« Le Danemark est allé si loin dans ses politiques anti-réfugié·e·s et anti-migrant·e·s qu’il a fini par saper son propre engagement en faveur de l’égalité des genres. » Catherine Woollard, directrice du Conseil européen sur les réfugié·e·s et les exilé·e·s Voici la newsletter Impact, votre newsletter féministe préférée. Cette semaine, je suis fière de partager une enquête sur la vie des survivantes syriennes de violences conjugales au Danemark. Cet article est le fruit de plus de deux ans de reportages effectués par des journalistes et moi-même pour comprendre comment certaines des réfugiées les plus vulnérables se sont retrouvées du mauvais côté de la politique danois. Si vous êtes pressé·e·s par le temps, voici la newsletter quelques mots :
L’extrait suivant est publié en partenariat avec le collectif de journalistes Lighthouse Reports et le magazine New Lines. Le Danemark menace de renvoyer en Syrie les femmes qui ont pourtant réussi à fuir des violences conjugales par Megan Clement et Mais Katt Dans la vidéo, Wael, l’ex-mari de Faten, joue avec un pistolet déchargé. Il le fait tourner autour de son doigt. Il fait claquer le chargeur dans tous les sens. Tout en lui parlant, il s’adresse directement à la caméra. « Tu as de la chance d’être en Europe », dit-il. « Mais tu reviendras, c’est certain.” « Je suis en Syrie, je t’attends », poursuit-il. « L’Europe te renverra, c’est certain. » Il place l’arme contre sa tempe et appuie sur la gâchette : « Je vais te tirer une balle dans la tête comme ça ». Faten et ses enfants vivent dans la banlieue d’une ville danoise. (Nous n’utilisons pas les noms réels de Faten ni de son mari, ni ne citerons la ville, en raison des menaces qu’il a proférées à son encontre). Son corps est encore marqué par les abus de Wael. Elle raconte qu’en Syrie, il lui brûlait les bras avec des cigarettes, la battait et la coupait avec un couteau. Il a également essayé de vendre ses services sexuels à ses amis. Faten l’a quitté en 2011, l’année où la guerre civile syrienne a commencé. Elle s’est rendue à Damas et a épousé un autre homme, qu’elle a accompagné en Irak en 2013. « Je ne l’aimais pas », dit-elle à propos de son second mari. « Mais je voulais fuir et être loin.” Lorsque le second mari de Faten l’a quittée, elle s’est réfugiée en Europe avec sa mère et les enfants qu’elle avait eus avec Mais en 2019, le gouvernement danois a annoncé que Damas était désormais considérée comme suffisamment sûre pour que les demandeur·euse·s d’asile puissent y retourner, privant ainsi des centaines de Syrien·ne·s de leur droit de vivre et de travailler au Danemark. Cette décision a été largement condamnée par l’agence des Nations unies pour les réfugiés, la Commission européenne et les groupes internationaux de défense des droits humains, qui ont documenté le risque de torture et d’enlèvement sous le gouvernement de Bachar el-Assad. Cette année, les autorités danoises ont élargi les zones de la Syrie qu’elles ont désignées comme sûres, y compris la province occidentale de Lattaquié. Plus de 1 000 réfugié·e·s syrien·ne·s ont depuis vu leur permis réévalué et plus de 100 ont perdu leur dernier recours depuis 2019. Le Danemark n’ayant pas de relations diplomatiques avec la Syrie, le gouvernement ne peut pas encore renvoyer les demandeur·euse·s d’asile dans ce pays. Au lieu de cela, ceux qui ont perdu leur droit de séjour sont envoyés dans l’un des trois « centres de retour » éloignés au Danemark, où ils ne peuvent ni travailler ni étudier, pour une durée indéterminée. Lorsque Faten a entendu parler de cette politique, elle a été terrifiée. Elle savait ce que cela pouvait signifier pour elle : être renvoyée dans un pays où Wael pourrait la trouver et la tuer. Il la surveillait depuis qu’elle l’avait quitté. « Il demandait toujours de mes nouvelles, demandait à ses amis et à sa famille des nouvelles de moi et des filles.” Lorsque Wael a appris cette nouvelle, il a vu une opportunité. Il a retrouvé son ex-femme sur Facebook et a commencé à lui envoyer des vidéos menaçantes, qui ont été visionnées par New Lines pour cette enquête en partenariat avec la rédaction Lighthouse Reports. Dans l’une d’elles, il dit : « Tu reviens du Danemark », habillé en treillis militaire (Faten pense qu’il pourrait se battre pour le régime syrien ou faire partie d’une milice). « Je vais vous massacrer”. En mars 2021, Faten a reçu la lettre qu’elle redoutait : le service danois de l’immigration lui retire son permis de séjour. Son avenir est soudain entaché d’incertitude. L’avenir de Faten avait été décidé par une politique d’accueil des réfugié·e·s qui, selon les expert·e·s, a été disproportionnellement punitive à l’égard des femmes. Dans le cas des réfugié·e·s syrien·ne·s, le Danemark « est allé si loin dans ses politiques anti-réfugié·e·s et anti-migrant·e·s qu’il a fini par saper son propre engagement en faveur de l’égalité des genres », a déclaré Catherine Woollard, directrice du Conseil européen sur les réfugié·e·s et les exilé·e·s. Sur les plus de 150 Syrien·ne·s qui ont perdu leur dernier recours pour conserver leur permis de séjour danois depuis 2019, plus de 70 sont des femmes, dont 49 femmes en 2021 et 15 en 2022, selon les chiffres fournis par la Commission danoise de recours des réfugié·e·s. Une porte-parole de la commission, qui examine les recours contre les décisions en matière d’asile, a déclaré à New Lines qu’elle était « toujours consciente de la situation actuelle dans le pays d’où proviennent les demandeurs et demandeuses d’asile dans chaque cas, et donc attentive à des questions telles que les violences à l’égard des femmes ». Mais ce n’est pas assez pour les demandeuses d’asile syriennes, dont des centaines ont un permis d’asile d’un an qui peut être facilement annulé, malgré les risques spécifiques auxquels elles peuvent être confrontées dans leur pays ou même au Danemark. Speak English? La newsletter est aussi disponible en anglais : Les expert·e·s affirment que les procédures d’asile ne tiennent souvent pas compte des dangers spécifiques auxquels sont confrontées les demandeuses d’asile, et plus spécifiquement les violences conjugales, les abus sexuels et les mariages forcés. Pour obtenir une protection, elles doivent se battre dans un système conçu par et pour les hommes. Les gouvernements danois successifs, toutes tendances politiques confondues, ont mis en place un système d’asile à plusieurs niveaux dans lequel les femmes bénéficient systématiquement d’une protection plus faible. Ils ont pu le faire parce que le pays dispose d’une « clause de non-participation » spécifique à la politique d’immigration de l’UE. En 2015, alors que les réfugié·e·s syrien·ne·s commençaient à arriver en grand nombre en Europe, le gouvernement danois a créé une nouvelle catégorie de « protection temporaire » et a facilité le retrait des permis de séjour si les conditions dans le pays d’origine des demandeur·euse·s d’asile s’amélioraient, même si ces avancées étaient fragiles. Les chiffres fournis à Lighthouse Reports par le service danois de l’immigration montrent que 64 % des Syrien·ne·s En effet, les hommes syriens en âge de combattre risquent d’être enrôlés dans l’armée s’ils reviennent et sont donc plus susceptibles de se voir accorder la forme de protection la plus forte disponible au Danemark – connue sous le nom de « statut conventionnel » – parce qu’elle est basée sur la Convention relative au statut des réfugié·e·s. Si Faten avait été un homme, elle n’aurait pas eu à subir la même procédure – elle aurait plutôt obtenu le statut conventionnel en raison de la menace de conscription militaire. La Convention relative au statut des réfugiés définit cinq types de persécution pour lesquels une personne peut être considérée comme réfugiée : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social particulier ou l’opinion politique. Ces catégories ne tiennent souvent pas compte de la nature des menaces auxquelles les femmes sont confrontées, affirment les défenseurs des droits humains. « Ce n’est pas que [les femmes] courent moins de risques que les hommes – je dirais même parfois le contraire – mais « Il s’agit d’une situation insensée dans laquelle vous concevez un statut spécial, qui sera accordé aux plus vulnérables et qui sera le plus facile à révoquer », explique Michala Bendixen. « Les plus vulnérables sont donc en première ligne lorsque vous discutez du retour. Depuis son arrivée au Danemark, Faten a fait part à plusieurs reprises aux autorités de la menace que son mari faisait peser sur elle s’il la renvoyait en Syrie. « J’ai tout montré à la police ici au Danemark », dit-elle à propos des entretiens réguliers qu’elle a eus avec les agent·e·s de l’immigration depuis 2015. Pourtant, son avocate, Helle Holm Thomsen, affirme que les agent·e·s de l’immigration qui ont examiné la possibilité de retirer le permis de séjour de Faten en 2021 ne l’ont pas crue – ils se sont demandé si l’homme dans la vidéo était réellement son ex-mari et ont laissé entendre qu’elle s’était arrangée pour envoyer les vidéos elle-même, afin de renforcer son dossier. Le gouvernement danois nous a dit qu’il prenait en compte les incidents de violence domestique lorsqu’il examinait les menaces crédibles dans le pays d’origine d’un demandeur·euse d’asile. Mais Helle Holm Thomsen explique que dans la pratique, il est courant que les demandeuses d’asile ne sont pas crues par les services de l’immigration. « C’est ainsi que les choses se passent au Danemark, on les soupçonne d’inventer ces choses”. Faten a pu faire appel de la décision de retrait de son permis de séjour temporaire et a finalement obtenu un permis de séjour amélioré en septembre 2021, fondé sur la menace individuelle posée par son mari. Pourtant, même après avoir fait part de tous ses traumatismes – des cicatrices sur ses bras aux vidéos de son ex-mari tenant une arme – son permis n’a été accordé que pour un an. Bien qu’il ait été renouvelé en 2022, chaque renouvellement lui rappelle que sa vie au Danemark pourrait être limitée. Et à chaque fois, elle risque d’être rappelée pour un entretien afin de raconter à nouveau son histoire aux autorités. Elle a maintenant jusqu’au mois de septembre de l’année prochaine avant que son permis n’expire. Noura Bittar Søborg affirme que le processus de renouvellement des permis de séjour est déshumanisant. Elle a vu sa demande de résidence permanente rejetée à deux reprises, bien qu’elle ait obtenu un master au Danemark et qu’elle ait eu une fille danoise avec son ex-mari. La raison est la suivante : elle n’était pas en mesure de remplir les conditions d’emploi en continue, Noura Bittar Søborg est atteinte d’une maladie chronique. Elle affirme que la demande de sa mère est également menacée après qu’elle a perdu son emploi pendant la pandémie de COVID-19. « Je suis épuisée de devoir faire continuellement mes preuves », déclare Noura Bittar Søborg. « Le gouvernement nous fait systématiquement violence. » Si Faten était arrivée au Danemark avec un mari du même âge qu’elle, elle aurait été couverte par le statut plus solide de ce dernier. Mais en tant que femme seule et survivante de violences conjugales, elle a dû prouver à maintes reprises que c’est précisément un homme en âge de servir dans l’armée qui représente la plus grande menace pour elle en Syrie. De retour en Syrie, « il n’y a pas de gouvernement ou de police à qui s’adresser, tout est corrompu, encore plus qu’avant », dit-elle. « S’il veut me faire du mal ou faire du mal à mes filles, il le fera facilement.” Fernande van Tets a contribué au reportage. Amie Ferris-Rotman et Charlotte Alfred ont édité l’article, qui a été réalisé en partenariat avec Lighthouse Reports. Il s’agit d’un extrait d’une enquête plus longue publiée dans le magazine New Lines. Vous pouvez lire l’article complet ici en anglais. Premier fois par ici ? Impact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Chaque mois, nous publions les dernières nouvelles sur les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, un entretien, un reportage et un édito écrit par notre rédactrice en chef. PS : Impact est également disponible en anglais.
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