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En parlant du critique littéraire, Virginia Woolf raconte que « son effet sur l’auteur est impressionnant […]. On sait ce qu’il en a été pour Keats ; et sur le sensible Tennyson. Ce dernier a non seulement apporté des modifications à ses poèmes pour se conformer aux souhaits du chroniqueur mais il a envisagé d’émigrer ; et il a sombré dans un désespoir tel, raconte un biographe, que son état d’esprit, et donc sa poésie, en fut altéré » (Les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds).

Nous ne sommes pas en train de renverser les codes lorsque nous affirmons que les hommes ressentent. Ce n’est pas le propos. Ce qui est à noter est l’invisibilisation des émotions ressenties par les hommes dans l’espace public – nous laisserons de côté les rires grotesques et les colères disproportionnées de nos chroniqueurs télévisés. « Et pourtant, si pourries soient-elles, lorsqu’elles l’accablent de leurs flèches venimeuses, même Dickens avec tout son génie et sa magnifique vitalité ne peut s’empêcher d’être blessé ; et il doit se jurer de contenir sa rage et de sortir vainqueur en se montrant indifférent et en les laissant persifler autant qu’ils le souhaitent. » La réaction de Dickens est l’image que nous nous faisons de ce qu’est un homme : une personne indifférente, au-delà de toute critique. Non seulement c’est faux, mais ce préjugé ne fait que renforcer la valence différentielle des sexes (ce qu’on considère comme étant une domination d’un sexe sur l’autre)(on vous laisse imaginer qui domine qui).

Nulle place pour le sentiment dans la définition de la virilité : « le viril n’est pas simplement l’homme, il est davantage : idéal de puissance et de vertu, assurance et maturité, certitude et domination. D’où cette situation traditionnelle de défi : viser le «parfait», l’excellence, autant que l’« auto contrôle». Qualités nombreuses enfin, entrecroisées: l’ascendance sexuelle mêlée àl’ascendance psychologique, la puissance physique à la puissance morale, courage et «grandeur» accompagnant force et vigueur. […] » (Histoire de la virilité). Ainsi, l’image de la virilité engendre de la honte à tout homme qui ressent. Comme le rappelait Virginia Woolf en parlant de la réaction de ses compères face aux critiques : « Tennyson et Dickens sont tous les deux à la fois en colère et affectés ; en même temps, ils ont honte d’éprouver de telles émotions. »

De la même manière que nous repensons les féminités, repenser les masculinités à l’aune de l’évolution des combats féministes est inhérent au combat lui-même. « La virilité est d’abord un mythe, un idéal nostalgique : à chaque époque, on regrette la virilité prétendument originelle qu’on aurait perdue. »  raconte la philosophe Olivia Gazalé, autrice du mythe de la virilité dans l’Hebdo le 1.  Avant tout, il s’agit d’une construction. « Déjà chez Aristophane, au Ve siècle avant Jésus-Christ, transparaît le regret des vrais hommes face à des contemporains jugés efféminés ! […] Quant aux marqueurs de la virilité, ils existent depuis la Grèce antique, mais ne sont établis plus encore à Rome : la force, l’esprit de compétition, le goût du défi, de la guerre et de la belle mort. » Ce n’est pas tout. Les stoïques apprennent aux hommes à maîtriser le sentiment et les émotions, le mépris de la souffrance et de la mort. La puissance sexuelle devient évidemment primordiale.

Croire dans les attributs de la virilité, c’est rejeter un dialogue avec les femmes. Ainsi, pour construire une société égalitaire, une société où les féministes n’existeront plus et où les masculinistes s’ennuieront, nous devons dialoguer les repenser les codes qui érigent en « homme » ceux qui partagent certains attributs comme l’indifférence, la force, etc. et en « femme » celles qui ressentent. Nous avons été victimes d’une construction sociale des représentations de nos sexes. Grâce à la sociologue Françoise Héritier (Une pensée en mouvement), reprenons-en le contrôle : « Les deux sexes sont victimes d’un système de représentation vieux de bien des millénaires. Il est donc important que les deux sexes travaillent ensemble à changer ce système. L’oppression et la dévalorisation du féminin ne sont pas nécessairement un gain pour le masculin. Ainsi, lorsque les positions des sexes ne seront plus conçues en termes de supériorité et d’infériorité, l’homme gagnera des interlocuteurs: il parlera avec les femmes d’égal à égal. Alors, les hommes n’auront plus honte de leur part dite “féminine” où s’exprime, selon la norme socialement convenue, les émotions et les affects. Il n’est pas évident que l’égalité des personnes supprime entre elles le désir et l’amour.»

Crédits photo : Les Glorieuses ; Tom Pumford

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