“Nous continuerons à descendre dans la rue, à ne pas céder, à ne pas nous mettre en retrait, jusqu’à la victoire, jusqu’à l’instauration de la démocratie, l’établissement de la paix et des droits humains, et jusqu’à l’abolition de la tyrannie.“ Narges Mohammadi “Ces murs de prison ne veulent rien dire pour elles“ – le courage des femmes iraniennes, deux ans après leur révolution Par Megan Clement Le 16 septembre 2022, Jina Amini est morte aux mains de la “police des mœurs” à Téhéran pour avoir prétendument violé les lois sur le port du hijab. Jina Amini, membre de la minorité kurde opprimée en Iran, rendait visite à son frère dans la capitale quand des policiers l’ont arrêtée, jetée de force dans une camionnette et battue. Elle a été transférée au La mort de la jeune femme a déclenché une révolution féministe en Iran, où des femmes, des filles, des hommes et des garçons ont manifesté contre la brutalité du régime sous le slogan kurde « Femme, Vie, Liberté ». Les filles ont dansé dans les rues. Les femmes ont coupé leurs cheveux et brûlé leurs hijabs. Les marches ont uni les générations d’Iranien·nes comme jamais auparavant, pour exiger la fin de décennies d’oppression brutale qui avaient particulièrement touché les femmes. La répression du mouvement a été tout aussi brutale. Plus de 500 manifestant·es ont été tué·es, et des centaines d’autres ont été battu·es, torturé·es et emprisonné·es, ce qui pour les Nations Unies constitue des crimes contre l’humanité. Mais les activistes affirment qu’il n’y aura pas de retour en arrière – les manifestations ont déjà changé la société, et les femmes et filles iraniennes continueront de se soulever. Dans Nous n’avons pas peur : Le courage des femmes iraniennes, les journalistes Natalie Airi et Düzen Tekkal ont recueilli les témoignages de 16 écrivaines, penseuses et activistes iraniennes, en Iran et à l’étranger, alors qu’elles réfléchissent à la portée du mouvement « Femme, Vie, Liberté » et à son avenir. J’ai parlé à l’une d’entre elles, Shila Behjat, une journaliste basée à Berlin, pour comprendre ce que nous avons appris deux ans après la mort de Jina Amini et les bouleversements politiques qui ont suivi. Nos abonné·es peuvent gagner un exemplaire de Nous n’avons pas peur en répondant à ce mail. Bonne chance !
Megan Clement: Cela fait deux ans que Jina/Mahsa Amini est morte aux mains de la police des mœurs iranienne. Qu’est-ce qui a changé pour les femmes en Iran depuis ? Shila Behjat: Sur les photos, on voit qu’il y a beaucoup plus de femmes qui ne portent plus de hijab dans les rues. Est-ce parce qu’elles sont plus courageuses, ou parce qu’il y a un relâchement de la part du régime ? Je doute de cette dernière hypothèse, car le régime reste toujours aussi imprévisible. En fait, en ce qui concerne le hijab, les lois sont appliquées plus durement et de nouvelles législations ont été mises en place. Donc, c’est davantage le courage de ces femmes qui sortent sans hijab, se montrent et résistent de cette manière. Et pour la première fois dans l’histoire de cette république, il y a une reconnaissance que l’Iran est en réalité un pays multiethnique et multireligieux. Cela ne disparaîtra pas. Rien que le fait que le slogan soit kurde, ou que chaque fois que les manifestant·es élèvent la voix, elles et ils évoquent les Kurdes, les Baloutches, les Bahá’ís et d’autres minorités, cela montre un changement dramatique. Ce que les dernières élections ont montré, c’est qu’il y a un profond désir de démocratie et d’élections libres en Iran, ce qui explique pourquoi les gens n’ont même pas voté. Ça, c’est nouveau, car dans le passé, les gens rejoignaient la révolution verte ; il y avait encore un espoir que des candidats plus modérés réforment la République Islamique. Cet espoir a disparu. Il n’y a plus de croyance en une réforme possible. Il n’y a que la demande que ce régime tombe. Megan Clement: Quel est le statut actuel du mouvement de protestation « Femme, Vie, Liberté » ? Shila Behjat: Il n’y a plus le même niveau de protestations qu’à la fin de 2022 et au début de 2023. C’est devenu un danger mortel de manifester dans la rue, même faire un doigt d’honneur devant la photo d’un des ayatollahs peut être fatal. Le régime était vraiment sous pression, c’est pourquoi sa réponse a été si violente. Et il continue d’être violent parce que c’est la seule façon de garder le pouvoir. Mais quand vous parlez aux gens en Iran, tout le monde dit qu’un mouvement de cette ampleur pourrait ré-émerger à tout moment, que les manifestations vont recommencer. J’ai parlé à de nombreuses personnes qui étudient les dictatures, et elles disent que la situation actuelle est insatisfaisante, mais que le niveau de violence du régime incite de plus en plus de personnes à rejeter ce pouvoir, parce qu’elles voient de la violence partout, et que les gens ont plus tendance à choisir la non-violence. Plus les gens voient des jeunes se faire battre, torturer et emprisonner pour des choses comme chanter dans la rue, moins ils croient en ce régime et le soutiennent. Megan Clement: L’Iran a un nouveau président « réformateur », Masoud Pezeshkian. Pensez-vous qu’il puisse mettre fin à la discrimination institutionnalisée contre les femmes et les filles ? Shila Behjat: Nous devons nous rappeler que le terme « réformateur » lui a été attribué par le régime lui-même. Il était le candidat réformateur face à un candidat très extrémiste. Mais il n’est pas un réformateur du tout. Il ne peut pas l’être, car tous les candidats doivent passer par le plus haut Conseil islamique, donc personne ne changera les lois qui soutiennent le régime islamique, et l’un de ces éléments est le hijab obligatoire. L’oppression des femmes fait partie de ce régime, c’est un symbole qu’ils doivent maintenir. Il n’y a donc aucune chance de changement. Megan Clement: Vous êtes issue de la communauté Bahá’i, que vous décrivez comme la minorité la plus discriminée en Iran. Quelle est la situation pour les femmes Bahá’i aujourd’hui ? Shila Behjat: Les femmes et les filles Bahá’íes en Iran subissent une discrimination intersectionnelle. Elles font face à toutes les discriminations qui touchent les Bahá’í·es en général – l’absence totale de droits civiques, l’interdiction d’étudier, l’interdiction de travailler dans certains domaines, et elles sont la cible d’une propagande particulièrement malveillante. Puis bien sûr, en tant que femmes, elles subissent toutes les oppressions qui frappent les femmes en Iran : toute expression de féminité est interdite dans l’espace public. Ce que je trouve fascinant, c’est la manière dont elles réagissent à cela. Elles refusent d’adopter les comportements de leurs agresseurs. J’ai demandé à l’une d’entre elles comment elles gèrent cette situation, et elle m’a répondu que, du point de vue Bahá’í, il n’y a pas de réponse à violence, pas d’agression, mais cela ne signifie pas pour autant être passives. Elle a parlé d’une “résilience productive”, qui signifie qu’elles restent actives au sein de leurs communautés locales. Quand on voit des images d’elles, lorsqu’elles arrivent en prison pour une peine qu’elles ont reçue, on le voit immédiatement : elles se tiennent avec tellement de dignité. Elles vont dans des prisons comme celle d’Evin, où les femmes prisonnières sont très nombreuses, et je me demande parfois : “Quelle idée a eu ce régime en les regroupant toutes au même endroit ?” Narges Mohammadi, Sepideh Qolian, ces incroyables militantes des droits des femmes et des droits humains, sont toutes réunies dans le même lieu. Évidemment qu’elles continuent. Évidemment qu’elles poursuivent leur lutte. Ces murs de prison ne veulent rien dire pour elles. Megan Clement: Quelle est la meilleure manière, pour les personnes qui vivent hors d’Iran, d’aider les femmes et les filles dans leur lutte pour la liberté ? Shila Behjat: Partager leurs voix et leurs récits. Être oubliées est la pire chose, et c’est ce que le régime veut. Partager leurs histoires est donc primordial, mais il faut aussi que les gens poussent leurs propres gouvernements et leurs parlementaires à mettre la pression sur ce régime, et à reconnaître qu’il déstabilise toute la région. Alors si vous ne le faites pas pour les femmes, faites-le au moins pour la paix dans cette région. Personne n’a écouté ces femmes, personne ne les a soutenues, et cela devrait nous révolter, parce que ces femmes ont montré au monde entier qu’il est possible de manifester de manière pacifique, qu’il existe une vision d’un Iran libre et démocratique. Parfois, je me dis que c’est parce que ce sont des femmes, et que leur parole ne pèse pas autant qu’elle le devrait sur la scène internationale. On les applaudit, on les trouve courageuses, mais on ne les soutient pas vraiment. Il y a eu un prix Nobel de la paix [pour Narges Mohammadi], et un prix Sakharov [pour Jina Amini]. Mais en quoi cela les aide-t-il ? Megan Clement: Qu’est-ce qui te donne l’espoir de continuer ? Shila Behjat: Les femmes. Parce que parfois je suis fatiguée ou je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit, et je perds aussi À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Vous aimez la newsletter ? Pensez à faire un don. Votre soutien nous permettra de financer cette newsletter et de lancer des nouveaux projets.
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