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Je crois que nous, que cette planète, n’a pas encore connu son âge d’or. Tout le monde dit que c’est fini… que l’art est fini, que le rock’n’roll est mort, que Dieu est mort. Je m’en fous ! C’est ma chance dans le monde. Je n’ai pas vécu en Mésopotamie, je n’étais pas dans le jardin d’Eden, je n’étais pas avec l’empereur Han, je vis ici et maintenant et je veux que ce soit l’âge d’or… si seulement chaque génération réalisait que le temps de la grandeur, c’est maintenant, de son vivant… le temps de fleurir, c’est maintenant.
Patti Smith
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par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Vous arrive-t-il parfois de tout voir en noir, de trouver votre existence vaine et sans but, dénuée de joie et d’amour, avant de vous rendre compte que vous allez avoir vos règles ? Ce rappel me soulage toujours d’un énorme poids. Comme si je voyais soudainement apparaître la créature malfaisante en train de me chuchoter des horreurs dans l’oreille, et que je parvenais à me rappeler que sans son emprise, je me porterais comme un charme (ou en tout cas déjà bien mieux).
Si l’on est aujourd’hui mieux conscient·es du calvaire que représente l’endométriose pour une personne menstruée sur dix, l’impact du cycle menstruel sur notre santé mentale est encore peu étudié. Vous avez sûrement entendu parler du fameux syndrome prémenstruel ou SPM – “Ce sont tous les symptômes qui apparaissent dans la phase deux à dix jours avant le début des règles, ce qui est trop vaste et trop vague pour organiser un traitement de ce trouble,” nous explique Hélène Marais-Thomas.
La psychologue clinicienne et psychothérapeute travaille spécifiquement sur le Trouble Dysphorique Prémenstruel ou TDPM, considéré comme une forme sévère du SPM. Le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM-5) le définit comme un trouble dépressif qui “entraîne une modification importante de l’humeur et de l’état psychologique” quelques jours avant les règles. Le début de celles-ci marque la fin des symptômes parmi lesquels : humeur dépressive, anxiété, irritabilité, conflits avec les autres, sentiment de désespoir… pouvant aller jusqu’à des pensées suicidaires.
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Ce trouble touche entre 1,8% et 8% des femmes qui ont leurs règles, même si Hélène Marais-Thomas précise que ce chiffre pourrait être plus élevé. Elle regrette qu’il n’existe toujours pas d’étude sur le sujet en France, et souligne que ces données ne concernent que le diagnostic pur. “On a aussi ce qu’on appelle les formes subcliniques du TDPM. Si une femme passe cinq jours par mois sévèrement déprimée ou incapable de se concentrer, elle ne rentre pas dans les critères du TDPM parce qu’il faut plus de symptômes. Cela n’empêche néanmoins pas sa vie d’être impactée.”
En effet, les critères diagnostiques définis par le manuel des troubles mentaux DSM-5 stipulent que les personnes atteintes du TDPM présentent “au cours de la majorité des cycles menstruels, au moins cinq des symptômes” recensés. En plus de l’humeur dépressive, de l’anxiété et des autres symptômes mentionnés plus haut, on peut parler de difficultés pour dormir et se concentrer, une diminution de l’intérêt pour les activités habituelles, une perte d’énergie, des modifications de l’appétit ou le sentiment d’être débordé·e.
Mais ce trouble étant peu connu à la fois du public et des professionnels de santé, il est souvent mal diagnostiqué. “Comme c’est un trouble cyclique, on ne peut pas diagnostiquer les patient·e·s sur du déclaratif,” insiste la psychothérapeute. Il faut entamer une évaluation prospective en notant ses symptômes sur plusieurs mois. “Si on vous diagnostique un trouble dysphorique, mais qu’en fait vous souffrez de dépression ou d’un trouble de l’humeur, les traitements psychothérapeutiques et médicamenteux ne seront peut-être pas adaptés.”
Et d’ailleurs, quelle est la cause du TDPM ? Ce trouble est lié à des modifications hormonales exacerbées par des facteurs sociaux et psychologiques. Mais attention : “On ne trouve pas de différence significative des variations hormonales entre les femmes atteintes ou non de trouble dysphorique prémenstruel,” précise Hélène Marais-Thomas. Certaines personnes présentant une plus forte sensibilité du système nerveux central seront facilement impactées par des variations hormonales ou du surmenage. Chez d’autres, le TDPM sera déclenché par un trauma ou un stress important.
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En conséquence, le traitement va différer d’une personne à l’autre. “Une personne atteinte du TDPM n’est pas juste déprimée : son organisme fonctionne moins bien,” rappelle-t-elle, pointant des problèmes de fatigue, de concentration, de mémoire ou de régulation des émotions. Une prise en charge psychothérapeutique va ainsi être nécessaire pour la majorité des patient·es afin de les aider à gérer l’effondrement de leur état. En parallèle, un traitement médicamenteux peut aussi aider à agir sur les symptômes liés à l’humeur.
“Moins je vais gérer mes symptômes, plus je vais me créer un terrain pour empirer la situation.” Elle cite l’exemple de patientes qui vont “soit chercher à cacher leur état, soit à le compenser.” Une fois leur phase prémenstruelle passée, elles vont redoubler d’efforts pour rattraper le travail qu’elles n’ont pas pu assurer lorsqu’elles se sentaient mal. “C’est une erreur : elles vont encore davantage s’épuiser et donc, sur la phase suivante, ce sera encore plus dur.”
Ce cas de figure illustre l’intérêt du congé menstruel comme cela existe au Japon depuis 1947 et en Espagne depuis l’année dernière. En France, une proposition de loi en ce sens a été rejetée par le Sénat au mois de février. Si Hélène Marais-Thomas salue cette initiative et les possibles avancées qu’elle implique, elle estime cependant qu’“on est très loin du compte pour la reconnaissance des problématiques de santé mentale liées au cycle menstruel.” En effet, cette proposition était axée sur la douleur physique uniquement. Cette négligence des symptômes du TDPM, pourtant parfois très durs à vivre, est non seulement révélatrice du manque d’égard envers les problématiques de santé mentale dans notre société, mais aussi de la méconnaissance de ce trouble.
“Aujourd’hui, on en parle un peu sur les réseaux sociaux et dans les médias, mais pas au point de toucher la politique ou de démocratiser la formation sur le trouble dysphorique prémenstruel dans les universités et auprès des professionnels de santé.” Pour autant, elle dit avoir bon espoir : “Quand j’ai commencé ma thèse il y a six ans, il n’y avait pas l’espoir de voir des patientes guérir et j’en ai vu. Ce n’est pas la majorité, mais j’ai vu des patientes passer du trouble dysphorique à quelques symptômes pas trop handicapants en phase prémenstruelle.”
Le mental fitness des Petites Glo
Si vous vous sentez régulièrement mal avant vos règles, il faut bien sûr privilégier de consulter un·e professionnel·le de santé. Mais pour vous soulager un petit peu dans un coup dur en phase prémenstruelle, voici quelques conseils d’Hélène Marais-Thomas. “C’est complexe parce qu’il faut partir du principe que ce changement d’état va être là le temps que mon système nerveux central est fragilisé. Il y a une partie d’acceptation de la modification de l’état,” souligne la psychothérapeute.
On lit : Les Règles, quelle aventure, d’Élise Thiébaut et Mirion Malle (2017)
Dans cet excellent guide destiné aux ados et aux préados, la journaliste féministe Élise Thiébaut explique de façon très complète ce que sont les règles à l’aide de références culturelles et médicales, et avec de très chouettes illustrations de Mirion Malle en prime. Si vous êtes un peu plus âgé·e, vous vous retrouverez peut-être davantage dans l’autre ouvrage d’Élise Thiébaut sur le sujet, Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (2017).
On regarde : “Les Règles de notre liberté”, court-métrage documentaire de Rayka Zehtabchi (2018)
Cet excellent documentaire de 26 minutes a été primé aux Oscars en 2019. Il raconte l’implantation d’une usine de fabrication de protections menstruelles dans le village rural de Kathikhera, près de New Delhi en Inde, où les règles sont encore un grand sujet tabou et où les serviettes hygiéniques sont habituellement hors de prix. Un rappel essentiel sur la réalité des jeunes filles frappées par la précarité menstruelle.
On consulte : les comptes Instagram qui t’expliquent tout sur les règles
C’est aussi beaucoup grâce au travail de comptes précurseurs que le grand public a été sensibilisé à l’impact des règles sur la santé mentale. Vous pourrez par exemple retrouver les contenus de Leslye Granaud pour @spmtamere, Priscilla Lubin pour @tdpmetmoi , l’association TDPM France et l’association Règles Élémentaires qui lutte contre la précarité menstruelle et le tabou des règles.
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