Quel est le lien entre Louise Michel, Marguerite Duras et les sorcières ?
C’est elle, Xavière Gauthier. Rencontre
Xavière Gauthier, une figure incontestable du mouvement féministe en France. Elle est écrivaine, journaliste, éditrice, universitaire. Elle a notamment fondé la revue Sorcières. Les femmes vivent : une revue artistique et littéraire féministe qui a été éditée entre 1975 et 1982. Lorsqu’on voit le nombre de revues féministes qui sont en train de se créer, on peut aisément se dire qu’elle est une source d’inspiration pour beaucoup d’entre nous. En plus de cela, elle est également spécialiste de Louise Michel, et a été amie avec Marguerite Duras. Bref, je terminerai cette présentation de la même manière que je l’ai commencée : Xavière Gauthier est une figure incontestable du mouvement féministe en France. Rebecca Amsellem – Projetons-nous. La révolution féministe est faite. Nous ne la connaîtrons peut-être pas de votre vivant (quoi que). L’entre-deux révolutionnaire est terminé, nous vivons dans une société féministe, antiraciste, inclusive, postcapitaliste. Le rêve quoi. Pour vous, à quoi ressemble cette société ? Xavière Gauthier – Un détail serait qu’on peut employer le mot féministe sans que ce soit un gros mot comme ça l’a été longtemps. Je rejoins complètement ce que disait Louise Michel. Je trouve qu’elle décrit très bien une utopie féministe. Je peux vous lire un extrait d’une lettre qu’elle a adressée à la fondatrice de l’exposition internationale des arts et métiers féminins en juin 1902 à Paris. « Votre œuvre est belle, rebelle, au-dessus des noires illusions de la politique, au-dessus des sauvageries féroces du Vieux Monde. Vous allez vers l’idéal réel, l’art qui sera un jour, bientôt, peut-être, le souffle de l’humanité. Vous allez dans l’inconnu, appelant à vous, les femmes, ces passionnées des entreprises héroïques à la conquête du beau. Elles entendront l’appel, car d’un bout à l’autre de la terre, elles sont de tout. Chaque groupe, chaque femme même, pressant corps à corps les monstres qui menacent le berceau des temps nouveaux : la guerre, la misère, l’ignorance et le plus horrible de tous les marchés de chair humaine, la traite des femmes. Oui, vous faites bien, par ce printemps du siècle à l’aurore d’une époque, d’appeler les femmes vers les arts. Assez longtemps, elles ont été misérables entre les misérables, parmi les troupeaux humains, qu’elles se vengent en faisant belle la terre pour l’humanité plus haute qui nous succédera. » N’est-ce pas une utopie magnifique ? Rebecca Amsellem – Je suis persuadée que toutes les activistes féministes ont, à un moment donné de leur travail, pensé une utopie. Ne serait-ce que pour elles-mêmes, pour se dire qu’il y a un horizon qui est meilleur. Et cela ne m’étonne donc pas du tout que Louise Xavière Gauthier – Appeler les femmes vers les arts peut paraître secondaire, il faut peut-être avoir du pain avant d’avoir des roses. Mais la création des femmes est importante et elle le sait. Je me suis attelée d’ailleurs à cette tâche depuis la revue Sorcières, qui était une ouverture à la création des femmes, aux écrivains, peintres, etc. Ce que j’appelle donc faire entendre, faire chanter le féminin. Rebecca Amsellem – Et est ce que la création de la revue Sorcières est un moyen pour vous d’arriver vers cette utopie, cette utopie féministe, culturelle ? Xavière Gauthier – Pour moi, ça a été l’amorce. Je l’avais qualifiée d’utopiste cette revue parce que j’imaginais que ça allait révolutionner le monde. C’était un petit peu exagéré. Mais il n’empêche que, comme vous le dites, il y a des dizaines de revues, des podcasts qui existent maintenant. J’aurais tendance à voir ces mouvements-là comme des suites possibles de la revue Sorcières. Rebecca Amsellem – Pourquoi l’avez-vous arrêtée cette revue ? Xavière Gauthier – Oh ! bah par épuisement. Vous saviez ce qu’on disait de Colette ? « Cette femme est-elle en acier ? Et la réponse était, mais non, elle est en femme. » Peut-être que les femmes sont costaudes. Peut-être qu’elles sont puissantes. Mais bon, vous imaginez bien qu’une revue comme ça, c’était jour et nuit, 24 heures sur 24 pendant plusieurs années. Donc, il vient un moment où j’ai pensé que d’autres prendraient la suite. D’ailleurs, je le pense toujours, d’autres prennent la suite d’une certaine façon. Si le livre vous intéresse, on peut le gagner cette semaine sur l’Instagram des Glorieuses Rebecca Amsellem – « Qui sont les pétroleuses ? » Vous commencez votre essai ainsi. « L’écrivain… » Alexandre Dumas répond : « Nous ne dirons rien des femelles de communards, par respect pour les femmes, à qui elles ressemblent – quand elles sont mortes. » Ça donne le ton. Ce qu’on sait, c’est qu’on les appelle les Pétroleuses à cause d’une rumeur, qu’on sait désormais fausse des dizaines d’années plus tard. Il était de bon ton d’affirmer qu’elles tentaient de mettre le feu dans tout Paris. Il y eut même un procès de mémoire. Pouvez-vous nous parler de la naissance de cette rumeur et sa propagation ? Et de ses conséquences sur la vie de ces anticommunardes ? Xavière Gauthier – La Commune de Paris de 1871 a été un moment d’histoire tout à fait intéressant, en particulier pour les femmes mais pas seulement, c’était une utopie anticapitaliste. Lorsque l’armée a envahi les rues de Paris, il y avait des feux un peu partout et donc des accusations d’incendie. On a vraiment imaginé des brigades de femmes armées de boîtes à pétrole, armées avec des chignons incendiaires et tout dans un imaginaire pour terrifier, alors que c’était la plupart du temps des femmes qui transportaient une boîte à lait pour nourrir leurs enfants. Elles ont été collées au mur et fusillées. Totalement injuste. Rebecca Amsellem Xavière Gauthier – Bien sûr, c’est quelque chose de constant. Les mouvements de femmes ont toujours été décrédibilisés. Je me souviens à l’époque des mouvements 70/80, on parlait des « mal baisées », des « hystériques ». C’est redondant. Il y a une peur de la part des hommes de voir les femmes sortir de leur rôle qui leur a été assigné. C’est une sorte de sanction. Rebecca Amsellem – Vous avez retenu cinq femmes qui firent partie des pétroleuses. Quel était le rapport au féminisme de la part des communardes ? Parmi elles, Nathalie Lemel. Vous écrivez qu’un rapport de la police – nous sommes alors en au xixe siècle – précise qu’« elle choque la bourgeoisie de la ville par son féminisme ». Ce que je trouve intéressant ici, c’est que : 1) on utilisait bien le terme « féminisme » à cette époque-là ; et 2) c’est que ces femmes socialistes étaient conscientes de la situation particulière des femmes. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rapport de ces femmes au féminisme ? Est-ce qu’elles avaient conscience qu’elles étaient féministes ? Xavière Gauthier – Certaines sont ouvertement féministes, c’est-à-dire qu’elles se battent ouvertement pour les droits des femmes et pour d’autres ce sont davantage le socialisme ou l’anarchisme qui sont prédominants. Nathalie Lemel a créé avec son compagnon Eugène Varlin un restaurant communautaire, La Marmite. Elle en a fait un lieu de sociabilité et de prise de conscience politique. Elle a ensuite été une des dirigeantes de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Il s’agit d’une union organisatrice des ateliers des travailleuses des ouvrières. Je n’ai pas la phrase exacte, mais dans ces ateliers, Nathalie Lemel a dit : « Ces ateliers dans lesquels vous travaillez vont vous appartenir. Les outils que vous utilisez vont vous appartenir. Vous allez renaître, femme frêle. » Je la trouve très jolie, cette phrase, « Vous allez renaître femme frêle ». Pour moi, c’est vraiment une phrase profondément féministe. Cette notion de la femme enfermée dans sa supposée fragilité qui va vivre enfin sa vie d’une façon juste. Welcome back mes petits collages qui n’ont rien à voir avec le reste de la newsletter. Rebecca Amsellem – En lisant le parcours de ces cinq figures des pétroleuses, on se dit que leurs écrits, leurs actions résonnent avec aujourd’hui. Que ce soit le rapport à la maternité avec une forme d’éloge de la maternité, tout en disant qu’il ne faut pas enfermer les femmes dans cette maternité. Est-ce que vous vous êtes sentie plus proche de l’une d’entre elles ? Xavière Gauthier – Je vis avec Louise Michel depuis quinze ans donc, on peut dire que c’est ma préférée. Mais quand Paule Mink parle de la maternité, ça me parle. Elle met en lumière une certaine ironie de la société vis-à-vis de la maternité. La société considère que la maternité est formidable mais pense en même temps que la mère des enfants doit être une ignorante. En fait, au lieu d’enfermer les femmes dans ce rôle maternel, Paule Mink les ouvre entièrement au monde. Ça, j’adore. Rebecca Amsellem – Vous commencez le passage sur la romancière André Léo par la citation suivante : « Savez-vous, général Dombrowski, comment s’est faite la révolution du 18 mars ? Par les femmes. » Que voulait-elle prouver ou avoir par ces mots ? Xavière Gauthier – André Léo veut dire la chose suivante. Lorsque les soldats montent sur la butte Montmartre, très tôt, ce sont les femmes qui donnent l’alerte car ce sont elles qui sont réveillées le matin pour aller chercher le lait pour leurs enfants. Non seulement elles donnent l’alerte mais ce sont également elles qui mettent leur corps devant les canons. Et alors, le compagnon d’André Léo, Benoît Malon, a écrit lui-même que c’était grâce aux femmes que la Commune avait eu lieu et que c’était un grand moment où les femmes étaient entrées dans l’histoire. Lui-même l’a reconnu. Rebecca Amsellem – Il y a eu des répercussions directes de l’implication des femmes dans la commune. Les femmes qui ont vécu cette révolution se sont ensuite davantage Xavière Gauthier – Comme vous le savez, le progrès n’est jamais parfait. Mais un des points très importants défendu par toutes, c’est l’éducation semblable pour les filles et pour les garçons. Chacune à leur façon, insiste à un moment ou un autre de leurs écrits ou de leur prise de parole pour que les programmes soient les mêmes, les matières soient les mêmes. L’objectif était que les femmes aient de bons métiers, des métiers reconnus, des métiers rémunérés. Il faut voir qu’à l’époque, les femmes gagnaient exactement la moitié que les hommes. L’autre argument est le suivant : si les femmes deviennent des femmes éduquées et instruites, elles auront un travail, ce qui leur permettra de ne pas entrer dans la prostitution. Rebecca Amsellem – La plus connue de celles dont vous ravivez le souvenir est sans doute Louise Michel. Elle est idéalisée, comme vous l’écrivez. Elle est une « presque Jeanne d’Arc », comme l’écrivait Verlaine. Qui était-elle vraiment ? Quelles étaient les contradictions qui l’habitaient ? Xavière Gauthier – Louise Michel est caricaturée en personne violente, dessinée tenant avec sa main droite, un fusil et avec sa main gauche, un soldat blessé. Voilà une ambiguïté : elle tue et elle sauve les femmes. C’est une guerrière. Elle-même dit qu’elle était excitée par le bruit de la mitraille. Et en même temps, elle avait un souci de l’ensemble du vivant. Elle était insurgée contre les souffrances que les humains font subir aux animaux et même aux plantes. C’est quand même aussi très, très moderne. Rebecca Amsellem – Elle tuait pour la révolution, mais se battait pour préserver le vivant. Xavière Gauthier – Les conversations sont faites sur plusieurs mois. Petit à petit, à force de la fréquenter, à force d’être proche d’elle, de son écriture, de sa façon de filmer, j’ai pensé à réaliser ces entretiens. Mais c’est elle, son personnage, qui m’a soufflé cette idée. Rebecca Amsellem – Et il y a autre chose que j’y ai adoré, c’est la joie évidente que vous avez à passer du temps l’une avec l’autre. Notamment quand vous parlez du lien entre les femmes, en voici un extrait.
Rebecca Amsellem – J’adore cette dernière phrase de Marguerite Duras. « Nous ne sommes pas dans la concurrence puisque nous sommes dans l’opposition. » Effectivement, on n’a pas le luxe de pouvoir être dans la concurrence quand on est dans l’opposition. Xavière Gauthier – Tout à fait. Ça, c’est vraiment l’expression de la vérité. Et pour moi c’était ça la revue Sorcières, c’était le plaisir inouï à accueillir des femmes créatrices. Cette sororité, elle était dans la créativité. On est dans le même mouvement. Ma sélection d’articles et de nouvelles « L’envie de mourir, et en même temps de se dire, sachant que c’était la fin de la guerre, c’est si bête de mourir maintenant. Il faut tenir quelques semaines, mais est-ce que ça vaut la peine ? » Simone Veil sur la sortie des camps sur France Culture. Le féminisme est mort. Vive le féminisme. Le Washington Post ferme son volet féminisme et inaugure un nouveau dédié au genre et aux identités. Léonard de Vinci était peut-être un génie mais il dessine une vulve, c’est gênant. Marie-Claire Chevalier est décédée ce 23 janvier 2022. Elle avait été défendue par Gisèle Halimi lors qu’un procès pour avortement illégal. #Impact Dans le nouveau numéro d’IMPACT, la journaliste Jennifer O’Mahony pose la question : « L’Espagne abolira-t-elle le travail du sexe ? » En effet le gouvernement du Premier ministre espagnol veut abolir le travail du sexe avant la fin du mandat de son gouvernement en 2023. Qui a raison entre les socialistes espagnols, pour qui l’abolition signifie la criminalisation des personnes qui paient pour des rapports sexuels et de celles qui en profitent financièrement, et d’autres partis du spectre politique espagnol qui la considèrent comme inapplicable, susceptible de laisser les ex-travailleurs et travailleuses du sexe dans une position précaire ? Les Glorieuses est une newsletter produite par Gloria Media. |