecca Amsellem – Diriez-vous que la cohérence pourrait décrire votre propre méthode pour améliorer la société ?
Sarah Schulman – Je ne sais pas si cela l’améliore. Je suis très contrariée par les hiérarchies, et j’essaie de guider les gens et de les soutenir, même s’ils ne pourront jamais rien faire pour moi. Et c’est quelque chose que j’ai vécu quand j’étais plus jeune, qu’il y avait des gens qui soutenaient ce que je faisais, même si je ne pouvais rien faire pour eux. L’une d’entre elles était Kathy Acker. Et puis il y avait beaucoup de personnes à qui je demandais de l’aide et du
soutien, et qui ne voulaient jamais m’aider parce que je n’avais pas de statut social. J’ai donc remarqué la différence et ce que cela me faisait. J’essaie vraiment de traiter les gens avec respect, quelle que soit leur position. Et cela semble facile, mais ça va vraiment à l’encontre de tout, car le système est tellement hiérarchisé et il n’est pas basé sur la qualité. Il est basé sur la familiarité. Plus ce qu’on dit et ce qu’on fait est similaire à ce qui existe déjà, plus c’est considéré comme bon, et plus les choses qu’on fait sont originales, plus elles sont considérées comme inconnues et donc mauvaises. Comme l’a dit Picasso, l’innovat.eur.rice rend la chose laide et le.la déviat.eur.rice la rend belle. Et ma vie
m’a montré que c’est bien vrai. J’essaie donc vraiment d’écouter les gens qui sont en dehors de ce système de pouvoir. Et c’est difficile parce qu’on a tous également ses propres ambitions. J’ai mes propres ambitions, mais il m’est très difficile d’être faussement polie. Et cela m’a causé beaucoup de problèmes. Mais je pense qu’en fin de compte, c’était la bonne voie à suivre.
Rebecca Amsellem – Pouvez-vous nous parler d’un moment où vous n’avez pas été polie ?
Sarah Schulman – Eh bien, cela arrive tout le temps. Je suis constamment dérangée par le fait que des choses vraiment
médiocres soient présentées comme merveilleuses et géniales. C’est très agaçant. Et on est censé suivre le mouvement. Et si on ne le fait pas, alors on est considéré comme impoli. Mais je ne peux tout simplement pas. C’est comme un défaut de personnalité bizarre.
Rebecca Amsellem – Quand est-ce que c’est arrivé pour la dernière fois ?
Sarah Schulman – Ça arrive tous les jours, tous les jours parce que j’ai eu une expérience très intéressante, à savoir que j’ai cette carrière très durable. Mon premier livre a été publié quand j’avais 24 ans. Aujourd’hui, j’en ai 63.
C’est donc une carrière de presque quarante ans. Et pourtant, elle a été presque entièrement propulsée par ses débuts. Ce livre, Conflict is Not Abuse, personne aux États-Unis n’a voulu le publier. Une chose étrange s’est produite, à savoir que les gens l’ont lu et ont commencé à en parler sur Internet et à en débattre. Et j’ai fait une tournée de promotion du livre et lors de la première lecture, j’ai peut-être eu une vingtaine de personnes. Mais à la fin de la tournée j’avais 400 personnes et elles avaient toutes la vingtaine. Et c’est l’histoire de toute ma vie. J’ai toujours réussi à parvenir, à continuer ma carrière. Mais parallèlement, bien sûr, j’ai ce désir de devenir plus
mainstream, d’entrer dans le courant dominant, et j’essaie toujours, mais je n’y arrive pas parce que je n’ai pas la bonne personnalité. Mais de toute façon, revenons à la question de l’utopie. Nous essayons d’agir d’une manière qui reflète nos valeurs réelles, et beaucoup de choses ont des valeurs déclarées, mais ces valeurs ne sont pas reproduites dans l’action elle-même. Je pense que c’est donc le plus proche que l’on peut espérer être.
Rebecca Amsellem – Aviez-vous quelque chose de spécifique en tête lorsque vous avez publié ce livre ? Quel était le meilleur résultat que vous pouviez imaginer ?
Sarah
Schulman – Eh bien, le résultat qui s’est produit a dépassé ce que j’avais imaginé. Je suis choquée de voir à quel point les gens vivent avec ce livre parce qu’il est sorti deux semaines avant l’élection de Trump, et Trump en est l’exemple parfait parce qu’il nous dit toujours qu’il est une victime, alors qu’en fait c’est un agresseur.
Rebecca Amsellem – Vous commencez votre livre par cette phrase : « Je voudrais que les gens prennent conscience du peu de pouvoir qu’ils ont. » Elle a été prononcée par votre amie Lisa Henderson et elle est à la fois très puissante et très effrayante. Qu’aviez-vous en tête en la choisissant ?
Sarah Schulman – Il y a très peu d’entre nous qui n’ont pas de pouvoir du tout. Les gens veulent prétendre qu’ils n’ont pas de pouvoir, car avoir du pouvoir signifie qu’on a des responsabilités. Mais la plupart d’entre nous peuvent avoir un impact sur les autres d’une manière ou d’une autre. Et il est préférable d’en être conscient et d’avoir ce choix. Habituellement, on s’attendrait à ce que quelqu’un veuille pouvoir choisir, mais nous sommes dans une période tellement chaotique qu’il est devenu préférable de penser qu’on n’a pas le choix, alors qu’on l’a.
Rebecca Amsellem – Vous dites
que la perfection n’est par définition jamais atteignable. Et cela rejoint le concept de pureté militante, qui est très présent. Comment se détacher d’un idéal qui rend les militant.e.s malades ? Ou, pour être plus précis, pourquoi acceptons-nous l’imperfection à un niveau systémique mais pas chez les individus ?
Sarah Schulman – Il y a une obsession avec la pensée homogénéisée. Je ne comprends pas totalement d’où cela vient, mais ça me fait penser à un livre que je viens de terminer sur l’histoire d’Act Up-New York. C’était un mouvement politique très efficace. Et l’une des raisons pour lesquelles il est efficace est qu’il n’était pas
nécessaire pour ses membres d’être d’accord les uns avec les autres. Il n’y avait donc pas de consensus dans le groupe. Si vous vouliez faire quelque chose, il y avait une ligne de fond. Il faut toujours avoir une ligne de fond. Nos valeurs consistaient d’une action directe pour mettre fin à la crise du sida. Par exemple, si vous aviez une idée d’action directe pour mettre fin à la crise du sida et que je pensais qu’elle était mauvaise, je n’y participerais tout simplement pas. Mais je n’essayerais pas de vous empêcher de la mettre en place. Vous le feriez. Et puis moi, je trouverais dix personnes qui voulaient suivre mon idée, et nous le ferions. Et ce que cette structure de démocratie radicale produit, c’est une simultanéité d’action. Ils ont donc différents types
d’actions en cours en même temps, qui ont tous une esthétique différente, des approches différentes. Ces actions se déroulent dans des milieux différents. Et c’est cette différence qui crée le changement de paradigme. Historiquement, les mouvements qui ont essayé de forcer les gens à adopter une seule analyse ou une seule stratégie ont tous échoué. Et je ne pense pas qu’il y ait d’exception, qu’il s’agisse du marxisme le plus idéologique ou d’un féminisme pur et dur ou de quoi que ce soit d’autre. Cela ne fonctionne pas parce que les gens ne peuvent être que là où ils sont, et on ne peut pas les obliger à être dans une mentalité ou une situation où ils ne sont pas. Un bon mouvement aide donc les gens à être efficaces à
partir de là où ils se trouvent. Et donc notre travail avec les autres est basé sur nos points d’accord et non pas nos différences. Mais on ne peut pas toujours essayer de faire en sorte que les personnes avec qui on travaille soient comme nous. Cela ne fonctionne tout simplement pas.
Rebecca Amsellem – Et donc, à votre avis, le mouvement Act Up a en fait réussi parce qu’il savait qu’il ne pouvait pas placer les gens ailleurs que là où ils se trouvaient à ce moment-là.
Sarah Schulman – Eh bien, ce qui est intéressant à leur sujet, c’est qu’ils ne savaient rien. Ils n’ont rien théorisé sur eux-mêmes. Ils n’ont jamais pris la décision de faire les choses de cette façon. Ils l’ont simplement fait parce que c’était un mouvement de personnes qui étaient en train de mourir. Le temps pressait.
Rebecca Amsellem – Je me
demandais si la méthode pour avancer était de refuser de s’adapter. Et si c’était réellement possible, ce serait en fait ma définition de radical. La deuxième question est la suivante : être radical est-ce forcément en contradiction avec le fait d’appliquer des nuances à sa façon de penser ?
Sarah Schulman – Eh bien, tout d’abord, je ne suis pas sûre d’être d’accord avec vous sur le fait que les gens choisissent d’être radicaux. Je pense que c’est un type de personnalité, et la question d’où cela vient, eh bien on vit dans un présent qui est très antinuance au niveau mondial, pas vrai ? Parce que nous voyons la montée du fascisme et du nationalisme. Il y a
plus de réfugiés qu’il n’y en a jamais eus dans l’histoire du monde. Et les frontières sont des lieux de souffrance. C’est donc une époque très peu nuancée pour moi. Je suis une New-Yorkaise juive née treize ans après la fin de l’Holocauste. Je viens donc de cette époque et de cette ville où les gens essayaient de comprendre pourquoi cet événement s’est produit, et il n’y a pas de réponse à cette question. Mais l’une des lignes de pensée est que les humains ont des pulsions de colère et le désir de blâmer et de projeter. Mais nous devons apprendre à séparer nos sentiments de nos actions. Ce n’est pas parce que nous avons peur que cela doit contrôler notre comportement. Si la personne qui nous avait fait du mal était punie, et
si nous pouvions séparer le fait d’être entendu et soigné du besoin de punir quelqu’un d’autre, nous serions dans une meilleure position. Donc ces deux séparations de part et d’autre nécessitent une conscience. Je suppose donc que la nuance est liée à la conscience et à la prise de conscience, mais on ne peut pas forcer les gens à le faire. Vous connaissez T. Grace Atkinson ? C’était une féministe de la deuxième vague. J’ai entendu un de ses discours il y a peut-être vingt ans, et elle a dit que les femmes n’avancent dans la société que lorsque les hommes avancent, et qu’elles ne peuvent pas avancer si les hommes n’avancent pas. Et cela n’arrive que tous les quarante ans environ. Et alors on passe l’intervalle à essayer de
résister à se battre. Et c’est le combat de très peu de gens. On ne peut pas forcer le zeitgeist.
Rebecca Amsellem – On dirait que vous êtes en train de dire que nous sommes condamnés à répéter les mêmes erreurs que nos ancêtres.
Sarah Schulman – Nous sommes condamnés. Nous ne sommes pas au pouvoir. Nous n’avons pas le contrôle. Il y a donc comme une politique de la répétition. Aux États-Unis, en ce moment même, nous perdons le droit à l’avortement. L’avortement est devenu légal quand j’étais au lycée. Et maintenant, nous sommes à nouveau à ce stade. Et on est en train d’essayer de
reformuler les idées qui sont nées à cette époque. Nous savons que nous vivons dans un pays où la plupart des gens pensent que l’avortement devrait être légal, les idées de base sur la maternité forcée et le fait de ramener tout ce discours à des générations qui ne l’ont jamais entendu. Dans un pays où les gens sont très religieux maintenant, aux États-Unis, c’est cyclique parce que c’est une énorme confrontation entre le pouvoir masculin et l’autonomie des femmes, tout comme le débat. Le débat que nous avons sur la race aux États-Unis est également très répétitif. Je veux dire que les Blancs ne veulent pas que l’histoire du comportement des Blancs devienne officielle, qu’elle fasse partie de l’histoire de la nation.
Rebecca Amsellem – Je pense que nous sommes en quelque sorte dans un moment étrange dans lequel nous pouvons soit plonger dans une société fasciste, soit gagner.
Sarah Schulman – L’un des obstacles les plus importants est peut-être l’islamophobie. C’est très tentant. C’est très tentant pour les féministes et les personnes queer, de se laisser aller à l’islamophobie. Et l’État s’en sert comme d’un outil. C’est un peu le rôle que les Juifs ont joué à une époque en Europe. Et je sais qu’il y a eu de grandes disputes au sein du féminisme ici au sujet de l’Islam. L’une des raisons pour lesquelles je soutiens
tant le mouvement queer palestinien est que j’ai l’impression que c’est une voie vraiment importante pour certains de nos mouvements. Il est important de nous tenir aux côtés des personnes qui sont les plus oppressées dans notre monde et de ne pas devenir un de ces mouvements bourgeois qui sont complices.
Rebecca Amsellem – Pourquoi certaines d’entre nous ressentent le besoin de se sentir agressées et de réagir en conséquence au sein du mouvement féministe ?
Sarah Schulman – Parce que nous sommes à une époque où il faut être éligible à la compassion. On n’obtient pas de la compassion simplement par le fait d’être un être
humain. Aujourd’hui, il faut être à 100 % innocent pour mériter d’être soutenu. Et très peu de gens le sont. Certaines personnes le sont dans certaines circonstances, mais la barre est tellement haute. Si on arrive à reconnaître qu’on participe à la création d’un problème ou qu’on intensifie un problème, alors on peut se rendre compte qu’on a la possibilité de le changer. Donc, en fait, nous devrions vouloir reconnaître que nous avons ce pouvoir, car ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra réellement changer la situation. Mais malheureusement, nous sommes à une époque où avoir ce sentiment de pouvoir sur nos propres décisions fait qu’on est souvent blâmé. Et une fois qu’on est blâmé, alors on est
isolé, on est rabaissé. Mais le fait de prendre des responsabilités et de reconnaître son rôle devrait être valorisé. Nos amis devraient nous soutenir et nous récompenser pour notre capacité à s’autocritiquer et notre volonté de négocier et de changer. C’est pourquoi je situe une grande partie du pouvoir dans la tierce partie, la communauté, la famille, les cliques, le groupe religieux, tout ce qui entoure un conflit. Actuellement, nous avons ces concepts de loyauté vraiment terribles selon lesquels une personne est « loyale » si elle blesse la personne contre laquelle son ami est en colère. Donc c’est comme si votre amie rompait avec son petit ami. Vous êtes censée le détester et être méchante avec lui. Vous avez des proches en Israël, vous
êtes censés soutenir le sionisme. Vous êtes censé défendre les gens auxquels vous êtes lié, quoi qu’il arrive. Mais en fait, ce n’est pas de l’amour, ce n’est pas de l’amitié et ce n’est pas de la loyauté. Le véritable amour, je pense, consiste à soutenir les gens, à faire preuve d’autocritique et à aider les gens à négocier. Cela devrait être le rôle des tierces parties. Mais ce dans quoi nous sommes maintenant, c’est ce concept très nationaliste.
Rebecca Amsellem – Et est-ce quelque chose que vous avez connu personnellement ? Avez-vous eu l’occasion de le faire ? Personne n’est parfait – en avez-vous eu l’occasion ?
Sarah Schulman – J’ai attendu très longtemps avant de prendre mes responsabilités en tant que juive à propos de la Palestine. Et à partir du moment où cela s’est enfin produit, j’ai commis erreur après erreur après erreur. Tout le processus de défaire prend vraiment beaucoup de temps. Et dans ce livre, j’essaie de documenter toutes mes erreurs dont j’étais consciente, juste pour montrer que c’est possible de le faire. Les gens ont peur de changer parce qu’ils ont peur de se jeter à l’eau et de ne pas savoir nager, et c’est vrai qu’on ne sait pas nager. Mais le changement doit quand même se faire.
Rebecca Amsellem – Vous
écrivez : « La question devient alors : pourquoi une personne préfère-t-elle avoir un ennemi plutôt qu’une bonne discussion ? Pourquoi préfère-t-elle se voir harcelée et opprimée plutôt que d’avoir une conversation qui pourrait révéler qu’elle fait tout autant partie du conflit que l’autre personne ? »
Sarah Schulman – C’est que les gens ne tolèrent pas l’idée de changer leur concept de soi. Il est dévastateur pour les gens de devoir repenser ou modifier quelque chose parce que l’idée que nous avons fait des erreurs est quelque chose que nous ne pouvons pas supporter. Sara Ahmed a souligné que cette idée que nous ne devons jamais être mal
à l’aise est un concept totalement bourgeois. Et la seule manière de traverser la vie sans être mal à l’aise est de supprimer tous ceux qui sont différents de vous. Mais en fait, dans un environnement sain, nous serions tout le temps mal à l’aise, car nous serions constamment au cœur de la différence. Et c’est ainsi que l’inconfort est bon, mais on dit toujours qu’il est mauvais et indésirable. Mais nous devons évoluer vers l’inconfort.
« You can’t force the zeitgeist », A conversation with Sarah Schulman.
Rebecca Amsellem Have you ever thought about what a feminist utopia would look like to you? Sarah Schulman Maybe when I was younger, I thought that way. But now I’m not holding this idea that as time passes, things get better. I think the only choice we have is the process of how we do what we do now and to try to be as consistent as possible while realizing that being totally consistent is also impossible. But I’m not waiting for something else in the future. Maybe because I’m not religious. Rebecca Amsellem Would you say that being consistent can describe your own method to maybe improve society? Sarah Schulman I don’t know if it improves it. I have a lot of frustrations with hierarchies, and I try to mentor people and support people, even if they will never be able to do anything for me. And that was something that I experienced when I was younger, that there were some people who supported what I was doing, even though I couldn’t do anything for them. One of them was Kathy Acker. And then there were many people who I asked for help and support, and they would never help me because I had no status and I saw the difference and how it felt. I really try to treat people with respect regardless of their position. And that sounds easy, but it really goes against everything because the system is so hierarchical and it’s not based on quality. It’s based on familiarity. The more what you’re saying and doing is similar to what already exists, the more it’s seen as
good, and the more what you’re doing is original, the more it’s seen as unfamiliar and therefore wrong. Like Picasso said, the innovator makes it ugly and the derivator makes it beautiful. And my life has shown me that that is accurate. So I really try to listen to people who are outside the apparatus of power. And it’s hard because you also have your own ambitions. I have my own ambitions, but it’s very hard for me to be fake polite. And this has caused me a lot of problems. But I think ultimately it was the right way to go. Rebecca Amsellem Can you tell us maybe about one moment when you were not polite? Sarah Schulman Well, it happens all the time. I’m constantly bothered by how much things really mediocre are presented as wonderful and great. And I find that very annoying. And you’re supposed to go along with that. And if you don’t, then you’re considered rude. But I just can’t. And it’s some kind of weird character problem. Rebecca Amsellem When was the last time that happened? Sarah Schulman It happens every day, every day because I’ve had a very interesting experience, which is that I have this very sustained career. My first book was published when I was 24. Now I’m 63. So it’s almost a 40 year career. And yet it’s been almost entirely propelled by the grassroots. This book, Conflict is not abuse, nobody in the United States would publish it This weird thing happened, which was that people read it and people started writing about it on the Internet and debating it. And I was on a book tour and maybe the first reading I had like, 20 people. But by the time I was finished, I had 400 people and they were in their 20s. And that’s the story of my entire life. I’ve managed to still be here. But in this parallel way, of course, I have my wish to enter into the mainstream, and I’m always trying, but I can’t because I don’t have the right personality.
But anyway, back to the question of utopia. Ce try to act in some way that mirrors our actual values, and a lot of things have stated values, but those values are not replicated in the action itself. So I think that’s as close as you can get. Rebecca Amsellem Did you have something specific in mind when publishing the book? What was the best outcome you could possibly imagine? Sarah Schulman Well, the outcome that’s happened has been more than I imagined. I’m shocked at how much people are living with it because it came out two weeks before Trump was elected, and Trump is the perfect example of this because he’s always telling us what a victim he is, but he’s actually a perpetrator. Rebecca Amsellem You start your book with this sentence “I would like people to be aware of the little power they have”, it was said by your friend Lisa Henderson. It is both very powerful and very frightening, what did you have in mind when choosing it ? Sarah Schulman There’s very few of us who have no agency at all. People might want to claim that they have no agency because having agency means you have responsibility. But many of us have something some way that we can impact other people. And it’s better to be aware and to have that choice. Normally, you would think that someone would want to have the choice, but we’re in such a topsy turvy moment that having the choice, but thinking that you don’t becomes more preferable. Rebecca Amsellem You say perfection is by definition never attainable. And this joins the concept of militant purity, very present. How to break away from an ideal that makes activists sick ? Or, to be more specific, why do we accept imperfection at a systemic level but not for individuals ? Sarah Schulman There’s an obsession with homogenized thinking. I don’t totally understand where it comes from, but I do know that it is completely like I just finished this 750 page book about the history of Act Up New York. That was a very effective political movement. And one of the reasons they were effective is that they did not have to agree. So there was no consensus in the group. If you wanted to do something, we had a bottom line. You have to have a bottom line. Our values were direct action to end the AIDS crisis. If you had an idea that was direct action to end the AIDS crisis and I thought it was bad, I just wouldn’t do it. But I wouldn’t try to stop you from doing it. You would do it. And then I would get ten people who wanted to do my idea, and we would do that. And what this radical democracy structure produces is a simultaneity of action. So they have
different kinds of actions going on at the same time that have different aesthetics, different approaches. They take place in different milieu. And it’s that difference that creates the paradigm shift. Historically, movements that have tried to force people into one analysis or one strategy have all failed. And I don’t think there are any exceptions, whether it’s the most ideological Marxism or a pure kind of feminism or whatever it’s been. It doesn’t work because people can only be where they’re at, and you can’t make people be somewhere that they’re not. So a good movement helps people be effective from where they are. And so you work with people based on your points of agreement. But you can’t always be trying to make them be like you. It just doesn’t work. Rebecca Amsellem And so, to your opinion, the Act Up movement was actually successful because it knew it couldn’t put people elsewhere than where they currently were. Sarah Schulman Well, what’s interesting about them is they didn’t know anything. They theorized nothing about themselves. They never made a decision to do it that way. They just did it that way because it was a movement of people who were dying. The clock was ticking they Rebecca Amsellem I was wondering if the method of moving forward was to actually refusing to adapt. And if it was actually being possible, this would be actually my definition of being a radical. And the second question is, is being radical necessarily in contradiction with applying nuance to one’s way of thinking? Sarah Schulman Well, first of all, I’m not sure I agree with you that people choose to be radical. I think it’s a personality type, and where that comes from, It is a very anti nuanced moment globally, right? Because we’re seeing the rise of fascism and nationalism. There’s more refugees than there have ever been in the history of the world. And borders are these places of suffering. So it is a very non nuanced moment for me. I’m a Jewish New Yorker who was born and then 13 years after the end of the Holocaust. So I come from this time and city where people were trying to understand why that event occurred, and there’s no answer to that question. But one of the thoughts is that people have impulses of anger and the desire to blame and to project. But we need to learn how to separate our feelings from our actions. So just because we feel afraid doesn’t mean that that has
to control our behavior. If the person who hurt us is being punished, and if we could separate being heard and cared for from the need to punish somebody else, we would be in a better position. So those two separations from both sides require consciousness. So I guess nuance is related to consciousness and awareness, but you can’t force people to do that. Do you know who T. Grace Atkinson is? She was a second wave of feminist. I heard her give a speech maybe 20 years ago, and she said that women only move forward in society when men move forward, women cannot move forward if men don’t move forward. And this only happens, like every 40 years. And then you spend the interim trying to resist, give backs, give back, give back. And that’s the fight of very few people. You can’t force the zeitgeist. Rebecca Amsellem It feels like you’re saying that we were doomed to repeat the same thing that our ancestors just did all the time. Sarah Schulman We’re doomed. We don’t have the power. We’re not in control. So there’s like a politics of repetition. In the United States right now, we’re losing the right to abortion. Right. And so it’s like abortion became legal when I was in high school. Now we’re there again. And it’s trying to restate the ideas that were being created at that time. We know we’re living in a country where most people think abortion should be legal, the basic ideas about forced motherhood and bringing back all of this discourse again to generations that never heard it. In a country where people are very religious now, in the United States, it’s cyclical because it’s a huge confrontation between male power and women’s autonomy, just like the same kind of debate. The debate that we’re in about race in the United States is also very repetitive. I mean, white people do not want the
history of white people’s behavior to be official, part of the history of the nation. Rebecca Amsellem I think is that we’re kind of in a weird moment in which we can actually jump into a fascist society or we can actually win. Sarah Schulman Perhaps one of the really big obstacles is Islamophobia. It’s very tempting. It’s very tempting to feminists and to queer people, to indulge in Islamophobia. And the state uses it as a tool. It’s kind of the role that Jews played at one time in Europe. And I know that there have been big fights within feminism here about Islam. One of the reasons that I’m such a supporter of the Palestinian queer movement is I feel like that’s a really important way forward for some of our movements. If we can really stand with the people who are the most oppressed in our world and we don’t become these bourgeois movements that become complicit. Rebecca Amsellem Why do some of us feel the need to feel assaulted and react accordingly in the feminist movement? Sarah Schulman because we are in a time where you have to be eligible for compassion. You don’t just get compassion for being a person. You have to be purely 100% innocent in order to be deserving of support. And that’s something that very few people ever are, some people are under certain circumstances, but that bar is so high that people. If you recognize that you are participating in creating a problem or that you’re participating in, what’s the word, escalating the problem, then you realize that you have the opportunity to change it. So actually, we should want to recognize that we have agency, because then we can actually change the situation. But unfortunately, we’re in a time where having agency means that you are blamed. And once you’re blamed, then you’re isolated, you’re demeaned. But actually taking responsibility and acknowledging your role should be praised.
And your friends should support you and reward you, for being self-critical and being willing to negotiate and change. So that’s why I locate a lot of the power in the third party, the community, the family, the cliques, the religious group, whatever that surrounds a conflict. Right now, we have these really terrible concepts of loyalty that you’re loyal if you hurt the person that your friend is mad at. So it’s like your friend breaks up with her boyfriend. You’re supposed to hate him and be mean to him. Your relatives in Israel, you’re supposed to support Zionism. You know, you’re supposed to defend the people you’re connected to, no matter what. But that’s actually not love and it’s not friendship and it’s not loyalty. Real love, I think, is helping people and being self-critical and helping people negotiate. That should be the role of third parties. But what we’re in now is this very
nationalist concept. Rebecca Amsellem And is this something that you personally experienced? Did you have an opportunity? Well, nobody’s perfect. Did you have an opportunity? Sarah Schulman I waited until very late to take responsibility as a Jewish person about Palestine. And from the moment that that finally happened, I made mistake after mistake after mistake. The whole undoing process takes a really long time. And in that book, I try to document all of my mistakes that I was aware of just to show that it’s possible to do. Because people are afraid to change because they’re afraid that they’re jumping into a lake and they don’t know how to swim, and it’s true you don’t. But the change has to be made. Rebecca Amsellem You write the following : “The question then becomes: why would a person rather have an enemy than a good discussion? Why would she rather see herself as harassed and oppressed than having a conversation that might reveal that she is just as much a part of the conflict as the other person? » Sarah Schulman It’s that people cannot tolerate changing their self concept. It’s devastating to people to have to rethink or alter something because the idea that we’ve made any mistakes at all is something that we can’t tolerate. Sara Ahmed pointed out that, there’s this idea that we should never be uncomfortable is a totally bourgeois concept. And the only way that you can go through life never being uncomfortable is if everyone who’s different from you is suppressed. But then actually in a healthy environment, we would be uncomfortable all the time, because we would be constantly in the midst of difference. And so it’s that discomfort is good, but a lot of people are told that it’s bad and undesirable, and we need to move towards discomfort.
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