13 octobre 2020 Welcome back Les Petites Glo pour une nouvelle saison de la newsletter où on apprend à changer le monde avec Chloé Thibaud. Changer le monde, oui. Même quand on n’a ni pouvoir ni argent. Si on vous a transféré cet email, vous pouvez vous inscrire – gratuitement – ici. « Les mécanismes de domination dans le milieu scolaire sont extrêmement forts » : discussion avec une profpar Chloé Thibaud (retrouvez-moi sur Twitter et Instagram)Ça fait aussi mal que de foncer dans une porte vitrée qu’on n’avait pas vue tellement elle est clean. Lors d’un cours d’espagnol, Lucie*, 14 ans, surprend une bande de garçons en train de rire après qu’elle a pris la parole pour répondre à une question de leur prof. “Comme toujours, ils avaient l’air de se foutre de moi“, me raconte-t-elle. Elle s’aperçoit que son voisin de table a son portable entre les mains et qu’il écrit à quelqu’un. “C’était une conversation WhatsApp, je voyais les messages défiler. Et plus ça allait, plus j’entendais les garçons rigoler. J’ai commencé à me dire qu’ils étaient en train de parler de moi…“ En sortant de classe, Lucie en discute avec ses copines et commence à mener l’enquête. En fin de journée, elle demande à l’un de leurs potes s’il a eu vent d’un groupe secret de discussion… “Il finit par m’avouer qu’il en fait partie et accepte de me passer son téléphone pour que je regarde moi-même. C’est l’horreur. Je vois ce qu’ils se sont écrit pendant l’espagnol : ‘Faut qu’elle se lave les cheveux, la moche’, ‘TG la moche’. Ils m’appellent ‘la moche’. Je me mets à pleurer, et mon prétendu pote me dit qu’il ne faut pas le prendre trop sérieusement, que dans cette conversation ils taillent tout le monde, que c’est pour rire… La preuve, il y a aussi ‘la grosse’ et ‘le gay’, et lui ils l’appellent ‘le puceau’.“ Dans les jours qui suivent, Lucie découvre qu’il y a des filles au sein de ce groupe. “Les filles plus populaires que moi et mes copines.“ Elle n’arrête pas de pleurer, n’ose plus participer, n’en parle à personne de l’extérieur. “Je ne sais pas quoi faire parce que je me dis que ça va être pire si je fais quelque chose. Je n’ai rien dit aux autres victimes du groupe, ça sert à rien de leur faire de la peine…“ L’an dernier, un sondage Ifop révélait que 27% des 18-24 ans ont déjà été la cible d’insultes en ligne. Et il y a fort à parier que les chiffres du cyberharcèlement soient d’autant plus élevés chez les moins de 18 ans. Lynchage dans des groupes privés, diffusion de rumeurs, création de faux profils dégradants, publication de photos intimes, menaces… La violence en ligne prend des formes variées dont vous, les Petites Glo, devez absolument vous protéger. Pour cela, j’ai voulu m’entretenir avec une professeure d’histoire-géo qui tient un blog sous le pseudonyme de Chouyo. Cet été, dans un article intitulé “Une place à soi“, elle racontait comment plusieurs élèves étaient venues lui faire part d’une situation semblable à celle que Lucie a vécue. “Même si des élèves de 13-14 ans en arrivent à avoir des comportements problématiques, je suis là, m’explique-t-elle. Je veux qu’il y ait un rapport de confiance entre nous. Ce que j’essaie d’enseigner à ces jeunes filles, c’est que ce n’est pas leur rôle d’éduquer les garçons, elles y perdraient une énergie folle. Ce qu’elles doivent faire, c’est apprendre à être assertives. Prendre position leur servira non seulement au collège mais aussi dans le milieu professionnel, face à leur employeur ou leurs collègues masculins.“ Chouyo est clairement la prof que j’aurais rêvé d’avoir. Après avoir échangé avec ses élèves suite à cet incident, elle a mis en place “la technique du 2=1“. Comme les filles étaient en minorité numérique dans son cours, elle avait décidé que pour une intervention de garçon, elle ferait systématiquement intervenir deux filles ensuite. Histoire que les rapports de force s’inversent un peu. “Deux mécanismes de domination se jouent à l’école : celui de la masculinité toxique, c’est-à-dire du petit mec de 13 ans qui veut se comporter ‘comme un homme’, si tant est que cela veuille dire quelque chose ; et celui de la domination sociale, qui implique par exemple que certains élèves issus de milieu défavorisé ne vont pas oser poser des questions ou se feront traiter de boloss par les autres parce qu’ils montrent un intérêt pour les cours. Depuis que j’ai pris conscience de tout ça, je m’ingénie à pirater ces mécanismes dans le milieu scolaire où ils sont extrêmement forts.“ Afin que nous soyons tou·te·s en mesure de les pirater, elle a accepté de partager ses précieux outils avec moi. Voici ce qui m’a semblé essentiel : – En cas de harcèlement, ne restez pas seul·e. “Il faut en parler directement à des personnes de confiance : aussi bien des gens de votre âge que des adultes alliés. Dans un établissement scolaire, tout professeur est responsable de la communauté scolaire et vous pouvez vous adresser à quelqu’un qui ne vous a pas forcément comme élève. Aussi, il vaut mieux multiplier les personnes à qui l’on en parle, en pensant aux surveillants, qui sont les premiers relais avec les élèves.“ – Pensez à la technique du name/blame/claim (imaginée par Bill Felstiner, chercheur en sciences humaines) : “Le name consiste à nommer la situation, à en parler. Le blame, c’est la réaction publique. On n’alimente pas les trolls, on laisse faire, on ne répond jamais à chaud. Mais on note sur un carnet les insultes, on fait des copies d’écran, on garde des preuves. Enfin, avec le claim, on renvoie les gens à leur responsabilité. Si ça se passe dans le milieu scolaire, ce sont les adultes qui sont responsables et ce sont eux qui doivent régler la situation, informer, faire en sorte qu’une telle ambiance n’existe pas.“ – Rappelez-vous que les adultes vivent la même chose, ont les mêmes craintes. “Tous les jours, les adultes font l’expérience du harcèlement : à cause de la longueur de leur jupe, de leur couleur de peau, de leur milieu social, de leur handicap… Eux aussi ont peur de parler, d’être perçus comme coupables de la situation au lieu d’être reconnus en tant que victimes. Face au harcèlement, nous sommes tous dans le même bateau.“ – Ne mettez pas les garçons de côté. “Ils peuvent être des alliés dans ce genre d’histoire… Même si, à cause de la pression sociale, ils ne vont pas forcément oser prendre position contre les copains, ils peuvent jouer le rôle de témoins ou être là pour vous écouter.“ – Soyez solidaires. Dans l’histoire que m’a raconté Lucie, des filles faisaient partie du groupe WhatsApp. Le harcèlement et le cyberharcèlement ne s’expriment pas seulement dans le sens garçons-filles… loin de là. Sans tomber dans les clichés, pendant l’adolescence (et même plus tard), les filles entre elles peuvent être redoutables. Or, “on est bien plus puissantes en se serrant les coudes“ ! Avant de nous quitter, Chouyo m’a dit : “Il y a une dernière chose, mais bon, elle est évidente : c’est d’être capable d’intervenir pour quelqu’un d’autre. Si l’on n’est pas soi-même concerné par le harcèlement, on peut être là pour une camarade très timide, un camarade autiste, ceux qui ne vont jamais oser se mettre dans des situations conflictuelles et s’opposer à leur harceleur ou harceleuse. Dans ces cas-là, il faut savoir dire des phrases comme ‘tu ne lui parles pas comme ça’ ou ‘ta manière de te comporter est inacceptable’“. Entre nous, je ne suis pas certaine que ce dernier point soit si évident que ça. Mais ce qui est évident, c’est que nous devons tout faire pour qu’il n’y ait même plus à le rappeler. *J’ai modifié le prénom de ma témoin pour préserver son anonymat. Un mot de notre partenaire, L’Oréal Paris sur le programme Stand up contre le harcèlement de rue En France, 81 % des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics et seulement 20 % d’entre elles déclarent avoir été aidées par un témoin*. Mais comment réagir ? Stand Up est un programme international de formation créé par L’Oréal Paris en partenariat avec l’ONG Hollaback! et la Fondation des femmes, qui permet d’apprendre à intervenir lorsqu’on est témoin ou victime de harcèlement sexuel dans les lieux publics, sans se mettre en danger. Basé sur la méthodologie des « 5D » (Distraire, Déléguer, Dialoguer, Diriger et Documenter), il apporte à chacun.e les outils et reflexes qui l’aideront au quotidien à identifier les situations de harcèlement et savoir comment réagir pour y mettre fin, grâce à 5 actions simples, mais qui peuvent être déterminantes. La formation Stand Up est accessible à tous.tes, rapide et gratuite, sur le site officiel du programme. * Sondage mené par L’Oréal Paris et Ipsos en mars 2019, « Sondage mondial sur le harcèlement sexuel dans les lieux publics ». – Par L’Oréal Paris, en partenariat avec Hollaback! et la Fondation des Femmes Sondage #LesPetitesGlo sur le harcèlement Les recommandations de Chloé En France, nous avons eu le #lundi14septembre et le mouvement des crop tops. Au Canada, des lycéens ont carrément décidé de porter des jupes pour dénoncer le sexisme au sein de leurs établissements scolaires et apporter leur soutien à leurs camarades féminines. Mais en Suisse, on est bien loin du compte… la preuve avec le “tee-shirt de la honte”, une humiliation imposée aux étudiantes dont les tenues sont jugées inadéquates (merci à Clément Arbrun de mettre la lumière sur cette aberration). Dans une précédente newsletter, je vous avais parlé de l’excellent podcast Vénus s’épilait-elle la chatte qui déconstruit l’histoire de l’art occidentale en proposant un point de vue féministe et inclusif. Pour financer la deuxième saison du podcast, sa créatrice, Julie Beauzac, a imaginé “l’Agenda Malpoli”, un très bel objet qui inclut des analyses d’œuvres et des illustrations exclusives. Pour la soutenir en le précommandant, c’est ici ! De Lorie à Wejdene, le journaliste Benjamin Pierret raconte dans un article passionnant comment la chanson pour (pré)ados a complètement changé en 20 ans, passant de “Moi j’ai besoin d’amouuur” à “Alors comme ça, tu m’as trompée ? Maintenant, bah je vais te bloquer”. J’ai adoré. L’actrice et chanteuse de 24 ans Lola Le Lann a eu le courage d’annuler la sortie de son album pour dénoncer “les actes effroyables et intolérables” commis par l’un des auteurs de ses chansons. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille de vous pencher sur le travail d’enquête mené par le collectif #MusicToo sur les violences sexistes et sexuelles dans l’industrie musicale. |
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