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Pour lire ces nouvelles au fur et à mesure, suivez-nous sur Instagram ou LinkedIn. “Lorsque l’État salvadorien nous a mises en prison, il a commis sa plus grande erreur” – le combat de Teodora Vasquez contre les lois anti-avortement les plus strictes du monde par Agustina Ordoqui Teodora Vasquez était à la veille de sa date d’accouchement en juillet 2007, elle terminait le travail avant d’accoucher, lorsqu’elle a ressenti une vive douleur à l’abdomen. Elle a appelé une ambulance depuis la cuisine de l’école où elle travaillait, puis elle s’est évanouie alors qu’elle commençait à faire une hémorragie. Lorsque les secours l’ont réveillée, ils lui ont dit que le bébé était mort. Elle était toujours allongée sur le sol de la cuisine. “J’avais déjà eu mon fils, donc je rêvais d’élever deux enfants et d’être là pour eux”, explique Teodora Vasquez. “À partir du moment où ma fille est morte, ma vie a été détruite.” Mais cet arrêt naturel de grossesse, déjà traumatisant, était bien plus qu’une tragédie personnelle. Alors qu’elle avait désespérément besoin de soins médicaux, la jeune femme a été emmenée dans une voiture de police. “J’ai été accusée d’avortement, puis d’assassinat,” raconte-t-elle. Le Salvador est l’un des rares pays au monde où l’avortement est totalement interdit en toutes circonstances et passible d’emprisonnement. La loi ne fait aucune exception pour les victimes de viol ou d’inceste, ne se soucie pas de savoir si la santé de la patiente est en danger, si le fœtus n’est pas viable ou s’il y a eu une urgence obstétricale comme dans le cas de Teodora Vasquez. Entre 2000 et 2019, plus de 181 femmes ont été poursuivies pour avoir avorté ou subi une urgence obstétricale, avec des peines allant de huit à 50 ans de prison. La mère à peine endeuillée, elle, a été condamnée à 30 ans de prison. Teodora Vasquez est sortie de prison il y a cinq ans, après une intense pression de la communauté internationale sur le Salvador autour de son dossier. Quand elle parle à la newsletter Impact en visioconférence, elle est assise à son bureau de Mujeres Libres El Salvador, l’ONG qu’elle a fondée en 2018 pour soutenir les femmes emprisonnées en raison des lois anti-avortement dans son pays. Mujeres Libres accueille les femmes emprisonnées pour avortement dès leur libération, leur fournit des soins médicaux et les aide à trouver une formation et un emploi. L’association les héberge aussi à la Casa del Encuentro, une maison en location dans la capitale San Salvador et pouvant accueillir 12 personnes. “Nous nous appelons Mujeres Libres parce que nous pensons que c’est ce que nous devrions être : libres”, dit-elle. Un début de changement pourrait être en marche au Salvador. En 2021, la Cour interaméricaine des droits humains a déclaré que le pays était responsable de la mort d’une femme connue sous le nom de Manuela, qui a également été condamnée à 30 ans de prison à la suite d’une urgence obstétricale. Elle est morte en prison d’un cancer deux ans plus tard. Le tribunal a statué qu’El Salvador devrait adopter des réformes pour éviter que les patientes ne soient criminalisées pour des arrêts naturels de grossesse. Le même tribunal a commencé à entendre le cas de Beatriz, une femme de 22 ans à qui on a refusé un avortement en 2013, et qui est décédée plus tard dans un accident de voiture. Les militant·e·s espèrent qu’une décision en faveur de la famille de Beatriz créera un précédent pour permettre l’assouplissement des lois sur l’avortement. Teodora Vasquez a discuté avec la newsletter Impact de sa quête pour la justice et des perspectives de changement au Salvador. Cet entretien a été édité par soucis de brièveté et de clarté. Agustina Ordoqui: Pourquoi les femmes sont-elles emprisonnées au Salvador pour avoir avorté ou pour des urgences obstétricales ? Teodora Vasquez: En 1998, le Code pénal a été modifié pour inclure que la vie commence au moment de la conception et condamner l’avortement en toutes circonstances. Depuis, de nombreuses femmes comme moi ont fait de la prison pour des crimes que nous n’avions pas commis. Cela arrive particulièrement chez les femmes pauvres sans éducation ou originaires des zones rurales, parce que les femmes riches peuvent voyager dans un autre pays ou se rendre dans une clinique privée [pour avorter] sans conséquences. Cela arrive également aux femmes qui ont une urgence obstétricale. Nous sommes condamnées sans aucune enquête pour déterminer la cause du décès du nouveau-né. Agustina Ordoqui: Comment avez-vous tenu pendant votre séjour en prison ? Teodora Vasquez: Quand le juge m’a annoncé ma condamnation, je me suis dit que je préférerais mourir. Mais mon fils m’a écrit une lettre en me disant que je lui manquais, et ces mots ont eu un impact sur moi. J’ai décidé que j’allais m’en sortir, que même si j’étais en prison, la prison ne rentrerait jamais en moi et que je me battrais pour surmonter ce cauchemar. Quand je suis arrivée en prison, je n’avais pas fait d’études au-delà de l’école primaire. J’ai donc étudié et terminé mes études secondaires. Mais à la sortie de prison, personne ne vous aide à vous préparer pour trouver un emploi. Donc quand je suis sortie, j’ai eu besoin de faire quelque chose pour changer le cours de mon histoire. Agustina Ordoqui: Pourquoi avez-vous décidé de créer Mujeres Libres ? Teodora Vasquez: En prison, j’ai rencontré 24 autres femmes incarcérées pour des affaires similaires à la mienne. À ma sortie, je me suis dit qu’il fallait que je les aide. Mais quand j’ai été relâchée, j’étais seule, sans travail, sans argent, sans rien, et je ne savais pas quoi faire. J’ai donc recherché ces femmes déjà libérées pour connaître leur situation. Elles vivaient également dans la précarité, sans travail, sans accès aux soins de santé. Quelques mois plus tard, nous avons réussi à rassembler un grand groupe de femmes. Nous avons parlé de nos besoins et de la manière dont nous pourrions travailler ensemble. Agustina Ordoqui: Quel type d’aide fournit Mujeres Libres ? Teodora Vasquez: Nous fournissons une assistance en matière de santé physique et mentale, des conseils juridiques, une éducation, une préparation au travail et un hébergement, car beaucoup de femmes qui sortent de prison ne savent pas où aller. Nous leur proposons dans un premier temps un examen médical et une thérapie psychologique pour les préparer à la réinsertion sociale. Nous leur fournissons un logement et de la nourriture et les mettons en contact avec des employeurs. Pendant qu’elles se forment pour obtenir un emploi à temps plein, elles font un stage. Nous cherchons également des options pour les femmes qui ne peuvent pas travailler ou étudier, par exemple en leur offrant du mentorat ou en leur fournissant les outils nécessaires pour devenir entrepreneuses. Nous voulons transformer une femme qui a traversé une situation difficile comme la prison, la perte et la souffrance, en une femme empouvoirée et optimiste avec les capacités de se rétablir. Agustina Ordoqui: Qu’est-ce qui a changé au Salvador après l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits humains dans l’affaire Manuela, et peut-on s’attendre à un changement législatif après l’affaire Beatriz ? Teodora Vasquez: Nous ne pensons pas que le gouvernement ou les députés veuillent changer la législation de notre pays. Dans l’affaire Manuela, le gouvernement a réagi d’une certaine manière, mais pas complètement, et le jugement dans l’affaire Beatriz a été ajourné, et pour l’instant il ne s’est rien passé. Au Salvador, les lois sont très fermées et la société vous juge aussi : sans savoir ce qui s’est passé, certaines personnes vous traitent comme si vous étiez coupable, ou une meurtrière. Je pense vraiment qu’il ne suffit pas de changer le code pénal, il faut un changement culturel. Au Salvador, on ne peut pas parler librement de l’avortement. C’est un tabou, les gens ont peur d’être opprimé·e·s, discriminé·e·s ou emprisonné·e·s. D’autres personnes ne savent pas ce qui arrive aux femmes qui avortent ou qui subissent une urgence obstétricale. S’il n’y a aucune information, il n’y a pas de changement. Après ce que j’ai vécu, j’ai essayé de réécrire mon histoire et d’en faire quelque chose de différent, mais mon cas se répétera si nous ne faisons pas quelque chose pour changer l’histoire des femmes. Agustina Ordoqui: Nous posons cette question aux personnes que nous interviewons pour la newsletter : comment gardez-vous espoir dans votre militantisme ? Teodora Vasquez: Je sais que j’aurais pu sortir de prison et ne rien faire pour les autres. Mais cela aurait voulu dire que tout ce qui m’était arrivé aurait été dénué de sens. Je ressens de la joie et de la satisfaction parce que la plupart des femmes criminalisées pour des avortements sont sorties de prison, et ça c’est motivant. Mais aujourd’hui, je ne le fais plus pour moi, ni pour ces femmes. Je À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. PS : La newsletter est également disponible en anglais.
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