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Pour lire ces nouvelles au fur et à mesure, suivez-nous sur Instagram ou LinkedIn. “La question des violences sexuelles est centrale dans le processus de justice” – quand #MeToo fait face à une dictature par Megan Clement Quand Toufah Jallow avait dix-huit ans, elle a remporté un concours de beauté dans sa Gambie natale, en Afrique de l’Ouest. Le prix, on lui a annoncé, serait une bourse pour partir étudier à l’étranger. À la place, le dictateur gambien, Yahya Jammeh, l’a demandée en mariage. Et quand elle a dit non, il l’a droguée et violée dans le palais présidentiel. Dans un pays où le président, déjà au pouvoir depuis vingt ans, écrasait l’opposition politique, Toufah Jallow aurait pu devenir une voix de plus réduite au silence. Après tout, elle avait en face d’elle un homme qui emprisonnait ses adversaires, étouffait la presse et forçait les personnes séropositives à se soigner avec ses potions à base de plantes. Pourtant, quelques jours après le viol, elle s’est enfuie en bateau vers le Sénégal, cachée sous un niqab, et a fini par obtenir l’asile au Canada. Séparée de sa famille, de ses amis et de sa vie d’avant, obligée de recommencer à zéro, seule dans un nouveau pays, son histoire aurait pu s’arrêter ici. Mais en 2016, Jammeh a perdu l’élection présidentielle face à Adama Barrow et s’est enfui en Guinée équatoriale, et la jeune femme a décidé de raconter son histoire. En 2019, Toufah Jallow est retournée en Gambie, pour témoigner devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations du pays sur les violations des droits humains commises pendant les années Jammeh. Elle est devenue la première femme gambienne à prendre la parole en public sur le viol. Et a inspiré un nouveau mouvement #MeToo en Afrique, permettant à d’autres femmes de raconter leurs propres histoires sous le hashtag #IAmToufah. Elle a mené une marche contre les violences sexuelles dans les rues de Banjul, la capitale gambienne. Toufah Jallow raconte son histoire stupédiante dans son livre-témoignage, Toufah : La femme qui inspira un #MeToo africain, coécrit avec Kim Pittaway. À Paris pour la sortie de l’édition française, la militante s’est entretenue avec la newsletter Impact pour discuter de la puissance de briser les silences, du changement qu’elle a contribué à apporter en Gambie et de “l’esprit ancestral du féminisme”. Cette conversation a été éditée par soucis de brièveté et de clarté. 📚 Nos lecteur·ices peuvent gagner une copie de Toufah : La femme qui inspira un #MeToo africain, en répondantsimplement à ce mail. 📚 Megan Clement : En lisant votre livre, ce qui m’a le plus frappée, c’est le pouvoir du silence. Les personnes responsables de violences comptent sur le silence des victimes d’agressions sexuelles et de viols partout dans le monde. Mais dans votre cas, il y a aussi une dimension politique à ce silence : le silence que Yahya Jammeh a imposé à un pays dans lequel il ne pouvait pas y avoir d’opposition politique. Comment ces deux forces, le silence de la survivante et le silence de ce contexte autoritaire, se sont-elles combinées pour vous, et comment avez-vous réussi à les briser ? Toufah Jallow : Mon silence ne se limitait pas au fait que j’essayais de protéger l’intégrité de ma famille, ou que j’essayais de cacher la honte, ou toutes ces autres choses qui viennent naturellement avec le fait de survivre à des violences, quelles que soient les circonstances. Vivre sous une dictature est une dynamique qui était propre à ma situation. Et pour quiconque se trouve dans ce contexte, s’exprimer équivaut à signer son arrêt de mort. À qui allez-vous raconter votre histoire et qui va vous écouter ? Je ne pouvais pas imaginer un monde dans lequel je pourrais juste entrer dans un commissariat. Disons que j’ai surmonté la honte, et que j’ai surmonté la stigmatisation et toutes les barrières culturelles de l’époque. Enlevez tout cela et je ne pouvais toujours pas parler. C’est ça, le prix de la dictature. Megan Clement : Vous parlez de l’entraînement physique et mental que vous avez suivi pour pouvoir raconter votre histoire. Pouvez-vous expliquer comment cela vous a préparée et pourquoi vous en aviez besoin ? Toufah Jallow : Tout d’abord, je dois reconnaître le privilège que c’est d’avoir accès à la thérapie. J’ai pu faire une thérapie parce que je n’avais rien d’autre dans ma vie, je n’avais pas de communauté avec laquelle sortir, donc je payais juste mon loyer et les courses. Donc l’argent que j’étais censée utiliser pour développer des compétences sociales, rencontrer des gens et voyager, je l’ai utilisé pour faire une thérapie. Ça m’a fait du bien. Trouver la bonne thérapeute m’a vraiment aidée car elle pouvait voir les choses dont je ne savais même pas que j’avais besoin. L’une des choses qui m’a vraiment aidée, c’est la boxe. Je me rappelle du premier coup de poing, c’était comme une sorte de révélation. Je me suis sentie à ma place. Megan Clement : L’entraînement mental impliquait de s’exposer de manière répétée à ce qu’on pourrait dire à votre sujet si vous racontiez votre histoire. C’est le pire cauchemar, non ? Toufah Jallow : Oui, vraiment. Mais ça m’a préparée à arriver là où j’en suis aujourd’hui. Parce que la vérité, c’est que ça allait arriver quoi qu’il arrive. Donc je l’ai fait dans un espace contrôlé, où je pouvais maîtriser ma réaction et voir là Megan Clement : Je lisais votre livre au même moment où des accusations d’agressions sexuelles sont sorties Toufah Jallow : C’est le même récit, ce qui change c’est juste de la façon dont c’est dit. Au fond, ce qui est dit, c’est: “Comment oses-tu ? Comment oses-tu dénoncer cette personne puissante ?” Ce que ces personnes pensent est basé sur C’est pour ça que je tiens énormément à préparer les femmes. Je pense qu’il n’y a rien de mal à demander aux femmes de prendre la parole. Mais je pense que les mouvements féministes doivent vraiment préparer les personnes que nous encourageons à s’exprimer. Je veux qu’on construise des soldates qui sont capables de faire face aux répercussions quand elles s’expriment, et qui comprennent qu’elles parlent au nom de notre communauté et au sein d’une communauté. Notre mouvement doit comprendre que la stratégie est toujours la même. Nous avons besoin de plus de camaraderie pour préparer les victimes à être suffisamment fortes. Peu importe votre célébrité, votre pauvreté, votre richesse – tant que vous êtes une femme qui s’élève contre un homme puissant, voilà ce qu’il se passe. Nous ne l’acceptons pas. Nous ne faisons que le reconnaître et nous nous y préparons. Megan Clement : Vous écrivez que lorsque vous vous posiez la question de prendre la parole, vous avez fait des recherches sur les violences sexuelles en Gambie et vous ne trouviez que des statistiques et aucun nom. Qu’est-ce qui vous a fait sentir que quelqu’un devait être le visage des victimes de violences sexuelles dans votre pays, et que ce visage devait être le vôtre ? Toufah Jallow : Pour être honnête, je pense que c’était par égoïsme. Pour moi, accepter ces chiffres, accepter que d’autres personnes n’avaient pas survécu, cela revenait à valider le récit selon lequel j’étais seule. Et je ne pouvais tout simplement pas l’être. Une grande partie de cela était un désir de communauté. Je me disais, mon Dieu, ce truc que les survivantes se disent : “Je suis toute seule, cette chose n’est arrivée qu’à moi” – ça ne pouvait pas être vrai. Je ne voulais pas le confirmer, parce que cela me briserait encore davantage. C’est pour cela que les chiffres m’ont beaucoup dérangée. J’avais l’impression d’être toute seule, debout, au milieu d’un champ. Et quelque part dans mon inconscient, je me suis dit : “Il doit y avoir d’autres personnes qui se cachent derrière ces montagnes. Je ne peux pas être toute seule. Qu’est-ce que je dois faire pour les faire sortir de leur cachette ?” Lorsque j’ai pris la parole, rien ne m’a semblé plus apaisant que de voir et d’entendre toutes ces femmes et de me dire : “Non, tu n’es pas seule.” Megan Clement : Que diriez-vous à une personne qui se trouve dans une situation similaire et qui se demande si elle doit raconter son histoire ? Toufah Jallow : Prendre la parole est le résultat final du travail que vous faites. Quand vous allez mieux, et que vous commencez à comprendre pourquoi ce qui vous est arrivé vous est arrivé, vous pouvez rejeter la faute sur les vrais responsables. Ensuite, vous prenez conscience de votre appartenance à une communauté plus large. La suite naturelle serait d’aider des gens comme vous, ou de prendre la parole. C’est ce qui arrive tout simplement parce que vous en savez trop et que vous avez grandi et vous ne pouvez plus garder des secrets pour d’autres personnes, parce que vous comprenez que cette honte n’est pas la vôtre. Ce secret n’est pas le vôtre. Donc, s’il y a quelqu’un dans ma situation, je lui dirais de se concentrer sur elle – d’utiliser toute cette énergie pour essayer de devenir un·e survivant·e, de comprendre les dynamiques de pouvoir. Prenez soin de vous, prenez votre temps. Vous pouvez soutenir d’autres survivant·e·s, vous pouvez faire partie de la force collective, vous pouvez marcher avec nous dans les rues, vous pouvez vous joindre à nous et militer, vous pouvez faire tout cela tout en continuant à travailler sur votre guérison Megan Clement : D’après vous, qu’est-ce qui a changé en Gambie grâce à votre travail ? Toufah Jallow : Maintenant, on parle ouvertement du viol et j’en suis choquée. Nous sommes passés de l’absence de mots pour décrire quelque chose à en parler ouvertement. Il y a eu beaucoup de conversations, notamment en ligne. La Commission Vérité, Réconciliation et Réparations a recommandé de condamner les auteurs de crimes sexuels, y inclus Jammeh lui-même. C’est une énorme victoire. La question des violences sexuelles est centrale dans le processus de justice face à l’ancien gouvernement. Megan Clement : Ma dernière question est celle que je pose à toutes les personnes que j’interviewe. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ? Toufah Jallow : Je trouve de l’espoir dans ces choses que nous ne disons pas, mais dont nous partageons une expérience, et que nous traduisons dans toutes les langues, surtout entre femmes. Les messages que vous écrivez peuvent être effacés, les livres peuvent être brûlés, les espaces féministes peuvent être anéantis, des lois peuvent être adoptées, tout cela peut arriver. Mais il y a une sensation diffuse de résistance féministe dans laquelle je puise tant d’espoir parce qu’elle survit à toutes les cultures, à toutes les dynamiques, tous les niveaux d’éducations et tous les genres. Elle est là, tout simplement, le genre de transmission féministe qui s’est produite de ma grand-mère à ma mère et de ma mère à moi. Peut-être que l’on peut appeler tout cela l’esprit ancestral du féminisme. Ce qu’on peut faire cette semaineCe samedi 25 novembre, nous manifesterons contre les violences sexistes et sexuelles à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Trouvez la manifestation proche de chez vous ici 👇 Rejoignez-nous pour une discussion sur l’éducation sexuelleNous sommes ravies de participer à une table ronde organisée par l’UNFPA, l’agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive, consacrée à notre série collaborative sur l’éducation complète à la sexualité. Rejoignez-nous le mardi 21 novembre à 15h00 CET pour Covering Sex-Ed: Lessons From ‘The Talk’ Reporting Series, dans laquelle des journalistes et des expert·e·s de l’UNFPA exploreront les thèmes communs dans la couverture médiatique de l’éducation sexuelle et exploreront des solutions alors que l’environnement médiatique mondial devient de plus en plus polarisé. La discussion se déroulera en anglais. Inscrivez-vous ici pour y assister, et retrouvez tout le journalisme produit pour la série “The Talk” ici. À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. PS : La newsletter est également disponible en anglais.
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