19 décembre 2022 Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? En voici le contenu en très – très – bref :
Lisez la suite pour en savoir plus. Et si vous voulez rester à jour sur le féminisme dans le monde, suivez-nous sur Twitter et Instagram. “Ils disent que c’est de l’amour, nous disons que c’est du travail non payé“ – 50 ans de luttes pour la rémunération du travail domestiquepar Rosa Campbell Cette année marque le 50ème anniversaire du mouvement Wages for Housework, qui réclamait des salaires pour le travail domestique. Le projet, né en 1972, était basé sur une idée radicale qui a révolutionné la vision féministe du travail domestique qui incombait majoritairement aux femmes. Soudain, passer l’aspirateur ou faire la lessive n’étaient plus des tâches fades et répétitives; elles devenaient un élément central du rôle des femmes dans une société capitaliste. D’après des féministes telles que Selma James, Mariarosa Dalla Costa et Silvia Federici, figures de proue des différentes campagnes pour la juste rémunération des tâches ménagères, les femmes travaillent à la maison, gratuitement, pendant que les hommes travaillent pour gagner un salaire. La demande des militant·e·s avait l’air simple: que le travail gratuit effectué par les femmes dans le foyer hétérosexuel soit payé comme d’autres types de labeur. Mais si nous nous arrêtons là, les choses se compliquent. Qu’est-ce qui constitue le travail domestique? Est-ce seulement passer la serpillère et faire la vaisselle? Quid de la garde d’enfants? Est-ce que le sexe et le romantisme en font partie? D’après les premiers textes publiés par le mouvement Wages for Housework, le “travail domestique” prend en compte toute tâche domestique ou émotionnelle effectuée gratuitement au sein du foyer, à des fins de reproduction de la force de travail. Cela représentait, selon les militant·e·s des années 70, tout travail effectué par les femmes pour fournir un soutien physique et émotionnel permettant à un travailleur de continuer de produire. Etaient inclus la cuisine, le ménage, le sexe, le soin (care) et l’élevage des enfants. “Ils disent que c’est de l’amour, nous disons que c’est du travail non payé“, Silvia Federici écrivait en 1975. L’idée de rémunérer le travail domestique est venue des grèves de “l’automne chaud” dans le nord de l’Italie en 1969 et 1970. Une série de grèves, de plus en plus radicales, dans lesquelles des travailleur·euse·s demandaient des augmentations de salaires, une diminution du temps de travail et un plus grand contrôle de leurs entreprises. Certaines femmes dans la branche britannique de la campagne ont exigé un salaire réel de la part du gouvernement. Mais d’après Silvia Federici, la question de combien les femmes devraient toucher pour leur travail domestique n’était pas la bonne. Plutôt que de penser à un objectif monétaire précis, elle soutenait que la campagne fournissait une “perspective politique” qui avait le pouvoir de “produire une révolution dans nos vies… en tant que femmes.” La perspective politique dont parle Silvia Federici aide à comprendre d’où l’oppression des femmes vient vraiment, et comment les campagnes pour la rémunération du travail domestique ont le potentiel de révolutionner les rôles de genre. Wages for Housework soutient que l’inégalité de genre ne vient pas d’une différence biologique; pas non plus d’un vague concept de ‘patriarcat’ aux allures légèrement complotistes; pas de la haine des hommes envers les femmes, ou de l’infériorité des femmes. Non, elle vient plutôt de la division genrée du travail. Faire le ménage ou la cuisine en est venu à représenter le symbole même de la condition de femme. Ceci est différent du travail rémunéré en dehors du foyer dans lequel, ”aujourd’hui vous êtes facteur, demain chauffeur de taxi”, Federici écrivait en 1974. Une version actualisée pour notre époque ressemblerait à quelque chose comme : “aujourd’hui vous êtes un livreur Deliveroo, demain vous travaillez dans un entrepôt Amazon”. Ce qui reste inchangé pour les hommes, cependant, c’est que quel que soit leur niveau d’exploitation, ils ne “sont” pas ce travail. La différence entre le travail domestique et le travail salarié, donc, d’après Silvia Federici, est que “le travail domestique a été transformé en un attribut naturel de notre physique et de notre personnalité féminine.” Le combat pour la rémunération du travail domestique, c’est le “refus du travail comme expression de notre nature.” Il s’agit de redéfinir le travail domestique comme un travail à part entière et ainsi de redéfinir ce que signifie être une femme. Voilà la révolution dont elle parle. Le mouvement Wages for Housework expliquait également pourquoi les femmes gagnaient moins que les hommes en dehors du foyer. Si les femmes travaillaient pour un salaire, elles le faisaient souvent dans des métiers qui étaient des prolongements de leur travail non rémunéré. Comme le disait l’un des premiers tracts de la campagne: “Nous sommes des enseignantes, des infirmières, des secrétaires, des prostituées, des actrices et des puéricultrices.” La rémunération de ces emplois était (et reste) faible car ils ressemblent au travail initialement effectué gratuitement par les femmes dans l’espace domestique. La campagne a émergé du mouvement de libération des femmes, qui a souvent été critiqué, à juste titre, pour sa surreprésentation blanche et bourgeoise. Mais Wages for Housework suggérait une unité entre toutes les femmes du monde, car elles étaient toutes oppressées par une charge domestique disproportionnée et dévalorisée. ”Le crime contre nous à l’échelle internationale, dont découlent tous les autres crimes contre nous, est notre condamnation à perpétuité aux travaux ménagers”, on peut lire dans l’un des premiers tracts. Des militant·e·s impliqué·e·s dans la campagne internationale, dont Clotil Walcott de Trinité-et-Tobago, ont réussi, à la conférence des Nations Unies sur le statut des femmes à Nairobi en 1985, à faire pression pour que la contribution économique du travail non rémunéré des femmes soit comptabilisée dans tous les pays. Aujourd’hui, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) recueille des statistiques sur le temps consacré au travail non rémunéré, par sexe. Les chiffres montrent que, dans l’ensemble, le volume de travail non rémunéré des femmes est beaucoup plus élevé que celui des hommes, et ce dans tous les pays de l’OCDE. Grâce à la contribution de femmes comme Wilmette Brown, Wages for Housework a aussi compris que les femmes noires et racisées travaillaient souvent comme employées de ménage, cuisinières, nourrices et soignantes pour des femmes plus riches et principalement blanches, au détriment de leurs propres familles. Cet aspect est devenu crucial avec l’augmentation du nombre de femmes sur le marché du travail. Aujourd’hui, dans de nombreux foyers hétérosexuels de classe moyenne qui peuvent compter sur deux salaires, des femmes plus pauvres et racisées sont employées pour prendre le relais à la maison – pour faire le travail qui maintient la vie des autres – souvent pour des salaires très bas. Un film produit par l’équipe britannique de Wages for Housework intitulé All Work and No Pay (Du travail gratuit) en 1976 montre des femmes de classe populaire interviewées dans la rue, devant le supermarché, les bras chargés de courses et d’enfants. Elles étaient ravies par l’idée d’être payées pour leur travail. ”Plus d’argent pour les femmes à tout moment, je prends”, une femme rétorque. Elle sourit avec incrédulité, comme éprise d’une agréable fantaisie. Son sourire incrédule était peut-être prophétique. Le mouvement de rémunération du travail domestique, bien que très fertile idéologiquement, est pourtant resté à la périphérie des mouvements féministes des 50 dernières années. Des campagnes politiques pour la création de refuges pour victimes de violences conjugales, pour une meilleure représentation au travail et au parlement, pour l’égalité des salaires, pour plus de crèches, pour une éducation féministe et contre les violences sexuelles et sexistes ont, par contraste, amené à des avancées considérables. Cela est peut-être dû à une définition large du concept de “travail domestique”, qui, bien qu’elle ait participé à un élargissement du champ de pensée féministe, complique la tâche des militant·e·s. Pour obtenir de meilleures conditions dans le cadre d’un emploi salarié, les travailleur·euse·s arrêtent collectivement de travailler: les trains ne passent plus, et le courrier n’arrive pas. Mais comment peut-on faire grève du travail domestique? Arrêter de faire la vaisselle? Ne plus nourrir les enfants? Ne plus sourire poliment au travail, à la maison et dans la rue? Est-ce qu’on devrait arrêter de faire du sexe, même quand on en a envie? Vu qu’une grande partie de ce travail s’effectue au sein de nos foyers, comment collectiviser une telle grève? Affiche par Jacquie Ursula Caldwell, 1974 (CC BY-SA 4.0) Le mouvement pour la rémunération du travail domestique est une grande provocation, pleine de potentiel, mais je ne suis pas sûre qu’il fournisse assez de leviers d’action ou de stratégies pour y arriver. Comme l’écrit l’historienne Barbara Taylor dans son livre Eve and the New Jerusalem (Eve et la Nouvelle Jérusalem) : « l’histoire de tous les mouvements progressistes est jonchée d’espoirs à moitié oubliés, de rêves qui ont échoué ». Pourtant, Wages for Housework est plus qu’un rêve inachevé ou un tract écrasé au sol après une manifestation il y a 50 ans. En 1975, 90% des Islandaises ont fait la grève du travail rémunéré et non-rémunéré. L’année suivante, le pays passait une loi sur l’égalité salariale. (L’Islande est aujourd’hui le pays le plus avancé en la matière). En 2016, leur lutte inspirait les grèves du Lundi Noir en Pologne contre l’interdiction totale de l’avortement. On retrouve aussi les idées du mouvement Wages for Housework dans certains des mouvements sociaux les plus intéressants d’aujourd’hui, comme la lutte pour un revenu universel. Les militant·e·s de la campagne ne voyaient pourtant pas le travail salarié comme outil de libération pour les femmes, bien au contraire: “Maintenant, nous voulons décider de quand nous travaillons, comment nous travaillons et pour qui nous travaillons. Nous voulons pouvoir décider de ne pas travailler du tout,” elles écrivaient. Ce souhait fait écho aux phénomènes de “grande démission” entamé avec la crise du Covid et de la “démission silencieuse“ qui consiste à ne plus fournir que le minimum requis au travail. Aujourd’hui, de nombreux mouvements sociaux cherchent à faire sortir la grève du lieu de travail pour l’introduire à la maison. On trouve l’influence des luttes féministes pour la rémunération du travail domestique dans les grèves de loyers, les refus de payer les factures de gaz et les grèves de femmes. Tel l’enfant qui pleure ou le cri de la vaisselle dans l’évier, Wages for Housework nous force à nous arrêter pour réfléchir à une éternelle question féministe: Qui change les couches dans mon foyer? Puis à nous demander pourquoi c’est important, et comment on pourrait changer ça. — Rosa Campbell vient de terminer son doctorat en histoire à l’Université de Cambridge. Son travail explore l’histoire mondiale du féminisme. Cette édition d’Impact a été préparée par Megan Clement et Anna Pujol-Mazzini. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund Abonnez-vous à nos newsletters : |
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