"La solitude, c'est de vivre parmi tous ces gens aimables qui ne vous demandent que de dissimuler vos pensées." Edith Warton
Mars est là ! Tout un mois dédié à l’histoire des droits des femmes pour les uns, une rose rouge offerte à la sortie du métro pour les autres : notre « Noël féministe » nous rappelle Caroline Criado Perez est bien là. Les sapins deviennent des slogans motivants (« Tu es la reine de ta propre vie »), les guirlandes des campagnes opportunistes, les cadeaux bien emballés… rien du tout (sauf si je n’ai pas vu passer cette loi qui revalorise tous les salaires des métiers féminisés aka les métiers de l’éducation et du soi aka les métiers qui permettent à notre société de se définir comme… société).
Cette année, impossible de penser les droits des femmes sans être inondée par le flot de nouvelles dont elles semblent être absentes, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer – même brièvement – celles et ceux qui en subissent les conséquences. Également noté par Laetitia Vitaud dans sa newsletter Nouveau Départ, ce mois de mars est bien loin d’être une célébration pour beaucoup. Comme le décrivait Tarana Burke, instigatrice du mouvement #MeToo, lors d’un discours aux Nations unies en novembre dernier, « nous faisons face à l'épidémie mondiale de violences sexuelles et sexistes », utilisant le terme d’« épidémie » avec le probable espoir qu’une réponse de l’ordre de celle apportée lors du Covid-19 serait amenée. Cette épidémie se retranscrit avec des chiffres : 736 millions de femmes et jeunes filles subissent des violences physiques, sexuelles, économiques, émotionnelles… Dans presque un pays sur quatre, les droits des femmes régressent (rapport UN Women’s, Women's Rights in Review 30 Years After Beijing). Les grandes entreprises américaines – Disney, Amazon, McDonald's, Pepsi, Google, Paypal… mettent fin à leur département dédié à la diversité, l’équité et l’inclusion – indispensable si ces entreprises veulent continuer à recevoir des subventions fédérales ou à contractualiser avec les pouvoirs publics. Et à cela s’ajoutent les avancées en apparence inexorables des partis d’extrême droite en Europe et dans le monde. Et le résultat de cette épidémie est clair, « Nous sommes privées de sécurité, d’autonomie, de dignité et de l’accès total à notre humanité », dit Tarana Burke.
Et pendant que les fleurs nous sont offertes, les slogans inspirants nous sont scandés et les hommages nous sont répétés, « a violence s’accroît et notre inaction écrit le préambule de leurs histoires d’assujettissement, de brutalisation et de désespoir ».
Baisser les bras n’est évidemment pas une option, se faire toute petite, taire nos revendications en espérant se faire oublier non plus : l’Histoire le montre, le silence des femmes ne les protège pas, jamais.

Pas de financement, entendons-nous. La bureaucratie est compliquée, les élections approchent, il faut composer avec toutes les opinions (comme si la misogynie était une opinion sur le spectre de la liberté d’expression). Trouver des excuses pour retarder la mesure de cette épidémie n’aura pour conséquence que « l’effondrement de notre avenir collectif » si nous continuons à trouver des excuses pour le financement insuffisant, la faible application de la loi, la déstabilisation sans entrave des mouvements et les inégalités systémiques. « Aucune excuse pour l'inaction, aucune excuse pour l'insuffisance des ressources. Aucune excuse pour laisser l'épidémie de violence à l'encontre des femmes et des filles se poursuivre sans relâche », résume Tarana Burke.
« Ne pas chercher d'excuses, c'est affronter la vérité. Certains États n'appliquent pas les lois existantes. Certains, comme le pays dans lequel nous nous trouvons et qui vient d'élire un président qui est un délinquant sexuel reconnu par la justice, donnent la priorité à d'autres objectifs politiques plutôt qu'à la sécurité des femmes et des jeunes filles. D'autres encore sous-financent des services essentiels, laissant les survivantes sans soutien. Mais il y a une autre vérité. Nous pouvons changer les choses si nous le voulons. »
Changer les choses c’est mettre en place un système économique au service de l'humanité, et pas l'inverse, rappelle Laetitia Vitaud. C’est-à-dire arrêter d’essayer de provoquer le changement en utilisant des arguments audibles dans une société capitaliste (la parité est un devoir moral – quand bien même elle aurait des vertus économiques). Changer les choses, c’est privilégier la politique de la
considération, écrit la philosophe Corine Pelluchon dans son nouvel ouvrage La Démocratie sans emprise (Éditions Rivages), c’est-à-dire « proposer un projet de société permettant à chacun de trouver sa place tout en participant à une entreprise collective de restructuration des modes de production et de réorientation de l’économie ». Changer les choses, c’est comprendre l’urgence de la situation – surtout lorsqu’on a le pouvoir d’avoir l’excuse de ne rien faire. À notre échelle, la vôtre, la mienne, changer les choses n’est pas, je crois d’influencer les puissants pour mettre un terme à « ces excuses ». (Et cela me permet de terminer cette semaine avec de la
douceur et de l’optimisme). Je ne crois pas d’ailleurs, à l’instar de Virginia Woolf, à notre influence sur le monde : le monde n’aurait pas ce visage : « Ne songez pas à influencer les autres », écrivait-elle en guise de conclusion au discours devenu bestseller Une chambre à soi. « Pensez aux choses en elles-mêmes » : lisez, regardez, écoutez, faites-vous votre propre réflexion, soyez-vous mêmes, c’est ainsi que le changement advient.
Des choses que je recommande
Si vous êtes à Paris, j’anime une table ronde sur les inégalités salariales ce samedi de 11 h 30 à 12 h 30 dans le cadre d’une journée organisée par le Bureau du Parlement européen en France. Europa Expérience, 28, place de la Madeleine 75008 Paris, de 10 h à 19 h. Inscription via ce lien et plus d'info là.
Si vous êtes à Paris toujours, les Guerrières de la Paix organisent ce 8 mars 2025, un grand rassemblement réunissant des femmes du monde entier pour un appel vibrant à la paix, la justice et la liberté. À partir de 17 h 30 sur le parvis de la mairie Paris Centre
(ancienne mairie du 3e).
Sortie du documentaire BLACK BOX DIARIES. Depuis 2015, Shiori Itō affronte les traditions rigides de la société japonaise après avoir été agressée par un homme influent, proche du Premier ministre. Seule face à l’adversité et aux lacunes du système médiatico-judiciaire,
cette journaliste mène sa propre enquête, déterminée à briser le silence et à révéler la vérité. Une avant-première est prévue en présence de la réalisatrice le 8 mars à 20 h, à Paris.
L’âge du fer en Grande-Bretagne a commencé vers 750 avant notre ère et s’est achevé en l’an 43, au moment de l’invasion romaine. Bien que de nombreuses personnes aient suggéré que les femmes de ces sociétés avaient tendance à jouir d’un statut élevé, jusqu’ici aucune preuve génétique ne l’avait confirmé. Les résultats sont sans appel : la plupart des personnes inhumées peuvent être rattachées par leur ligne maternelle à une seule femme, ayant vécu plusieurs siècles auparavant. À l’inverse, la majorité des personnes non apparentées retrouvées sur le site étaient des hommes migrants. Cela signifie que l’organisation sociale et la parenté de cette communauté celtique étaient fondées sur la lignée féminine : les femmes restaient dans leurs communautés ancestrales, tandis que les hommes venaient d’ailleurs pour s’y installer. Lire l’enquête Comment le girl-power aurait commencé il y a 2 400 ans. La Preuve, par Josephine Lethbridge https://lesglorieuses.fr/femmes-de-fer/
Au Brésil, 394 femmes et adolescentes autochtones ont été victimes de féminicides entre 2003 et 2022. Depuis 2019, des milliers de membres des 305 groupes autochtones du pays se rendent dans la capitale tous les deux ans pour réclamer justice pour les victimes. À l'approche de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, les femmes du mouvement ont partagé leurs histoires et leurs visions pour l’avenir avec la newsletter Impact https://lesglorieuses.fr/la-marche-des-femmes-autochtones/
Sur Arte, je vous conseille ce documentaire en deux parties : Les femmes riches ne courent pas les rues, réalisé par Véronique Préault. Cette enquête met en lumière la persistance des inégalités financières entre les sexes dans les pays occidentaux, malgré les avancées en matière de droits des femmes. Dès l’enfance, les filles reçoivent moins d’argent de poche que les garçons, et à l’adolescence, elles s’orientent majoritairement vers des carrières moins rémunérées. L’exclusion progressive des femmes du secteur informatique illustre ces mécanismes de marginalisation économique. La « peine de maternité », qui entraîne une chute de revenus d’environ 35 % en France et en Allemagne, aggrave ces écarts. Par ailleurs, le travail domestique gratuit effectué par les femmes, bien que crucial pour l’économie, reste invisibilisé. L’accès des femmes aux postes à responsabilité est freiné par des stéréotypes et des préjugés persistants, renforçant leur éloignement du pouvoir et de la richesse. Cette domination économique, profondément ancrée dans les structures sociales et éducatives, maintient une dépendance financière durable. Malgré des avancées, comme l’extension du congé de paternité dans certains pays, l’écart économique entre hommes et femmes mettra encore plusieurs générations à se résorber, selon les estimations du Forum économique mondial. Première partie https://www.arte.tv/fr/videos/117799-000-A/les-femmes-riches-ne-courent-pas-les-rues-1-2/ Deuxième partie https://www.arte.tv/fr/videos/117800-000-A/les-femmes-riches-ne-courent-pas-les-rues-2-2/
Si vous avez quelque chose à me recommander, une recette de cuisine, un endroit pour aller faire un jogging, un livre à lire, nʼimporte quoi : je suis preneuse, il suffit de répondre à cet email.
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