Les Glorieuses est une newsletter hebdomadaire qui vous propose un regard féministe sur l’actualité. Notre devise : Liberté Égalité Sororité. Dites-nous ce que vous en pensez [email protected] 🙂
Cette année, nous fêtons le centenaire de l’accession des femmes au droit de vote dans onze pays : en Arménie, en Hongrie (pour celles qui ont plus de 24 ans), au Canada (au niveau fédéral, pour la province du Québec il faut attendre 1940), au Royaume-Uni (pour celles qui ont plus de 30 ans, leur statut est aligné sur celui des hommes dix ans plus tard), en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Roumanie (dans toutes les provinces sauf trois), en Géorgie, en Azerbaïdjan, en Autriche et en Allemagne. Pour la France, nous attendrons 2044 pour fêter ce centenaire (2058 si on prend en compte toutes les femmes et donc celles de l’Algérie française qui ont attendu l’ordonnance du 5 février 1958).
Vous
l’aurez compris, la newsletter de la semaine a pour objet les parenthèses (je ne sais même pas pourquoi je l’écris tant c’est évident).
« Les parenthèses naissent de l’exigence de clarté formelle des humanistes ; elles intègrent dans la continuité du texte ce qui aurait pu figurer dans une glose marginale » peut-on lire dans l’Express.
Les parenthèses sont aujourd’hui fréquemment utilisées pour participer au renforcement du mythe de l’égalité en France. Ce processus est une vaccine,
les parenthèses en sont l’outil. Pour Roland Barthes, une vaccine est un procédé qui a pour but d’introduire un peu de mal pour dire du grand bien de quelque chose. « Un peu de mal avoué dispense de reconnaître beaucoup de mal caché » écrit-il ainsi dans Mythologies (1957). Sauf que les propos soulignés entre parenthèses sont de facto délégitimés par rapport au propos principal, lorsqu’ils ne sont pas invisibilisés.
Le mythe de l’égalité à la française repose, comme le souligne la politologue Réjane Sénac, sur ces deux bâtonnets convexes (Les non frères au pays de l’égalité, Les presses de SciencesPo, 2017). L’essayiste prend l’exemple de l’ouvrage (que dis-je, du best seller) de Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle (2013). « [L’économiste] souligne les limites d’une Révolution anglaise qui n’a pas remis en cause la dynastie royale et d’une Révolution américaine qui n’a pas permis d’enrayer
l’esclavage ni, par la suite, la discrimination raciale légale, avant de qualifier la Révolution française de ‘plus ambitieuse’, dans la mesure où elle [a aboli] tous les privilèges légaux, et [entendu] créé un ordre politique et social entièrement fondé sur l’égalité des droits et des chances ». Il affirme ainsi que « le Code civil garantit l’égalité absolue face au droit de propriété et à celui de contracter librement », tout en précisant : ‘(tout au moins pour les hommes)’ ». (TOUT AU MOINS POUR LES HOMMES). Cette vaccine permet d’indiquer au détour d’une parenthèse qu’il s’agit en fait d’égalité pour les hommes, et non d’égalité
universelle.
Les parenthèses ont bon dos. Elles sont utilisées pour « [vacciner] l’égalité à la française contre une remise en cause structurelle » (Sénac, 2017), en d’autres mots pour exclure les femmes de l’égalité tout en prétendant les inclure. « Comme le souligne Pierre Bras, contrairement à d’illustres prédécesseurs économistes tels Engels ou Marx, Thomas Piketty ‘oublie la différence des sexes. Plus précisément, il ne l’évoque que de façon incidente, la rejetant en notes de bas de page et autres parenthèse : une façon de souligner un problème tout en l’évacuant.’ Cette manière de reconnaitre l’exclusion tout en la
mettant à la marge exprime un moment particulier du mythe de l’égalité à la française : celui où la reconnaissance des contradiction du principe d’égalité permet de les incorporer au lieu de les dépasser ».
L’emploi des parenthèses pour ériger en universalité l’égalité de quelques uns (au profit de quelques autres) est la preuve même que nous n’y sommes pas. La mise entre parenthèses souligne, comme le dit Réjane Sénac, que « la reconnaissance de l’exclusion des femmes, soit de la moitié de la population, du périmètre d’application de l’égalité à la française ne remet pas en cause le fait de penser et de poser cette égalité comme exemplaire ».
Cette année, nous fêtons le centenaire de l’accession des femmes au droit de vote dans sept pays : Allemagne, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Géorgie, Pologne et
Tchécoslovaquie. En France ? Ce sera pour 2058.
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