« La Preuve » c’est la newsletter qui rend ses lettres de noblesse aux sciences sociales féministes. Car sans elles, pas d’argument. Et pas d’argument, pas d’avancées des droits des femmes. Bienvenue dans La Preuve, un nouveau supplément de la newsletter Impact créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre. Je m’appelle Josephine Lethbridge, je suis journaliste à Londres et ma spécialité, c’est d’expliquer les intersections des crises actuelles – des crises planétaires aux crises individuelles – et de donner aux gens le pouvoir d’action pour y faire face. Chaque mois, dans La Preuve, je vous partagerai les dernières recherches sur les inégalités de genre venant du monde des sciences sociales, et je rendrai ces connaissances accessibles, que vous essayiez de changer votre communauté, votre lieu de travail ou les lois de Vous voulez lutter contre le changement climatique ? Écoutez les femmes. par Josephine Lethbridge Lire la newsletter en ligne ici https://lesglorieuses.fr/sauver-la-planete/ Meenaben cultive presque un hectare de terre dans son village natal, dans l’est du Gujarat, en Inde. Elle cultive du millet, ce qui permet de nourrir sa famille et d’en faire du fourrage pour ses deux vaches. En avril de l’année dernière, sa région a connu une vague de chaleur extrême, avec des En juin, quand la chaleur commençait à peine à diminuer, un puissant cyclone – Biparjoy – a frappé la région. Les terres asséchées étaient vulnérables aux inondations, qui ont emporté la couche arable à peine semée et riche en nutriments. Du jour au lendemain, Meenaben a perdu sa récolte et ses vaches. Pire encore, sa maison a été détruite. Elle et sa famille n’ont eu nulle part où vivre pendant des semaines alors qu’elles reconstruisaient leur maison, et elles n’avaient plus de revenus. Comme si cela ne suffisait pas, plusieurs averses de pluie et de grêle ont frappé en août, détruisant une nouvelle fois leurs récoltes. À mesure que la crise climatique s’intensifie, ces histoires de catastrophes en cascade deviennent de plus en plus courantes. Mais ce dont on parle moins, c’est le fait que les femmes ont tendance à subir ces conséquences de manière beaucoup plus violente que les hommes. Voici la PreuveNombre d’activistes et de scientifiques travaillent sur cette question depuis des années. Mais jusqu’à récemment, elles et ils ne disposaient pas des chiffres nécessaires pour étayer leur propos. Et les chiffres, qui commencent à émerger, sont choquants. Un rapport publié ce mois-ci par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) démontre à quel point les femmes rurales subissent les chocs climatiques avec plus d’intensité que les hommes. Si les températures moyennes augmentent de seulement 1°C, les femmes rurales seront confrontées à une réduction massive de 34 % de leurs revenus totaux par rapport aux hommes. L’étude est la plus complète de son genre à ce jour et s’appuie sur les données de 109 341 ménages (représentant plus de 950 millions de personnes rurales) dans 24 pays à revenus faibles ou intermédiaires. Ces données ont été croisées avec 70 ans de chiffres quotidiens de précipitations, de neige et de température, permettant aux scientifiques d’évaluer comment des types spécifiques de stress climatique impactent de manière différente les revenus des personnes en fonction de leur niveau de richesse, de leur genre et de leur âge. Les chiffres révèlent qu’en moyenne, une canicule semblable à celle subie par Meenaben l’année dernière fait perdre 8 % de revenus en plus aux ménages dirigés par une femme qu’à ceux dirigés par un homme. Cela se traduit par un écart de salaires qui monte à 83 dollars par personne et par an, pour un total de 37 milliards de dollars dans les 24 pays. Les inondations affectent aussi les femmes de manière disproportionnée : les familles gérées par une femme perdent 3 % de revenus par rapport à celles dirigées par un homme. L’écart représente 16 milliards de dollars par an. Cela en dépit du fait que les parcelles de terre cultivées par des femmes génèrent en réalité plus de valeur que celles des hommes quand les inondations frappent, mais perdent massivement en termes de revenus non agricoles. Un climat patriarcalComment est-ce possible ? L’interaction de ces facteurs varie selon le contexte local. Mais les mêmes thèmes reviennent souvent : les femmes consacrent déjà beaucoup plus de temps que les hommes aux tâches domestiques et de soin, et ces exigences augmentent considérablement en réponse aux températures extrêmes ou aux catastrophes climatiques. Les femmes ont plus de chances que les hommes de perdre des opportunités d’emploi en dehors du secteur agricole. Et en raison de leurs responsabilités familiales, elles peuvent moins facilement déménager pour trouver un travail. Mais l’un des facteurs les plus importants est l’inégalité d’accès aux terres. Les femmes sont beaucoup moins susceptibles d’obtenir des droits sur leurs terres et, quand elles y parviennent, ces terres ont tendance à être plus petites et de moindre qualité que celles obtenues par les hommes. Les études montrent de manière systématique que la sécurité foncière et la taille des terres sont des facteurs cruciaux dans la capacité des paysan·nes à supporter les coûts de l’adaptation au changement climatique. Les normes de genre dictent également de quelles cultures et quel bétail les femmes pourront disposer – et celles-ci sont souvent moins rentables. Les filles souffrent également de manière disproportionnée : elles sont souvent déscolarisées ou mariées jeunes pour amortir le choc économique des catastrophes climatiques. Pour couronner le tout, l’insécurité économique et alimentaire est également associée à une augmentation de la violence sexiste. Aucun plan d’urgence ne prend en compte ce type de catastrophes en cascade : les femmes n’ont généralement pas le même accès que les hommes aux services financiers de premier nécessité tels que les prêts ou les assurances. Souvent, cela signifie qu’elles sont obligées de s’adresser à des prêteurs privés, ce qui les pousse dans un cercle vicieux d’endettement et de pauvreté. Ce qui accroît leur vulnérabilité en affaiblissant leur capacité d’adaptation. Ces inégalités sont loin de se limiter aux pays étudiés dans le rapport de la FAO ou aux zones rurales. Les préjugés sexistes ont un impact non négligeable sur les femmes et sur leur capacité à s’adapter aux impacts climatiques aux États-Unis et dans toute l’Europe. Vous voulez lutter contre le changement climatique ? Écoutez les femmesJ’ai parlé avec Peg Spitzer, qui, pour son dernier livre, a mené 85 entretiens approfondis avec des militantes écologistes basées dans les zones rurales d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Elle m’a dit : “Le problème central, c’est la nature patriarcale de la plupart des sociétés. Le fait que les femmes soient exclues des prises de décision est vraiment important. De nouvelles idées sur la manière de gérer les crises environnementales sont en train d’émerger, mais ce ne sont pas forcément les bonnes. Celles qui pourraient vous dire quelles idées sont bonnes ne sont pas écoutées !” Certaines estimations indiquent que 43 % de la main-d’œuvre agricole mondiale est féminine. Ce chiffre est bien plus élevé dans les pays les plus pauvres. Pourtant, seulement 6 % des 4164 actions proposées dans les plans nationaux d’action pour le climat des 24 pays analysés par la FAO mentionnent les femmes. Pourtant, de nombreuses femmes ont trouvé des moyens de surmonter ces obstacles. Nicholas Sitko, économiste à la FAO, m’a expliqué : “Une multitude de preuves qualitatives montrent que lorsque vous travaillez avec les communautés locales et donnez des opportunités pour mettre en lumière les effets des inégalités de genre, les choses commencent réellement à changer.” Après avoir perdu ses récoltes et sa maison l’année dernière, Meenaben refusait de croire que sa seule option était de souscrire un emprunt hors de prix. Avec un groupe de militantes locales, elle a travaillé avec l’Association indienne des femmes auto-entrepreneuses (SEWA) pour trouver une alternative. Elles ont obtenu l’accès à un fonds d’urgence pour aider les petites exploitantes comme elle à se remettre sur pied en l’absence de – ou en attendant – l’assurance ou les aides. Depuis, elle se consacre à la création de produits d’assurance contre la canicule et les chocs climatiques pour les agricultrices de la région. Toujours dans le Gujarat, une femme et son mari souhaitaient trouver des solutions au problème de la propriété foncière. Le couple a développé une méthode simple d’irrigation qui peut fournir de l’eau en période de stress climatique, et travaille désormais avec les femmes voisines pour l’installer et en assurer le suivi dans leurs zones. Ce sont les femmes locales qui possèdent la technologie, ce qui veut dire que même si l’accès à la terre reste très difficile, les femmes possèdent l’accès à l’eau. Cette technologie, Bhungroo, s’exporte désormais dans d’autres pays – avec une attention particulière portée sur les différences dans chaque contexte culturel local. Au Mali, des mutuelles de femmes aident les agricultrices à se payer des technologies plus récentes et mieux adaptées au changement climatique. Au Guatemala, des femmes autochtones produisent des farines riches en protéines depuis leur maison grâce à des élevages de vers de farine. Il y a de nombreux autres exemples de solutions locales innovantes dans la newsletter de genre du CGIAR et dans le livre de Peg Spitzer, Empowering Female Climate Change Activists in the Global South. À elles seules, aucune de ces solutions ne règlera les normes patriarcales et un capitalisme aveugle aux mécanismes de genre. Bien que certaines mesures politiques et certains projets astucieux réussissent à contourner les inégalités de ce système, en fin de compte ce sont les normes elles-mêmes qu’il faut affronter. Les femmes mènent la danse aussi sur ce front. En Europe, un groupe de militantes suisses connu sous le nom de KlimaSeniorinnen poursuit son gouvernement devant la Cour européenne des droits humains, initiant ainsi le premier procès climatique du tribunal régional. Leur argument repose sur le fait qu’en tant que femmes âgées, elles sont affectées de manière disproportionnée par les impacts du changement climatique. Comme l’a déclaré Aditi Mukherji, directrice de la plateforme sur l’impact du changement climatique du CGIAR, un partenariat mondial qui réunit des organisations internationales engagées dans la recherche sur la sécurité alimentaire, lors du lancement du rapport de la FAO : “Aucune des politiques mondiales sur le changement climatique ne fonctionnera si nous ne nous attaquons pas aux causes profondes de la crise : les inégalités”. Les dernières publicationsVoici les études qui font parler d’elles dans la recherche sur les inégalités de genre
Dites-nous ce que vous aimeriez lire !Vous venez de lire la toute première édition de La Preuve, et nous aimerions savoir ce que vous en pensez. Avez-vous des suggestions sur le format ou le contenu ? Sur quels sujets liés à la recherche sur l’égalité des genres souhaiteriez-vous particulièrement lire ? Quelles informations vous seraient particulièrement utiles ? N’hésitez pas à nous contacter et à nous faire part de ce qui vous plairait. Vos idées et vos suggestions contribueront à façonner le futur de La Preuve. À propos de nousLa Preuve est une newsletter créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre. Impact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier.
PS : La newsletter est également disponible en anglais.
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