Cela ressemble fortement à du féminisme.
C’est un tweet : « Le Premier ministre sera choisi sur des critères d’expériences et de compétences. J’aimerai que ce soit une femme ».
C’est une expression : « Ton père est certes à la tête de la famille mais ta mère est définitivement la colonne vertébrale ».
C’est un conseil : « Sois forte ».
C’est une politique : « Je suis pour l’égalité. Les droits des femmes doivent être une grande cause nationale. »
Cela ressemble fortement à du féminisme. Un discours emprunt de bonne volonté pour aider les femmes – toutes les femmes – à gagner en pouvoir, en représentation dans l’espace public. Comment ne pas applaudir un tel discours ?
C’est à s’y méprendre.
Le couperet tombe.
Le Premier ministre sera un Premier ministre. On pense « ah, il n’a donc pas trouvé de femmes ayant les expériences et les compétences nécessaires ».
Le père a le dernier mot.
Le conseil est suivi d’un « tu n’es pas obligée de tout dire. Tu peux te détendre un peu ».
Un gouvernement soutient un ministre accusé par une femme de viol.
Ce n’est donc pas du féminisme. Ou alors, pour reprendre les mots de Chimamanda Ngozi Adichie à la Nuit des idées (Paris), c’est du « Feminism Lit » qu’on pourrait traduire par « féminisme 0% », « féminisme light » ou encore « féminisme allégé ».
Que cela signifie-t-il ? Chimamanda Ngozi Adichie propose cette définition : « Les hommes et les femmes sont égaux mais les hommes sont un petit peu plus égaux. Et tant qu’ils nous traitent bien, nous devons êtes satisfaites. »
Ainsi, à l’expression « il est peut être la tête de la famille, mais c’est elle la colonne vertébrale », l’intellectuelle nigériane répond « Vous n’êtes pas tout à fait égales mais vous êtes en mesure de contrôler votre homme. Pourquoi est-ce-que la femme ne pourrait pas être en mesure d’être la tête de la famille ou pourquoi ne pourrait-on pas avoir un partage de la tête de la famille, l’homme et la femme, à part égale. C’est vraiment une question d’égalité humaine. » Si proche des propos de Christiane Taubira : « Le féminisme est un humanisme. (…) Cela rappelle à l’espèce humaine toute entière que nous sommes égaux et qu’il n’y a pas de raison qu’il y ait un genre dominant. » (TSF Jazz)
Repenser la notion de pouvoir – oui, nous en avons parlé la semaine dernière mais c’est le mood du moment – est ce qui représente un rempart contre l’établissement de ce féminisme allégé. « Les femmes sont les garantes de cette imagination à plusieurs niveaux. » démarre ainsi l’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira, dans un entretien après son intervention à la Nuit des Idées (Montréal). « Tout d’abord, le système actuel d’exercice du pouvoir a été pensé par et pour des hommes. C’est visible dans les structures politiques mais aussi architecturales, culturelles, langagières, et jusque dans le nom des rues. Ces institutions et ces lieux ne sont pas humains, ils sont masculins. Prenez des exemples tout bêtes comme les graviers de la cour de l’Elysée, ce choix de recouvrement n’a clairement pas été fait par une femme portant des chaussures à talons ! »
On retrouve l’analyse de Chimamanda Ngozi Adichie dans Chère Ijeawele ou un manifeste pour une éducation féministe (acheter en librairie ou sur Amazon) sous forme de recommandation : « Méfie-toi des pièges de ce que j’appelle le féminisme light. C’est l’idée selon laquelle il y aurait des conditions à l’égalité entre hommes et femmes. Refuse cela en bloc, je t’en prie. C’est une idée vaine, lénifiante et vouée à l’échec. »
Pourquoi le féminisme light est-il si vain ? Car il « utilise le vocabulaire de la ‘permission’ » répond l’autrice nigériane. « Theresa May est Première ministre du Royaume-Uni, et voici comment un journal britannique progressiste présentait son mari : ‘Philip May est connu dans le monde politique comme un homme qui s’est mis en retrait pour permettre à sa femme, Theresa, de briller. […] Permettre est un terme problématique. Permettre renvoie au pouvoir. […] Les expressions « permettre » et « autoriser à », quand on les utilise ainsi de façon unilatérale (et on ne les utilise pratiquement que comme ça), ne devraient jamais appartenir au vocabulaire d’un mariage égalitaire. »
Si le féminisme light a l’odeur du féminisme, il n’en a pas le goût. Sous couvert d’un discours progressiste, la notion « permet » de reproduire les schémas de pouvoir existant, ceux-là même contre lesquels nous nous battons, ceux-là même qui n’ont pas leur place dans notre vision de ce que devrait être le « pouvoir ». En somme, « je ne veux pas que mon bien-être dépende de la gentillesse d’un homme. Je veux que mon bien-être dépende de mon bien-être, tout simplement » (Chimamanda Ngozi Adichie à la Nuit des idées).
Crédits Photo : Joanna Kosinska