"Il y a tant de façons d’être vivant, mais une seule façon d’être mort."
Nicole Krauss
“Je continue de penser que la réalité est formidable”, une conversation avec la journaliste Raphaëlle Bacqué
par Rebecca Amsellem (pour me suivre sur Instagram, c’est là et sur Linkedin c’est ici)
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Vous avez vu son nom dans les colonnes d’un quotidien, au générique d’une série et sur la couverture de nombreux ouvrages, Raphaëlle Bacqué est grand reporter au Monde depuis une quinzaine d'années et présidente de la Société des rédacteurs du Monde depuis 2020. Elle a écrit plusieurs livres dont La femme fatale, Le dernier mort de Mitterrand, Richie, Kaiser Karl et a participé à des scénarios (Numéro Une, de Toni Marschall, et la série Becoming Karl Lagerfeld, notamment). Plus récemment, elle a publié un article avec Vanessa Schneider sur la campagne de Bernard Arnault pour être élu à l’Académie des sciences morales et politiques.
Avec Raphaëlle Bacqué, nous avons parlé de l’évolution du rapport à la vérité qui influence son rapport au journalisme, son métier, des professionnels de la désinformation, de la méfiance grandissante à l'égard des médias et du lien fondamental entre information, démocratie et droits des femmes.
Rebecca Amsellem Le rapport à la vérité a profondément changé. Je pense aux mots de l’acteur Mark Ruffalo (oui parce que, dans cette newsletter, je cite Arendt ET Ruffalo) à l’occasion d’une conférence pour le film Spotlight en 2020, « Nous vivons dans un monde où la vérité est attaquée ». Il semble que la vérité n’importe plus pour beaucoup – en tant que journaliste cela doit être compliqué. Quel est votre rapport à la vérité ?
Raphaëlle Bacqué La vérité pour nous, les journalistes, ce sont les faits. Aux faits, s’ajoute un ensemble de faisceaux qui nous permettent d'arriver à la vérité. Nous voyons qu'il y a des vérités qui peuvent changer selon les époques, non pas en termes de véracité, mais de ce qu'est une vérité supportable ou non. Lorsque le sujet touche les femmes, c’est flagrant. Ainsi, la réalité du viol a toujours existé, mais il y avait un moment où c'était moins choquant qu'aujourd'hui. Ça fait plus de trente ans que je suis journaliste, et depuis quinze ans, nous sommes face à une contestation des faits, de la vérité, de la raison. S’il y a toujours eu des gens qui contestaient, des gens qui préfèrent l’irrationnel, ils n'avaient pas une audience comme aujourd'hui. Le reportage qui m'a fait le plus peur – pas d'être assassinée mais violentée – portrait sur les antivax. J'ai été stupéfaite de voir une telle violence pour défendre l'irrationnel et une telle haine à l'égard des scientifiques ou des journaux, ces derniers portant la parole des scientifiques. Les personnes qui contestent la vérité ont une audience qu’ils n'avaient pas jusque-là, une tribune qu’ils n'avaient pas jusque-là.
Rebecca Amsellem Il semblerait que nous nous retrouvions de nouveau dans cette situation où la croyance est plus forte que la vérité, que la croyance est plus forte que les faits, pour être plus exact.
Raphaëlle Bacqué Je ne serais pas aussi pessimiste que ça, parce que je pense qu'il y a une majorité de personnes qui croient toujours aux faits, à la raison. Mais les autres sont des minorités très agissantes. Évidemment, il y a les États qui utilisent la désinformation pour déstabiliser les démocraties, la Russie par exemple. Mais sans être forcément manipulés par un État, les gens qui contestent la vérité sont d'abord des obsessionnels. Souvent, ils sont très professionnels dans leur façon de construire des montages vidéos, d'utiliser l’IA. C'est-à-dire qu'ils ont acquis le savoir-faire des professionnels de l'information. Ce sont des professionnels de la désinformation, mais avec le même savoir-faire que les professionnels de l’information.
Rebecca Amsellem Je cite souvent ces mots d’Arendt énoncés dans un entretien en octobre 1973 : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. » Arendt parlait d’un moment où nous n’aurions plus de presse libre pour mettre en lumière ces mensonges ce qui conduirait, selon la philosophe, à un tapis rouge pour l’instauration d’une dictature. « Ce qui permet à une dictature totalitaire ou à toute autre dictature de gouverner, c’est que les gens ne sont pas informés ; comment pouvez-vous avoir une opinion si vous n’êtes pas informé ? Si tout le monde vous ment toujours, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, de par leur nature même, doivent être changés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. À la réception, vous obtenez non seulement un mensonge – un mensonge que vous pourriez continuer pour le reste de vos jours – mais vous obtenez un grand nombre de mensonges, selon la façon dont le vent politique souffle. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut plus se décider. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez. » Nous y allons ? Vers ce point ?
Raphaëlle Bacqué Cette citation est la Bible des journalistes. Orwell l'avait écrit aussi, l'information est une arme de guerre pour les dictatures.
Rebecca Amsellem Auriez-vous l’impression qu’il y a une forme d'introduction de la polarisation des débats un peu à l'américaine : « c’est noir ou blanc, c'est tout ou rien, il faut tout embrasser ou tout rejeter » ?
Raphaëlle Bacqué J'ai écrit une enquête et j'en ai fait un livre sur Depardieu (Une affaire très française – Depardieu, l'enquête inédite avec Samuel Blumenfeld). Et très souvent, on m’a demandé s’il fallait ne plus regarder ses films. Ce n'est pas le sujet, c’est absurde. On déplaçait mon enquête sous un angle répressif, comme si je voulais canceler tout le monde et surtout l’art. Comme avec #Metoo, les causes progressistes sont dévoyées par une fausse polémique comme si elles étaient portées par des gens qui souhaiteraient interdire tout, alors que ce n'est absolument pas le sujet. Ce manichéisme obligé est insupportable. C’est très lié aux réseaux sociaux et à l’accès à l’information en continue : ça change le travail du journaliste. Quand on présente notre enquête, les questions vont davantage porter sur une polémique en cours qui a un lien, parfois très ténu avec l’enquête, plutôt que sur le fond.
Rebecca Amsellem Vous avez repris des études il y a quelques années pour apprendre à écrire des scénarios. Est-ce parce que les articles de journaux ne sont plus assez lus ? Ni les livres ? Est-ce à cause de la défiance grandissante à l’égard des médias ?
Raphaëlle Bacqué Pas du tout, j’ai une grande confiance dans la presse écrite. Les gens lisent beaucoup d'ailleurs : avec Internet, nous avons beaucoup plus de lecteurs [au Monde]. Avec les scénarios, je « fictionne » de la réalité, mais je n'invente rien. Le scénario est juste un autre mode de narration, mais je ne fais pas de la fiction complète, je n'invente pas. Lagerfeld est quand même sa vraie histoire [Becoming Karl Lagerfeld est une série sortie en 2024 sur Disney +]. Mon métier premier est le journalisme, je crois que c'est ça le plus intéressant. Je continue de penser que la réalité est formidable.
Rebecca Amsellem Votre travail – journaliste et scénariste – semble tourner autour de la fabrique du pouvoir et de l’influence : Kaiser Mal, Richie, Successions, Une affaire très française pour ne citer que vos derniers ouvrages. Qu’est-ce-qui vous attire dans la fabrique – et la lutte pour le maintien – du pouvoir ?
Raphaëlle Bacqué Je pense que le pouvoir ouvre un précipité des passions humaines : des abus ou au contraire des choses positives. Le pouvoir est une porte d'entrée pour raconter les hommes et les femmes.
Rebecca Amsellem Il semble que nous ayons un point commun que j’ai découvert en préparant cet entretien : Numéro Une de Tonie Marshall. J’y ai « joué » une féministe (je pense qu'on peut m'y apercevoir 0,034 seconde). J’ai surtout échangé en amont avec sa réalisatrice, Tonie Marshall, seule femme à avoir le César de la meilleure réalisation. Numéro Une est d'ailleurs un film sur la fabrique du pouvoir.
Raphaëlle Bacqué Quelle femme merveilleuse Tonie Marshall. Je lui ai organisé des rencontres avec des femmes de pouvoir, des chefs d’entreprise comme Anne Lauvergeon ou Laurence Parisot, c’était très intéressant. On les voyait très longuement, parce qu'évidemment elles disaient toutes la même chose la première demi-heure : « Mais non, pas du tout. Je n'assume pas le pouvoir, je suis très gentille. » Et puis, au bout d'une demi-heure, quand on rentrait dans le dur, elles montraient qu’elles assumaient le pouvoir. Elles pouvaient être très autoritaires, elles pouvaient trancher, elles pouvaient dégager des gens… Et en même temps, on voyait qu'il y avait des choses qui divergeaient avec les hommes.
Rebecca Amsellem Dans un échange aux Idées mènent le Monde en 2022, vous mentionnez vos enquêtes sur les transmissions au sein des grands groupes industriels français. Vous y mentionnez, au détour d’une question, que vous êtes journaliste parce que votre mère aurait voulu l’être : elle vous a transmis son désir et non la frustration de ne pas l’avoir été. C’est ce que vous transmettez à vos enfants aussi ?
Raphaëlle Bacqué J'ai accompli le rêve de ma mère. Avec mon mari, puisqu'on est tous les deux journalistes, on transmet à nos enfants le goût des histoires. Et de s'intéresser aux autres, de comprendre les autres, de leur poser des questions. Je trouve que souvent, les gens ne posent pas de questions aux autres. Moi, je pose tout le temps plein de questions.
Rebecca Amsellem La dernière question, c'est sur la question de l'utopie. Vous vous réveillez un jour et quelque chose autour de vous, dans ce que vous ressentez, vous permet de savoir que nous vivons dans cette utopie féministe, cette société où il y a une parfaite égalité entre les femmes et les hommes. Quel serait ce détail ?
Raphaëlle Bacqué Je dois quand même préciser que je suis la génération de l'arrivée à la quasi-parité des femmes dans le journalisme. Ce n'est pas pareil que pour ma mère par exemple. Mon utopie ne serait pas un immense changement. L'utopie, ce serait plutôt qu’elles soient plus présentes dans d'autres domaines : l'économie, la politique. Mon père, avant de mourir, m'a dit : Tu verras une femme présidente de la République. Il est mort il y a vingt-cinq ans. J’y pense souvent parce qu'il m'a dit ça comme une certitude : « Ça va être demain. » Et c’était il y a vingt-cinq ans. L'utopie, ce serait surtout que la démocratie gagne dans tous les pays. Je suis inquiète des attaques sur la démocratie. Quand il y a des attaques sur la démocratie, les femmes sont toujours les premières à en souffrir.
Rebecca Amsellem En France aussi, des personnes comme Pierre-Édouard Stérin se battent contre la démocratie, et ouvertement contre les droits des femmes.
Raphaëlle Bacqué Les deux vont systématiquement ensemble. La dictature va systématiquement contre les femmes. Le combat pour la démocratie est le combat pour les droits des femmes.
Liste de choses que je recommande
Si vous avez quelque chose à me recommander, une recette de cuisine, un endroit pour aller faire un jogging, un livre à lire, nʼimporte quoi : je suis preneuse, il suffit de répondre à cet email !
Si mes collages vous intéressent (ou pourraient intéresser vos proches), j'en ai mis quelques uns sur YourArt (des éditions d'art en série limitée surtout) et j'en ai déposé d'autres à ma galerie de coeur, Esther & Paul.
Montpellier - la tangente 18 artistes au féminin « elles se rencontrent.elles discutent.elles oeuvrent » Exposition du 12.12. au 19.12. 2024 à l'Atrium-B.U. Université de Montpellier Paul-Valéry. Jeudi du MO.CO. Panacée le 12.12.à 19h Table ronde La Tangente avec Isabelle Garron, poète, dans le cadre de son HDR et les artistes de la Tangente Anne Deguelle, Corinne Laroche, Marie Lepetit et Sabine Massenet et les autres Tangentes dans la salle. Modération Marie Joqueviel-Bourjea professeure des universités UPVM/RIRRa21. Auditorium. MO.CO. 14 rue de l'Ecole de Pharmacie.
Coup de projecteur sur Commune, le premier coliving pour familles monoparentales
Tara Heuzé-Sarmini, vous êtes une serial entrepreneuse. Vous avez notamment fondé Commune, le premier coliving pour familles monoparentales. Commune, dans 100 ans c’est quoi ? T.H-S Commune, dans 100 ans, ce sont des centaines de résidences, et des milliers de parents et d’enfants qui font famille autrement. C’est le village retrouvé dont nous avons toutes et tous besoin pour éduquer nos enfants et les générations futures.
Et aujourd’hui ? T.H-S Commune, c’est la première solution au monde d’habitat et services partagés pour des parents solos et leurs enfants. C’est déjà 2 résidences, une ouverte depuis 1 an à Poissy et qui accueille une dizaine de familles, et une autre qui ouvre ses portes de manière imminente à Roubaix pour accueillir 28 familles. Commune, c’est une communauté de soutien et d’entraide qui permet aux parents de réduire leur charge mentale et trouver du répit, tout en permettant aux enfants de grandir et s’épanouir.
Vous êtes en pleine levée de fonds pour accélérer la croissance de Commune et multiplier les lieux proposés. Vous levez combien et pour faire quoi ? T.H-S Nous levons 3 millions d’euros pour développer 50 résidences dans les 5 prochaines années, en priorité en région parisienne et dans les Hauts-de-France. Cela nous permettra également de mettre sur pied une offre à destination des entreprises, afin que celles-ci puissent proposer des solutions de logement clé-en-main à leurs talents en situation de monoparentalité. Enfin, cette levée de fonds nous permettra également d’atteindre des économies d’échelle et de réduire encore plus les coûts pour les familles qui nous rejoignent.
Comment les entreprises peuvent-elles investir dans Commune ? T.H-S Les entreprises peuvent investir dans Commune classiquement en participant à notre levée, mais elles peuvent également nous soutenir dans notre développement en diffusant notre offre auprès de leurs équipes et en effectuant des pré-réservations.
Et les particuliers ? T.H-S Les particuliers peuvent rejoindre l’aventure en tant que “business angels” ou bien sûr en tant que coliver, en rejoignant une résidence, ou en parlant à leur entourage. Le bouche à oreille est la clef du succès pour des projets à impact comme Commune !
Si une lectrice a une famille monoparentale, où peut-elle candidater pour vivre chez Commune ? T.H-S Pour rejoindre nos résidences, ça se passe par ici ! https://tally.so/r/w4NA5X?utm_campaign=website&utm_source=commune&utm_content=menu
Pour suivre Commune sur Instagram https://www.instagram.com/communecoliving/ Pour investir dans Commune via son entreprise, sa fondation d’entreprise ou individuellement, vous pouvez envoyer un mail à [email protected]
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