|
Et maintenant que vous n’avez plus besoin d’être parfaite, vous pouvez être vous-même.
John Steinbeck, À l’est d’Éden (1952)
“Plutôt que de chercher à être heureuse selon les injonctions de la société, chercher à découvrir ce qui nous fait du bien.” Voilà l’un des conseils que Louise Aubery aimerait que vous reteniez de l’entretien qui va suivre, les Petites Glo. Son nom vous dit forcément quelque chose : vous la connaissez sur Instagram (peut-être sous son ancien pseudo @mybetterself), pour ses vidéos ou son podcast InPower, son amour des pâtes à la truffe, son #OnVeutDuVrai, sa marque de lingerie inclusive Je ne sais quoi ou son premier essai, Miroir, miroir, dis-moi ce que je vaux vraiment (Éditions Leduc, 2022).
Dans moins d’une semaine paraîtra son nouveau livre, Jusqu’ici tout va mal : Pourquoi la quête du bonheur ne nous rend pas heureux (HarperCollins, 2024). Louise Aubery y confie avoir traversé une période très difficile alors qu’elle souffrait d’ébullition mentale, qui se caractérise par une hyperactivité cérébrale et psychique. Elle sombre peu à peu dans le désespoir face aux échecs résultant des fausses solutions offertes par le développement personnel. En effet, en cherchant à donner à chacun les clés nécessaires pour opérer des changements positifs dans sa vie, ce mouvement peut vite devenir culpabilisant. Et non, votre bonheur ne dépend pas que de votre volonté seule…
Louise Aubery tire de cette expérience douloureuse une réflexion très riche sur la recherche du bonheur et ce que signifie être heureux, argumentée à l’aide d’une multitude de références philosophiques. Elle nous invite à nous poser des questions et à faire preuve d’esprit critique, à chercher ce qui nous fait du bien plutôt que de suivre les injonctions au bonheur et à la perfection encouragées par les réseaux sociaux. Alors pour en savoir plus, nous vous invitons à lire Jusqu’ici tout va mal, et, en avant-goût, cet entretien. Bonne lecture !
|
|
Crédit photo : emmanel photographie
Entretien avec Louise Aubery
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Pourrais-tu expliquer comment tu as pris conscience que tu ne te retrouvais plus dans le développement personnel ? Est-ce que ça a été uniquement dû à l’inefficacité des solutions qui t’ont été proposées quand tu souffrais d’ébullition mentale, ou est-ce venu progressivement à travers ce que tu as pu voir dans ton travail ?
Je dirais que j’avais conscience des excès présents sur les réseaux sociaux, mais j’ai beaucoup investi et cru dans le développement personnel au début de mon ébullition mentale. Ça a balayé presque tous mes a priori initiaux, parce que je plaçais tellement d’espoir dans le fait de réussir à m’en sortir grâce à ça. Il y a notamment un livre qui m’a marquée, c’est You can heal your life (Transformez votre vie) de Louise Hay.
C’est un livre qui s’est vendu à des millions d’exemplaires, où elle te dit : « Tu es responsable de ce qui t’arrive. » Elle prend des exemples de personnes qu’elle a vues en « cabinet » (elle n’est évidemment pas médecin), des personnes qui ont des gros problèmes de vue et qui, dès qu’elles règlent des problèmes avec leur père, se mettent à voir… Un côté très psychosomatique qui me berçait dans l’illusion que si moi aussi, j’arrivais à identifier mes traumas, j’arriverais à guérir. C’est vraiment au fur et à mesure de mes déconvenues et de mes désillusions que je me rends compte que c’est du marketing bien plus qu’une science.
Tu présentes un exemple de développement personnel foncièrement nocif avec les mâles alphas menés par Andrew Tate pour n’en citer qu’un. Je n’avais même pas pensé au fait que c’est effectivement du développement personnel !
Le développement personnel, par définition, invite à devenir la meilleure version de soi-même — c’est pour ça que j’ai changé mon nom récemment — et ce en prétendant apporter des solutions sur un plateau d’argent. C’est ce que propose Andrew Tate avec son école. Le développement personnel use et abuse d’une forme de faiblesse, de fragilité, de vulnérabilité, et propose des réponses qui viendraient répondre à ce mal-être.
Dans un article que j’ai partagé dans ma newsletter, j’ai dressé le parallèle avec le populisme. C’est le même mécanisme qui est à l’œuvre : essayer d’identifier les désillusions, les manques, les besoins d’une certaine population, et d’arriver avec des promesses qui sont hyper creuses. Mais vu que les personnes sont dans une position de vulnérabilité, elles se soucient beaucoup plus de ce qu’on leur promet, que de la potentielle réalisation de cette promesse. C’est vraiment ce dont j’ai été victime moi-même. Sur le papier, t’as envie d’y croire, ça rend bien, c’est une promesse qui est séduisante, mais séduisante ne veut pas dire efficace.
Tu as parlé de ton changement de pseudo, ce qui me fait penser à ton chapitre sur le mythe de la girl boss. Après en avoir été toi-même victime, est-ce que tu penses que c’est quelque chose que tu as pu perpétuer auprès de tes abonnées, et est-ce que tu souhaites maintenant briser ce “cycle” ?
C’est beaucoup plus facile d’aspirer au bonheur quand on a une direction. Dans le cas des hommes qui ont été blessés dans leur virilité, ça va être le fait de rechercher cet idéal de mâle alpha. Et pour les femmes, si on ne sait pas comment être heureuse, notre société actuelle propose cet idéal de la girl boss. Et donc même si le mode d’emploi n’est pas hyper clair, on comprend quand même qu’on va évoluer : ça passe par une réussite, notamment professionnelle. Aujourd’hui la vraie girl boss, celle qui est respectée, c’est celle qui a tout : la carrière, le mari, l’enfant, la belle situation, les beaux habits, etc.
Donc j’ai moi-même aspiré à devenir cet idéal, parce par définition un idéal fait rêver, et en fait on peut exploser en plein vol. Je me suis vite rendu compte, avant même de l’atteindre, que ce n’était pas pérenne, que ça ne dépendait pas que de nous, et que surtout, ça ne rendait pas forcément heureux. En 2022, si on prend le noyau dur de ma santé mentale déficiente, j’ai un mec, je suis diplômée d’une bonne école, j’ai des entreprises, je suis suivie sur les réseaux. Sur le papier, je suis une girl boss. Mais fondamentalement, je n’ai jamais été aussi mal de ma vie. Ça dit bien à quel point le paraître est fallacieux. L’extérieur ne détermine en rien l’intérieur. Je pense que ce sont les plus grands pièges de la performance de genre, c’est que ça donne presque une ligne de conduite à suivre, des cases à cocher, mais ça ne garantit en rien que le bonheur sera au rendez-vous.
|
Dans ton chapitre sur la comparaison, tu écris : “Le piège tendu par les réseaux sociaux est le suivant : paraître heureux est bien plus facile que de l’être réellement.” De tous les problèmes liés au développement personnel que tu abordes dans ton livre, penses-tu que certains sont exacerbés par les réseaux sociaux ? Les plateformes pourraient-elles s’améliorer là-dessus ?
Les réseaux sociaux sont une loupe de la société. En fonction de ce qu’on choisit de mettre sous microscope, ça va amplifier tel ou tel phénomène. Les réseaux sociaux sont une chance énorme aujourd’hui, parce qu’ils rebattent les cartes du savoir, de la création, d’un champ des possibles, mais évidemment le piège de la comparaison est omniprésent.
Je suis tombée dedans avant même mon ébullition mentale, c’est presque un réflexe humain qui est exacerbé par le prisme des réseaux sociaux. Même si on sait que se comparer est une mise en scène, on ne peut s’empêcher de se comparer aux mises en scène des autres, en remettant en question notre vie. Ce n’est même pas juste envers nous-mêmes, parce qu’on se compare à une fausse réalité. Cela m’inquiète beaucoup, et je pense que c’est un frein au bonheur (qui ne dépend pas que de nous). Juste si on parle de bien-être, et même pas de bonheur, la comparaison en est un des plus gros freins parce qu’on trouvera toujours quelqu’un qui paraît plus heureux que nous.
Si je veux essayer de paraître la plus heureuse ou la plus stylée possible, je vais accepter tous les évènements et toutes les soirées, je vais faire plein de stories. Au fond, j’ai envie d’être dans mon lit à regarder un K-drama. Il ne faut pas qu’on perde de vue que ce qui nous fait du bien est plus important que ce qui paraît stylé. C’est vraiment le piège dans lequel je suis tombée ado, et je le vois avec les ados aujourd’hui : ce piège est décuplé par les réseaux sociaux. On va davantage se soucier de l’image qu’on renvoie de nous-mêmes, que de ce qui nous fait vraiment plaisir. Il est crucial de réinverser la hiérarchie, et de placer ce qui nous fait du bien en haut de la pyramide.
Est-ce que ton but serait de transformer les réseaux sociaux ? Serait-on plus heureux sans eux, ou peuvent-ils nous aider dans notre recherche de sens ?
Je pense que oui parce que les réseaux sociaux peuvent nous donner un but qu’on peut ne pas avoir en fonction de là où vient, de notre environnement familial, économique, social… Ça a permis à beaucoup de gens de se sentir compris, vus, et écoutés. Cela dit, il faut développer de manière urgente l’esprit critique. Personne ne nous l’enseigne. On ne l’apprend pas à l’école, on ne l’apprend pas par nos parents s’ils ne sont pas sensibles à ça. Pour moi, c’est ça le plus grand danger.
On peut tout consommer du moment qu’on a cet outil, cette « arme » que représente l’esprit critique. Avec, on est beaucoup moins exposés aux dangers et dérives des réseaux sociaux, parce qu’on a ce filtre qui aujourd’hui manque cruellement. Quand une jeune femme commence à se faire vomir parce qu’elle a vu à répétition des photos de son influenceuse préférée avec le ventre ultra plat, mais qu’elle ne sait pas que cette influenceuse retouche son ventre, c’est un manque d’esprit critique dont elle n’est pas seulement responsable. Cela devient une arme indispensable pour naviguer dans la jungle des réseaux sociaux. Si on n’a pas d’arme dans la jungle, on ne peut pas avancer.
Quels sont les principaux enseignements que tu voudrais que les Petites Glo retiennent de ton livre ?
J’aimerais d’abord leur dire que ce n’est pas la validation des autres qui les rendra heureuses. C’est le piège dans lequel je suis tombée quand j’étais ado, et il faut chercher à se plaire à soi-même avant de chercher à plaire aux autres. Et pour ça, il faut s’écouter, il faut apprendre, être curieuse. Il faut accepter de prendre le temps. Je pense que ce n’est pas une notion qu’on a quand on est ado parce que tout paraît important, très vite tout prend une proportion démesurée.
Mais j’aimerais vraiment passer ce message : plutôt que de chercher à être heureuse selon les injonctions de la société, chercher à découvrir ce qui nous fait du bien. Nourrissez ça, chérissez-le, « own it », ne vous excusez pas de cela. Le bonheur sera, je l’espère, une externalité positive de leur parcours, mais qui ne doit pas être une fin en soi parce que ça ne dépend pas que d’elles. Par contre, ce qui les fait sentir bien, ça dépend d’elles.
Et ne laissez pas votre confiance en soi reposer dans les mains de quelqu’un d’autre. C’est l’âge des premières amours, et ça peut faire des dégâts.
Enfin, tu écris que plutôt que d’essayer de devenir la meilleure version de toi-même, tu veux faire de ton mieux. As-tu songé à renommer ton compte en @doingmybest?
Je n’y ai pas pensé parce que je me suis dit : pour peu que tu changes encore d’avis dans trois ans ou moins, ça fait quand même beaucoup de changements. Tu ne pourras jamais regretter d’assumer qui tu es et donc de mettre ton propre nom. D’accepter que ta valeur repose dans qui tu es, et pas dans qui tu veux être, ou qui tu aspires à être, mais qui tu es aujourd’hui.
Le mental fitness des Petites Glo
Comme l’explique Louise Aubery, les réseaux sociaux exacerbent notre besoin de nous comparer à autrui. Ce qui, en retour, nous fait douter de nous-même alors qu’on sait très bien au fond que chacun projette une version très limitée de la réalité sur internet. Alors pour arrêter de se comparer négativement aux autres, voici quelques conseils du site PasseportSanté.
On lit : “Le développement personnel fait-il du mal aux femmes ?”, article de Camille Abbey sur France Inter (2023)
Dans cet excellent article, la journaliste Camille Abbey analyse le développement personnel à travers le prisme du féminisme. En effet, les livres de “self-help” sont principalement achetés par les femmes. L’idée culpabilisatrice selon laquelle notre bonheur ne dépendrait que de nous vient ainsi gommer les injustices sexistes à l’œuvre dans notre société – voire les renforce en incitant à la surconsommation. Pour autant, tout n’est pas à jeter : prendre soin de soi dans un but émancipateur est vivement encouragé par de grandes militantes comme Gloria Steinem ou Audre Lorde.
On écoute : “Victime des réseaux,” Brol, chanson d’Angèle (2018)
“Pourquoi faire semblant de bien aller ? / Dominique elle ment / Sa vie n’est pas parfaite comme elle aime le montrer.” Sur une jolie mélodie pop, la talentueuse Angèle pointe du doigt l’hypocrisie des réseaux sociaux et le mal-être qui émane du fait de se comparer aux autres. “Nobody’s really happy [Personne n’est vraiment heureux] / I wish I’d be like you [J’aimerais te ressembler] / You wish you’d be like me [Tu aimerais me ressembler].”
On va au ciné gratuitement avec notre prof pour voir Il reste encore demain, film de Paola Cortellesi (2024) !
Plus de 6,100 bénéficiaires dans les collèges et lycées, objectif 15,000 d’ici fin juin ! Plus d’info dans le communiqué de presse ici. Vous êtes prof ? Vous connaissez des profs ? Vous souhaitez que votre enfant en bénéficie ? Voici la page sur laquelle les profs de collèges et lycées peuvent faire la demande : https://lesglorieuses.fr/operation-il-reste-encore-demain
|
Ces liens peuvent vous être utile
|
|